Face aux enjeux tant internes que géostratégiques, les enjeux actuels et futurs des réformes passent par une évaluation à son stade actuel et ses environnements politiques, économiques, sociaux et internationaux, une identification des acteurs internes et externes impliqués dans le processus des réformes, une analyse des stratégies développées ou qui risquent d'être développées par les acteurs hostiles et une série de contre-mesures à mettre en œuvre par les acteurs favorables et anticiper les risques d'échec. Au moment où le monde traverse des bouleversements politiques, sociaux et économiques, où l'Algérie est interpellée par les 70% de sa population pour de véritables réformes démocratiques, condition d'un développement harmonieux et durable face à l'implacable mondialisation, l'on doit rendre un grand hommage à nos forces de sécurité qui ont su gérer d'une manière moderne ces évènements et à notre jeunesse, qui n'a pas connu le drame des années 1990/1999, voulant un changement, par sa maturité politique et des marches pacifiques sans violences. Les partis politiques toutes tendances confondues n'ont joué aucun rôle pour la mobilisation et également qui doivent être médités attentivement tant par le pouvoir que l'opposition qui a été hors circuit. Tout pouvoir a besoin de prospectives qui fait cruellement défaut, s'il veut éviter coller à la réalité et éviter de naviguer à vue. Dans ce cadre, je livre cette présente contribution datant de 1998 réactualisée toujours d'une brûlante actualité, nos gouvernants ne pouvant prétendre entre 2000 et 2019 qu'ils ne savaient pas puisque la presse algérienne s'en est fait un large écho. Elle résulte d'une conférence donnée au Caire (Egypte) lors d'un séminaire international consacré aux réformes dans le monde arabe où j'ai traité, à cette époque, les enjeux politiques et économiques des réformes en Algérie incompréhensibles sans l'analyse de la stratégie des acteurs internes et externes. Cette présente analyse est parue dans la revue financière mondiale anglaise Euro Money, parue à Londres en septembre 1998, que j'ai synthétisée dans un article paru également dans le New York Times (Etats-Unis) en juin 1999. Stratégie des acteurs internes face aux réformes 1.1- Acteurs internes défavorables aux réformes - certains segments engagés dans le pouvoir politique, - une fraction de l'Administration et des syndicats, - une fraction des dirigeants des secteurs public et privé, liée à la rente. Dans cette classification, il apparaît une forte homogénéité des oppositions. Les acteurs majeurs de celle-ci, syndicat et secteur public, se trouvent renforcés par : - des groupes politiques à l'intérieur et à l'extérieur de l'APN, - des minorités agissantes à l'intérieur des partis politiques hostiles aux réformes - des opérateurs privés qui se sont développés à l'ombre du monopole d'Etat. Les discours des actions des acteurs défavorables aux réformes imputent la responsabilité de la situation sociale aux réformes économiques, alors que les réformes microéconomiques et institutionnelles n'ont pas véritablement commencé. L'activisme de ces clans, à travers tant les discours que la monopolisation, par leurs écrits dans les médias, certaines commissions crées artificiellement se substitue à toute la société et donne l'impression que toute la société est d'accord avec leurs idées et vont jusqu'à exiger le départ de personnes politiques favorables aux réformes afin d'en placer d'autres acquises à leurs idées populistes. Etrangement et faussement, bien que minoritaire au sein de la société, ils parlent au nom de la majorité et deviennent les seuls interlocuteurs des pouvoirs publics qui les reçoivent officiellement, parce que organisés, encore que les organisations patronales sont actuellement atomisées. 1.2- Acteurs internes favorables aux réformes - une fraction des couches au niveau des partis politiques, - certains segments engagés dans le pouvoir politique, - une fraction de l'Administration, - la majorité de la société civile, Pour ce segment sil est utile de rappeler - une fraction du secteur public, -une fraction du secteur privé au niveau de la sphère réelle et informelle. Cette dernière, dont la naissance et le développement résultent d'une lutte contre la bureaucratie, représente en Algérie plus de 50% des activités. L'objectif, à terme, sera de l'intégrer, car vecteur dynamisant, en la légalisant par la généralisation du droit de propriété, base de l'économie de marché. Il existe une multitude d'entrepreneurs dynamiques à ce niveau pour accélérer l'instauration de l'économie de marché concurrentielle par le renforcement des forces sociales favorables aux réformes. Dans ce cadre d'idées, comment ne pas rappeler que le succès de la musique «raï» n'est que la traduction du désespoir et de la révolte de la jeunesse contre un système bureaucratique sclérosant . C'est que la majorité de la population algérienne en faveur des réformes est en observation, une jeunesse localisée en majorité au niveau de la sphère informelle, des d'opérateurs privés soumis aux contraintes bureaucratiques sans compter les agriculteurs, les artisans, les commerçants, les diverses organisations diverses (professions médicales, ingénieurs et techniciens, notaires, avocats, architectes, financiers, etc.), les enseignants fonctionnaires dont l'objectif est à la fois la dignité , la création de richesses et de contribuer au développement national. Cette classification des acteurs internes favorables aux réformes économiques est en gestation durant cette période de transition et nécessite donc son organisation. En