La décantation politique à l'œuvre depuis le 22 février 2019 a déclenché une réaction populaire permanente et salutaire contre la tentative de démembrement de l'Etat et de ses prérogatives régaliennes au profit exclusif d'une alliance d'hommes politiques, de militaires et d'hommes d'affaires que l'argent réunissait. Les intérêts particuliers formaient les dynamismes d'alliances entre «clans», mais il serait plus juste de parler de coteries, s'entendant en réalité à détourner les fonctions de l'Etat dans ce qu'il exerce comme monopole au nom de l'intérêt général. C'est le cas du trucage des cadastres pour détourner les terres foncières, de la privatisation sournoise du commerce du pétrole nationalisé grâce aux retro-commissions en provenance des raffineries étrangères, de l'accaparement du commerce extérieur en particulier dans le volet de ses importations par le truchement de monopoles sur le sucre et l'huile, des franchises accordées sur des importations d'automobiles dont l'activité, factice de montage, s'est transformée en poule aux œufs d'or, des prébendes dans les douanes, leurs ports secs gérés par des entreprises privées et véreuses, de l'administration fiscale et jusqu'aux institutions sécuritaires instrumentalisées pour des objectifs politiques et économiques (comme l'action de l'ex-général Hamel). Tout cela n'évoque qu'une seule chose : des forces politiques se sont mises d'accord pour faire éclater l'Etat-National, sa République, ses Institutions, en faisant la promotion d'un Etat-Fédéral, s'appuyant sur les puissances internationales qui craignaient de voir émerger une alternative de niveau continental au flanc Sud-Ouest de l'Otan. Il n'est plus possible de parler d'affaissement de l'autorité centrale en invoquant simplement des forces de l'argent. Il s'agit en réalité d'un plan réfléchi et exécuté de longue date par de très hauts dignitaires aux commandes des fonctions centrales de l'Etat. Cela nous paraît d'autant plus tomber sous le sens que tout ce qui pourrait ressembler un tant soit peu à des organes de régulation et de contrôle comme l'Inspection Générale des Finances, la Cour des Comptes, le Conseil de la Concurrence, le Haut Conseil de l'Energie, l'Organe National de prévention et de lutte contre la corruption, le Conseil National Economique et Social, le ministère de la Planification se sont vus systématiquement restreints dans leurs mouvements non seulement dans le contenu juridique de leurs missions mais également dans les nominations de leurs dirigeants gelées pendant des années par les plus hautes autorités de l'Etat aux fins évidentes de les vider de leurs objectifs quand ils ne furent pas tout bonnement dissous. Silence, on pille ! Mais il faudrait être naïf pour s'imaginer que ces manœuvres de restriction puis d'effritement des champs d'actions supérieurs de l'Etat avaient pour seul but d'enrichir à milliards de dollars quelques privilégiés soigneusement choisis. En réalité cette mise à sac de la Nation à une échelle inimaginable ne pourrait avoir été aussi systématique et appliquée sans avoir été dans le même mouvement sous-tendue par une direction idéologique en intime accord avec les tendances lourdes de la mondialisation qui n'a de cesse de maintenir coûte que coûte les pays émergents dans leur statut de marchés de la consommation avec si nécessaire son corollaire de dispersion, de régionalisation des forces de travail et de dilution des accumulations du capital nécessaires au développement des activités durables et novatrices. Nous ne pouvons comprendre la nature de la guerre d'usure qui fut déclenchée contre notre Etat si nous ne tirons pas les conclusions stratégiques qui s'imposent au vu de la situation des Peuples du Machrek Arabe. Un plan de bataille défait par le «Hirak» Que nous prenions les cas de l'Irak, de la Syrie ou du Yémen, l'effondrement de leurs Etats Centraux fut précédé du pillage systématique de leurs ressources pétrolières, aspirées par la financiarisation de l'économie mondialisée, en intime interaction avec les puissances dominantes et en particulier les Etats-Unis qui font des Nations arabes «une terra americana». Cette action d'éclatement des Etats arabes du Machrek est une vieille idée sioniste imaginée par Ben Gourion, mise à jour par l'administration américaine au vu de l'exacerbation des contradictions avec la Chine se rêvant à nouveau en «Empire du Milieu» et désormais étendue progressivement au Maghreb. La débauche d'énergie d'un Bernard Henri Levy (BHL), se proclament ouvertement en service commandé pour sa Nation - prière de comprendre Israël - aux côtés des acteurs des «printemps arabes» puis son implication insistante dans la crise libyenne avec le dénouement chaotique que nous savons, renseignent suffisamment sur la ligne de force qui est au travail. Et lorsque nous entendons des Mohcene Belabbes prédire un Président potiche pour l'Algérie de demain, au mépris clairement affiché de l'action du «Hirak» qui a bouleversé les rapports entre le Peuple et son Etat comme jamais auparavant à l'échelon planétaire, nous ne pouvons-nous empêcher de nous souvenir d'un Said Sadi, perché sur une voiture de Police, appelant frénétiquement à la révolte, non pas contre les forces de l'argent maintenant emprisonnées au pénitencier d'El Harrach, mais contre la mafia militaire (sic !) juste après s'être fait photographier au festival de Cannes avec son ami… BHL. La réponse du Peuple est venue. En guise de révolte d'adolescent politique en mal de reconnaissance internationale, c'est-à-dire israélienne, nous avons eu le droit, à une révolution d'une maturité exceptionnelle balayant sur son passage - non pas dans ses formes mais dans le fond de ses revendications essentielles et de ses significations profondes - tous les irrédentismes au grand dam des courants berbéristes. Et cette mafia militaire que dénonçait un Said Sadi se rêvant en Allende algérien, sûrement du haut de ses accointances avec l'ex-direction des services de sécurité qui n'a pas hésité à lui présenter BHL, qu'a-t-elle fait ? S'est-elle mise à réprimer le mouvement populaire pour défendre ses «intérêts mafieux» à l'image des armées d'Amérique Latine ? A-t-elle défilé avec ses chars sur Didouche Mourad tous les vendredis ? A-t-elle organisé des rassemblements dans les stades pour assassiner des opposants politiques, courageux, dénonçant les agissements de la CIA et de leurs potiches, celles-là véritables. Oh que non ! Elle a réalisé deux choses essentielles depuis le 22 février 2019 : 1- récupérer ses services de sécurité, dévoyés de leurs mandats originels maintenant sous la coupe exclusive et intégrale de l'Etat-Major et de la Justice dans ses dimensions d'investigation ; 2- fonder une société étatique a caractère militaire le 11 juillet dernier, l'Etablissement de Développement des Systèmes Techniques en charge du développement de munitions intelligentes, en particulier les missiles de longue portée. Sont-ce là des armes que l'on utilise, pour frapper les immenses cohortes de manifestations civiques, urbaines et pacifiques du Peuple algérien ou pour assurer la défense autonome de la Nation et de ses richesses infinies ? C'est parce que l'Algérie ne pouvait être vaincue de l'extérieur, contrairement à l'Irak, la Syrie ou le Yémen, en raison d'un sentiment national persistant, nourri durablement par la Révolution qui a érigé la méfiance de l'étranger en instinct atavique, que les puissances transnationales ont décidé d'une stratégie de l'implosion, de l'effondrement de l'Etat sur lui-même, de la montée en tension des clivages sociaux même s'il fallait en créer de toutes pièces comme la promotion des courants islamistes rétrogrades Ahmadites, celle des chrétiens nouvellement convertis, des migrants entrés clandestinement dans le pays et de «leurs droits à la dignité» au Pays de… La dignité, mais aussi en soufflant sur la braise des identités régionales anciennes, au M'zab, en Kabylie, chez les Touarègues et jusqu'aux sectes modernes divisant les Algériens entre francophones, arabophones, berbérophones, enchâssant la citoyenneté dans un étau entre les deux mâchoires des corrupteurs et des corrompus. C'est de la multiplication des anfractuosités, dont le berbérisme fédéraliste est la faille la plus béante que les plus solides des rocs s'affaissent. Verbe long et idées courtes Cette logique fut à l'œuvre depuis le décès de feu Houari Boumediene, d'abord de manière imperceptible, ouvrant la porte à un libéralisme hybride bâti sur