L'impératif de l'heure se résume-t-il à un nettoyage d'ordre juridique de la Constitution par la séparation rigoureuses des instances exécutives, législatives et judiciaires pour enfin ouvrir la voie à une pratique réellement démocratique de l'exercice politique en Algérie ? C'est ce qui nous occupera dans la seconde partie de l'interview que La Nouvelle République a obtenu en exclusivité de la Transition qui nous fait part de son expérience en la matière et qui nous explique les raisons pour lier changement démocratique et basculement énergétique. L'une des difficultés que nous avons mise en évidence lors de notre dernier entretien est relative au financement de la transition énergétique. En contexte de crise de liquidités en devises, comment réaliser son financement ? C'est effectivement tout simplement l'enjeu central. Mais avant de répondre très directement à votre question, je me permets le petit rappel suivant. L'abondance des matières premières produit spontanément l'atrophie de l'économie par un phénomène bien connu désormais, que l'on nomme le syndrome hollandais, ou la dépendance d'une matière première (dans votre cas ce sont les hydrocarbures) entraîne un accroissement des exportations à l'origine de l'appréciation de la monnaie et donc de la difficulté accrue qu'ont les autres activités industrielles à se développer, impactant à leur tour le taux de croissance économique de la Nation. Mais ce que l'on perçoit moins, c'est que l'ordre rentier hypertrophie le pouvoir exécutif qui ne peut s'empêcher de s'accaparer des dividendes de cette rente à son profit, au plus grand bénéfice de ses clientèles politico-économiques, dans un effort de consolidation incessant et d'élargissement continu de son pouvoir qu'il souhaite bien évidemment sans partage, marginalisant par là même aussi bien les fonctions législatives que cherchent à mettre sous sa coupe les fonctions judiciaires. La confusion des trois instances régaliennes provient moins d'une confiscation du pouvoir par un régime politico-militaire pour reprendre une expression en vogue dans certains partis politiques d'opposition, que de la propension des hydrocarbures, matière stratégique de premier plan, à imposer de manière autoritaire son ordre rentier dans des sociétés, hier paysannes mais aujourd'hui citadines à 75%, qui n'ont pas pris les mesures juridiques adéquates à la limitation de ses externalités négatives, y compris sur le plan éminemment politique. La séparation des pouvoirs dans la nouvelle Constitution à venir n'est en rien une garantie qui limitera la corruption de la prochaine direction issue des futures élections présidentielles si vous n'inscrivez pas dans le marbre constitutionnel, la séparation de l'exécutif de la gestion de la rente pétrolière qu'il sera préférable de mettre sous la double responsabilité du pouvoir aussi bien judiciaire que législatif par une série de mesures relevant d'une Loi de la transition énergétique à promouvoir, stérilisant les effets de la rente pétrolière aussi bien dans ses prolongements économiques que politiques. C'est la proposition concrète que je fais à l'ensemble de votre classe politique et des autorités compétentes en la matière de votre pays. Cette Loi de la transition énergétique que j'appelle de mes vœux, renforcée de son principe constitutionnel pour qu'elle ne soit plus jamais remise en cause par des manœuvres politiciennes intéressées, devra prendre en charge les questions liées au financement de la transition énergétique, ce qui me permet maintenant de répondre de manière construite à votre question. Il faut, pour le lecteur, des exemples concrets si possible ! Oui vous avez raison. Il y a quatre sources de financement : a- Si par bonheur, le marché pétrolier dépasse la barre des 85 USD le baril en raison d'une volatilité induite par des considérations géopolitiques, il faudra créer un Fonds souverain de la Transition Energétique et abandonner l'idée de la thésaurisation induite par le fonds de régulation des recettes, qui a montré ses limites, pour en investir les dividendes dans des activités économes en énergies fossiles ou basées sur des énergies renouvelables, créatrices d'emplois et dont une partie sera gérée en capital