effet, pour certains partis politiques, dont la position officielle est favorable, cette question rencontre de fortes oppositions internes, souvent pour des raisons de populisme électoral. La passivité des acteurs favorables, qui, souvent, n'ont pas leurs médias et des relais efficaces au niveau des administrations, tout cela contribue à les marginaliser bien qu'ils soient une majorité silencieuse au sein de la société. Rôle stratégique assigné aux réformes par les acteurs internes 2-1- Acteurs internes favorables Objectifs : - Désengagement de l'Etat de la sphère économique pour assurer son rôle de régulateur dans les domaines politique, économique, social et culturel, - démonopolisation (pour éviter le passage d'un monopole public à un monopole privé) comme moyen de dynamisation de l'investissement et de la création d'emplois, - Adaptation de l'économie algérienne aux contraintes de la globalisation, - rétablir durablement les équilibres budgétaires par la stabilisation macroéconomique et dynamiser les exportations hors hydrocarbures à terme, au moyen des réformes microéconomiques. - favoriser la dynamique politique, sociale et économique au sein l'espace économique maghrébin, méditerranéen et africain seule condition de l'attrait de l'investissement direct étranger. Moyens : - L'élaboration de lois étant subordonnée à une nette volonté politique de libéralisation maitrisée , supposant une reconfiguration du personnel politique, - une large campagne de démystification et de vulgarisation avec l'émergence de responsabilités politiques des acteurs favorables à la libéralisation, - l'implication de la société civile (avec le primat du rôle de la femme), - l'élaboration de mesures sociales pour amortir les effets négatifs de la démonopolisation et de la libéralisation, les subventions destinées aux plus nécessiteux ne devant plus être supportées par les entreprises mais par le budget de l'Etat après l'aval de l'APN, - Transparence totale dans le processus des réformes engagées. Obstacles : - Très forte opposition des rentiers avec l'harmonisation des acteurs défavorables à travers leurs relais dans les entreprises et administrations. 2.2- Acteurs internes défavorables : Objectifs : - préserver les intérêts de la rente avec une vision à court terme se couvrant derrière le slogan de défense des intérêts nationaux, alors qu'il ne faille pas confondre le nationalisme chauviniste source d'intolérance avec le patriotisme qui consiste à défendre les intérêts supérieurs du pays, - réaliser une hégémonie politique et économique en favorisant le monopole et en freinant toute forme de concurrence expliquant leurs positions, afin de pouvoir se positionner dans les parts de marché et d'une manière générale au niveau de segments de pouvoir, - bloquer le processus de démocratisation en cours dans la mesure où démocratie économique (entendre économie de marché), démocratie sociale et démocratie politique sont indissociables. Moyens : - utilise récemment les thèses des anti-mondialisation en les déformant, oubliant que l'on vit à l'ère de l'internet. Or, les partisans actuels de l'antimondialisation sont contre une économie étatisée, bureaucratisée, mais insistent sur une plus grande cohésion sociale, une plus juste répartition du revenu national à travers le trio Etat régulateur, entreprises privées créatrices de richesses, implication de la société civile, avec la pluralité syndicale et l'instauration d'une économie de marché humanisée, - favorise les incohérences des textes de loi dans la sphère économique et atomise les prises de décision en jouant sur la confusion des textes. - met à profit les tensions sociales existantes accentuant le malaise social - harmonisation des actions de l'ensemble de leurs alliés, pour ralentir les réformes pourtant nécessaires et irréversibles, de la réforme de l'Etat, du système socioéducatif, des télécommunications, du foncier, la réforme du système financier lieu de distribution de la rente et la démocratisation de la gestion des hydrocarbures, lieu de la production de la rente en sont l'illustration concrète. Obstacles - Les réformes économiques ont été largement démystifiées et la mondialisation est une réalité historique insensible aux slogans. - faillite du bloc communiste qui a montré les limites du secteur d'Etat et d'un régime de type stalinien autoritaire caractérisé par des relations de clientèles informelles occultes. - Capacité financière limitée de l'Etat. - Soutien de l'Occident et des institutions financières internationales aux réformateurs pour l'Instauration de la Démocratie, de l'Economie de Marché, des droits de l'Homme TPI (Tribunal pénal). - Les rentiers ne proposent aucune solution opérationnelle de rechange, voulant faire oublier que la crise actuelle est la résultante de plusieurs décennies de politique économique et pas seulement de la période actuelle. - Utilise les tensions sociales alors qu'en ce XXIe siècle, il convient de banaliser une grève en Algérie qui est un phénomène normal des revendications dans les pays développés et ce, au moyen d'une gestion moderne de la société, reposant sur des réseaux segmentés de négociation, pour éviter son instrumentalisation politique. - L'immense majorité de la population ne croit plus aux discours populistes et démagogiques, notamment grâce à la révolution des télécommunications, le monde devenant une maison de verre. -Naissance d'une couche de réformateurs au sein des partis politiques et des associations, bien que non organisée. (A suivre) Professeur des Universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul