Des centaines d'avocats ont occupé, hier matin, les escaliers de la Grande-Poste et le trottoir y attenant, puis ont arpenté les rues environnantes pour scander des slogans d'une grande diversité, voire totalement divergents, qui reflète le pluralisme d'opinions qui traverse ce corps professionnel comme le reste de la société. La pluralité d'opinions constitue une réalité tangible parfaitement ressentie à l'occasion des marches et rassemblements populaires qui ont lieu, notamment dans cet endroit du centre d'Alger. Si l'on se réfère aux slogans qui se succèdent et se chevauchent parfois, il y a comme une sorte de bataille de mots d'ordre, certes encore peu perceptible, mais qui traduit bien la mosaïque d'idées qui s'expriment en toute liberté. Les avocats ont repassé tous les slogans maintenant familiers, en les criant, comme les jeunes et adolescents l'ont déjà fait, haut et fort : les uns privilégiant «Oulach smah oulach!» (pas de pardon !) et «Pouvoir assassin !», les autres «Palestine Les Martyrs» (Falestine Echouhada) et «Algérie libre et démocratique» (Djazair Horra dimocratya). En plus, dans ces manifestations, chacun peut écrire à la main le slogan qui lui plaît, sur une simple feuille de papier qu'il brandit à la vue des autres pendant les marches ou les rassemblements. En commun, pour les avocats, comme dans les manifestations précédentes, l'hymne national Kassamen et le chant des moudjahidine Min Djibalina qui ont été entonnés par tous, et l'emblème national qui était omniprésent, porté par tous aussi, ponctué de «Tahya El Djazair!» (Vive l'Algérie !), comme autant de «marqueurs» des sentiments patriotiques et du rejet de l'ingérence étrangère, qu'elle soit flagrante, dans des déclarations plus ou moins officielles, ou subtile, sous forme de manipulations des plus naïfs, à travers les réseaux sociaux avec les fausses informations et les images truquées. Sur ce dernier point, la vigilance est particulièrement marquée chez les manifestants qui sont attentifs aux comportements qui trahissent l'infiltration insidieuse visant à les «encadrer» et à les manipuler, comme cela s'est fait dans d'autres pays. Scandés également par les avocats, hier à Alger: le rejet de la corruption et d'autres revendications socio-professionnelles en plus de la revendication des réformes qui a pratiquement dominé la manifestation, ce qui n'est pas surprenant, ce slogan revient systématiquement. Il y a visiblement un début de prise de conscience chez les manifestants de la nécessité de commencer à aller vers les réformes pour amorcer le changement vers plus de démocratie, de liberté et de justice sociale. La question qui se pose et qui bloque, concerne, non pas, le pourquoi des réformes, une évidence chez tous, mais comment les amorcer et avec qui. L'idée que l'on ne peut pas se passer de certains éléments du pouvoir en place pour entamer les réformes, fait son chemin comme étant la voie la plus raisonnable et la plus sûre. Il reste à en convaincre les courants qui s'obstinent à penser qu'il est possible de sortir de la crise en faisant le vide au sommet. Une certitude: en dehors d'une minorité qui est, de toute évidence, inconsciente des enjeux, et pour certains, frisant l'irresponsabilité, il y a un consensus sur la préservation de l'intérêt national au-dessus de toute autre considération et la forte exigence chez les manifestants et dans le service d'ordre qui protège les rassemblements, d'éviter tout dérapage, d'où le caractère pacifique des manifestations qui sont empreintes d'un civisme surprenant pour qui ne connaît pas le peuple algérien et son fond patriotique véritable. Le caractère pacifique incontestable et le civisme exemplaire des manifestants autant que la maîtrise professionnelle du service d'ordre, sont des indicateurs qui prouvent qu'une issue positive, dans l'intérêt d'abord des Algériens et d'eux seuls, sera vite trouvée à la situation de crise politique que traverse le pays.