risque ouvert à la jeunesse diplômée, fer de lance du «Hirak». b- Les devises détournées par les oligarques et qui se comptent par milliards de dollars, planquées à l'étranger doivent venir alimenter ce Fonds souverain de la Transition Energétique. En consacrant les sommes volées par les oligarques à l'alimentation de ce fonds, vous en faciliterez la récupération puisque les pays où sont logés ces masses monétaires, dépendant des importations d'hydrocarbures, seront sensibles à la finalité de leur utilisation qui ne pourra qu'élargir, en retour, les disponibilités en énergies fossiles à leur plus grand service. Il est bien entendu, que les pays d'accueil de l'argent sale seront obligés par des procédures légales internationales rigoureuses mais également sensibles à l'utilisation de ces sommes dans la promotion des projets en énergies renouvelables qui pourraient aller, sous certaines conditions, jusqu'à se réaliser en faisant appel aux technologies que ces mêmes pays ont à offrir dans le domaine. Vous faites ainsi d'une pierre trois coups : (1) faciliter la récupération des dividendes dont a été spolié le peuple algérien, (2) accéder à des technologies souvent de pointe en mesure de vous aider à atteindre vos objectifs, (3) profiter de cette action vertueuse pour fonder de nouveaux axes d'une diplomatie écologique à même de vous ouvrir de nouvelles perspectives d'alliances en dehors de celles, lourdes et contraignantes, induites par le pétrole. c- La mise à disposition, dans les meilleurs délais, des fonds placés en bons du Trésor américains par l'ancien ministre Chakib Khellil qui ne servent qu'à financer la machine de guerre américaine contre les peuples arabes et les visées déstabilisatrices type «printemps arabes» pour semer chaos et guerres civiles dans votre ère arabo-musulmane. d- Une réforme profonde de la fiscalité basée sur une taxation adaptée au profile économique de votre pays. Vous évoluez dans un environnement très fortement marqué par la rente différentielle et vous avez un système de comptabilité nationale et de fiscalité basées sur la production de valeur ajoutée ! Il vous faut abandonner l'idée centrale de la taxation sur le travail dans un pays qui manque cruellement d'offres d'emplois pour évoluer vers une taxation de l'activité. En abandonnant les taxes sur le travail, vous le rendrez transparent et vous combattrez ainsi le marché noir et réintégrerez dans le giron des dispositifs sociaux ceux des travailleurs qui en sont exclus tout en modulant et compensant les nécessitées financières de l'Etat par une taxation plus forte sur les activités par l'imposition plus lourde des énergies fossiles consommées aussi bien par les ménages que par les industriels ou les services. Comme la consommation énergétique est une fonction linéaire de l'activité économique vous détiendrez entre vos mains un puissant levier de la transition énergétique. Les énergies renouvelables verront leurs activités complètement détaxées, ce qui sera la meilleure des incitations à l'accélération de la transition énergétique. L'agent collecteur des impôts sera la Sonelgaz qui consolidera les taxes via ses compteurs électriques et de gaz dont la relève peut se réaliser en ligne. Sonelgaz passera sous la tutelle du Ministère des finances et sera son agent collecteur le plus efficace. Le reste des personnels des impôts libérés, de leur charge de travail, seront investis de la mission de modernisation de leurs administrations et collecteront les impôts qui ne dépendront pas directement de l'action de la Sonelgaz et se concentreront sur les contentieux. Des solutions de financement de la transition énergétique existent mais elles nécessitent un fort consensus social et une légitimité démocratique encore plus grande que ce Hirak contribue de manière incroyable à mettre en place. Cela sera un processus court ou long ? C'est difficile à dire. Mais en mettant en place ces lignes de réformes vous parviendrez d'une part à séparer définitivement l'exécutif de la rente pétrolière et vous basculerez progressivement, sur une vingtaine d'années d'une économie de la rente des hydrocarbures à une économie de la performance. Vous y gagnerez emplois et industries de