Au moment où le monde arabe traverse des bouleversements politiques, sociaux et économiques, où l'Algérie est interpellée pour de véritables réformes démocratiques, condition d'un développement harmonieux et durable face à l'implacable mondialisation, je livre aux lecteurs la présente contribution datant de 1998 que j'ai jugé nécessaire de ne pas modifier afin que les lecteurs jugent par eux-mêmes. Elle est toujours d'une brûlante actualité, nos gouvernants ne pouvant prétendre entre 2000 et 2011 qu'ils ne savaient pas puisque la presse algérienne s'en est fait un large écho. Elle résulte d'une conférence donnée au Caire (Egypte) lors d'un séminaire international consacré aux réformes dans le monde arabe où j'ai traité, à cette époque, les enjeux politiques et économiques des réformes en Algérie, incompréhensibles sans l'analyse de la stratégie des acteurs internes et externes. La présente analyse figure dans la revue financière mondiale anglaise Euro Money, parue à Londres en septembre 1998, que j'ai synthétisée dans un article paru également dans le New York Times (Etats-Unis) en juin 1999. II) Stratégie des acteurs internes et externes Les enjeux actuels et futurs des réformes passent par : - une évaluation à son stade actuel et ses environnements politiques, économiques, sociaux et internationaux, - une identification des acteurs internes et externes impliqués dans le processus des réformes, - une analyse des stratégies développées ou qui risquent d'être développées par les acteurs hostiles, - une série de contre-mesures à mettre en œuvre par les acteurs favorables et anticiper les risques d'échec. A) Acteurs internes : 1) Acteurs internes défavorables aux réformes : - certains segments engagés dans le pouvoir politique, - une fraction de l'Administration et des syndicats, - une fraction des dirigeants des secteurs public et privé, liée à la rente. Dans cette classification, il apparaît une forte homogénéité des oppositions. Les acteurs ma-jeurs de celle-ci – syndicat et secteur public – se trouvent renforcés par : - des groupes politiques à l'intérieur et à l'extérieur de l'APN, - des minorités agissantes à l'intérieur des partis politiques hostiles aux réformes et à la privatisation, - des opérateurs privés qui se sont développés à l'ombre du monopole d'Etat. Cette convergence d'intérêts n'est pas encore structurée. Mais le risque est potentiel, dans la mesure où de faux discours populistes des années 1970 imputent la responsabilité de la situation sociale aux réformes économiques, alors que les réformes microéconomiques et institutionnelles n'ont pas véritablement commencé. L'activisme de ces clans, à travers tant les discours que la monopolisation, par leurs écrits dans les médias, les commissions, certains centres de recherche (que l'on fasse un listing et l'on verra que la composante est la même à 70% depuis les dernières années), donne l'impression que toute la société est d'accord avec leurs idées. Certains se substituent aux partis politiques, en prétendant représenter la conscience nationale, et vont jusqu'à exiger le départ de personnes politiques favorables aux réformes afin d'en placer d'autres acquises à leurs idées populistes. Etrangement et faussement, ils parlent au nom de la majorité et deviennent les seuls interlocuteurs des pouvoirs publics qui les reçoivent officiellement, parce que organisés. 2) Acteurs internes favorables aux réformes : - une fraction des couches au niveau des partis politiques, - certains segments engagés dans le pouvoir politique, - une fraction de l'Administration. - une fraction de la société civile, - une fraction du secteur public. - une fraction du secteur privé au niveau de la sphère réelle et informelle. Cette dernière, dont la naissance et le développement ré-sultent d'une lutte contre la bu-reaucratie, représente en Algérie plus de 50% des activités. L'objectif, à terme, sera de l'intégrer, car vecteur dynamisant, en la légalisant par la généralisation du droit de propriété, base de l'économie de marché. Il existe une multitude d'entrepreneurs dynamiques à ce niveau pour accélérer l'instauration de l'économie de marché concurrentielle par le renforcement des forces sociales favorables aux réformes. Dans ce cadre d'idées, comment ne pas rappeler que le succès de la musique « raï » n'est que la traduction du désespoir et de la révolte de la jeunes-se contre ce système bureaucratique. C'est que la majorité de la population algérienne est en observation, dont celle localisée au niveau de la sphère informelle, de bon nombre d'opérateurs privés, agriculteurs, artisans, commerçants, industriels, organisations diverses (professions médicales, ingénieurs et techniciens, notaires, avocats, architectes, financiers, etc.), travailleurs fonctionnaires et cadres dont l'objectif est d'assurer un travail à leurs enfants. Cette classification des acteurs internes favorables aux réformes économiques est en gestation pendant cette période de transition et nécessite donc son organisation. En effet, pour certains partis politiques, dont la position officielle est favorable, cette question rencontre de fortes oppositions internes, souvent pour des raisons de populisme électoral. La passivité des acteurs favorables, qui, souvent, n'ont pas leurs médias et des relais efficaces au niveau des administrations (encore qu'il convienne de saluer l'effort important de la presse indépendante), et les discours contradictoires (faiblesse du système de communication) du pouvoir politique, tout cela contribue à les marginaliser bien qu'ils soient largement majoritaires. B) Acteurs externes : Deux acteurs externes semblent vouloir s'imposer durablement en Algérie : - l'Union européenne avec, pour des raisons historiques, un rôle pivot de la France, -les Etats-Unis d'Amérique qui ont considérablement investi dans le Sud (pétrole et gaz). Cependant, du fait de la mondialisation, ce serait une erreur de vouloir les séparer d'une ma-nière tranchée, car les objectifs stratégiques ne sont pas fondamentalement antagoniques. Leurs divergences sont aplanies par la stratégie des grandes compagnies : actionnariat varié à travers des dizaines de milliards de dollars chaque jour au niveau des places financières in-ternationales, quelle que soit la nationalité, qui n'est plus importante. Cette vision planétaire uniformise donc les divergences dites nationales et les met à l'abri des turbulences politiques conjoncturelles qui peuvent surgir sporadiquement. Les fusions avec plusieurs milliers de milliards de dollars sont impressionnantes. D'ailleurs, la vision, apparemment différente entre certains pays européens et les USA, masque les divergences d'intérêts par exemple pour des parts de marché au niveau de la sphère énergétique qui dépasse le cadre du Moyen-Orient (ré-serves de la mer Caspienne). D'autres acteurs mineurs (Italie, Espagne, Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique) tentent de s'implanter en Algérie. Le niveau de leurs échanges est appelé à augmenter dans tous les secteurs de l'activité économique. (A suivre)