la rente pétrolière, c'est-à-dire un contre-sens économique puis de façon ouverte, mettant sur pieds une politique culturelle faisant du ministère de la Culture une succursale du CCF (Centre Culturel Français) avec les conséquences politiques que nous voyons aujourd'hui lorsque des dirigeants politiques, de partis agréés, appellent, en français dans le texte, sans vergogne, à abattre l'Etat-National au prétexte qu'ils ne se sont pas suffisamment servis à la table des hydrocarbures. Aussi, nous entrons dans une phase de surenchères politiques, d'invectives, d'opprobres de toutes sortes caractéristiques des points de basculement décisifs pour le futur de notre Peuple. C'est dans de telles périodes que les hommes politiques intègres, à l'image d'un Karim Younes, doivent se montrer fermes et déterminés face aux tendances médiatiques versatiles, ne reflétant en rien l'opinion du pays profond, alimentées par les réseaux sociaux en raison de la faiblesse culturelle et idéologique des organes de presse traditionnels. Ces médias devraient, dans de pareils moments, mettre en avant les programmes des uns et des autres. Que ceux qui professent des idées fédéralistes viennent s'exprimer sans masques devant l'opinion nationale. Que l'on nous explique par le menu détail le contenu de cette nouvelle Constitution au lieu d'ânonner «Assemblée Constituante !», «Assemblée Constituante !» comme si l'association de ces mots était suffisante en elle-même à déclamer un programme engageant le devenir de toute une Nation. Au lieu d'expliciter des idées, les leurs, voici que nos opposants démocrates, les mêmes qui furent nourris pendant trente ans à la mamelle du système de la corruption et des compromissions, préfèrent verser dans l'invective, désignant des personnes comme les symboles d'un système qu'il suffirait d'écarter (il s'agit de Gaïd Salah, le vice-ministre de la Défense) pour enfin se débarrasser de «la mafia des militaires». La puérilité d'une telle vision renseigne plus qu'il ne le faut sur les idées courtes des thésards du fédéralisme qui n'ont pas le courage politique d'expliquer clairement leurs objectifs. Que l'on vienne sur des plateaux télévisés dire les choses, que les fonctions centrales de l'Etat doivent revenir aux régions, que le barrage de Taksebt, financé sur le Budget de l'Etat doit alimenter exclusivement la Kabylie tel que nous l'avons-nous-mêmes entendu de la bouche d'un dirigeant du RCD, fils d'un héros de la Révolution, que les dividendes du Pétrole doivent se partager en fonction d'une péréquation inique, que le drapeau amazigh doit flotter aux côtés du drapeau au Croissant et a l'Etoile lors des manifestations internationales sportives comme ce fut le cas dernièrement à Tunis lors d'un tournoi de karaté, que le tamazigh doit constituer la langue exclusive de travail des administrations régionales, que l'ordre et le Conseil des tribus des Ait Imazighen doit se substituer à celui des regroupements régionaux interétatiques etc. Que ces idéologues nourris à la rage identitaire, maladie instillée depuis de très nombreuses décennies par la France d'abord coloniale puis néocoloniale viennent donc nous dessiner les contours précis d'une Nation fédérale, mettre en pointillés sur la carte de l'Algérie les délimitations des régions identitaires, leur mode de fonctionnement et de partage des richesses minières, sur le dos des régions déshéritées de notre Grand Sud ! Qu'attendent-ils pour le faire dans les canaux de télévision qui sont depuis longtemps leurs porte-voix ? Et que leurs répondront les populations du Sahara… et nous serons, si de telles évolutions se faisaient jour, de ceux-là ! Le pétrole aux Peuples du Sahara ! Il n'y a pas d'autres alternatives que celles qui furent imaginées par nos Martyrs. La République une et indivisible d'Est en Ouest, du Nord au Sud, partout algérienne, systématiquement Démocratique dans le respect de ses cultures populaires d'une extraordinaire diversité pour notre plus grand émerveillement des mille et une facettes de ses dimensions locales toutes articulées dans un même souci d'équité et d'égalité des chances aux politiques populaires, c'est-à-dire, sociales d'un Etat Central. Sinon, ce sera le chaos dont même les Libyens n'ont pas idée.