l'intelligence faiblement consommatrices d'énergies et renforcerez par une praxis sociale de l'activité économique anti-rentière de tous les jours, votre système démocratique. La rente ne jouera plus contre votre développement car c'est de la lutte contre ses méfaits que s'approfondira l'aspiration de votre jeunesse mure, battante et courageuse à l'élargissement de la sphère de la production et de son corollaire d'emplois pour offrir perspectives de dignité et de prospérité pour le plus grand nombre. De cette manière vous réconcilierez transition politique et transition démocratique en lestant cette dernière d'une transition énergétique vigoureusement anti-rentière. La transition démocratique et la transition énergétique sont deux faces d'une même pièce sinon nous n'aurions rien fait ! Nous serons alors en mesure d'éviter le détournement de notre démocratie ? Ce n'est pas certain. Je répète que les formes juridiques sont un préalable à la forme économique. C'est pour cette raison que vous gagneriez à insister sur la constitutionnalisation de la séparation de la rente pétrolière du pouvoir exécutif et sur une Loi de la Transition énergétique. De même je suis également convaincu qu'il vous faut sécuriser des prérequis financiers pour amorcer une transition énergétique réussie et vertueuse. Mais même si ces deux conditions sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes pour vous assurer la pérennité d'une démocratie vivante car les reformes de rupture d'avec la rente s'inscrivent dans un temps long qui dépendra de votre capacité réelle à dégager les surplus nécessaires pour financer la transition énergétique alors que les sollicitations de votre Peuple dans tous les domaines sont aussi pressantes que fondées. La démocratie ne doit pas être pensée comme une finalité de vos procédés transitionnels de toutes natures. Bien au contraire nous sommes des zélateurs de la mise en application de l'attitude démocratique en tous lieux, à commencer par l'éducation scolaire et en toutes choses, car elle initie la transformation. La démocratie au sens noble du terme constitue autant le chemin que la finalité de la transition. Chaque croyant sincère n'est-il pas à tout moment en transition vers Dieu ou attend-il le moment ultime pour s'élever à lui de manière définitive ? C'est de son exercice quotidien dans la vie sociale de tous les jours aux niveaux les plus modestes qui soient que vous construirez le système démocratique à la manœuvre de l'Etat. Pour cela, il vous faut partout prolonger le Hirak dans votre vie quotidienne. Cela est d'une importance cruciale car en politique rien n'est définitivement acquis et des forces contre-révolutionnaires aussi bien intérieures qu'extérieures n'hésiteront pas à investir au pas de charge le terrain que vous auriez le malheur de laisser libre dans des moments d'assoupissement de vos consciences politiques. Comment matérialiser l'action publique d'une telle transformation sur la longue durée ? C'est une question importante. La loi ne règle pas tout. Il faudra créer un Ministère de la Transition Energétique qui viendra dans l'ordre protocolaire du gouvernement juste après celui de la Justice. Il aura clairement préséance sur le Ministère de l'Energie qui lui rendra compte de ses projets structurants et qui aura droit d'amendements sur des aspects relatifs à la promotion des logiques énergétiques transitionnelles induites par l'activité des hydrocarbures. Il ne s'agit pas de contraindre le développement de vos ressources fossiles mais d'en affiner les axes stratégiques pour en faciliter les solutions de continuité dans des plates-formes d'intégration à l'économie nationale de la transition. Je souhaite aborder les questions relatives aux mécanismes concrets et immédiats de la transition qui occupe la scène politique de ces dernières semaines… Je préconise trois séquences pour assurer la réalité de la période transitionnelle matérialisant le passage d'un régime politique à un autre. Ces trois phases sont à leur tour séparées en deux temps, complètement différents dans leur nature. Mais j'entends l'adhan. Il est l'heure du f'tour. Il vaut mieux terminer cet entretien demain ne croyez-vous pas ? Propos recueillis par Brazi