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Le «Hirak», les «béni oui-oui» et les «ventriloques»
Publié dans La Nouvelle République le 12 - 10 - 2019

Le «Hirak» est partagé entre deux tendances politiques en apparence irrémédiablement opposées. D'un côté, les «béni oui-oui» applaudissaient hier le Cadre et s'extasiaient devant les exploits de leurs oligarques et de l'autre côté, «les ventriloques» interprètes en chef des gorges profondes d'une République insondable pour les Algériens mais transparente pour les «élus» du système. Ces deux camps «travaillent» au corps le «Hirak» et déploient d'immenses efforts pour influencer ce qui reste du mouvement social, dans la rue du vendredi, en tentant de le convaincre de tout et de son contraire. En réalité, ils sont unis par ce qu'ils ont à perdre plus que par ce qu'ils ont a gagné. En rentiers de la politique, ils ont à cœur la défense de leurs positions acquises étant incertains d'un avenir désormais entre les mains d'un Peuple enfin en capacité culturelle de reprendre le contrôle de sa destinée. FLN et RND de l'alliance de la bureaucratie, coquilles vides du régime des brosseurs, jurent un peu tard qu'ils ne tourneront plus le dos à leurs concitoyens. RCD, PT, FFS, MPA (les Partis berbéristes) mais aussi Hamas, FJD, TAJ (les partis islamistes), alliance contre-étatique de la masse de manœuvre au service de l'ex réseau DRS d'avant 22 février 2019, s'ingénient à s'inventer une histoire immaculée dont seuls ceux qui souffrent d'un dédoublement de la personnalité sont capables. Et le Peuple dans tout cela ? Orphelin d'encadrements partisans, syndicaux et associatifs honnêtes, Il donnera sa réponse le 12 décembre prochain lors des élections présidentielles, dans une missive participative cruciale adressée au seul «parti dirigeant» digne de ce nom, l'ANP, pour lui indiquer en point final d'un dialogue à nul autre pareil, par-dessus les épaules d'institutions civiles ayant perdu toute crédibilité, l'avenir qu'il se sera souverainement choisi.
Qu'ont-ils encore à dire ces partis, thuriféraires de la bureaucratie algérienne, prompts à applaudir des deux mains toute initiative du régime quelle qu'en soit la pertinence ? Qu'a donc produit le FLN depuis son dernier texte idéologique de bonne tenue, la Charte nationale de 1976 ? Ce parti de la libération et de la dignité n'a plus été que l'ombre de lui-même au moment où sa direction fut prise d'assaut par les forces de l'argent achetant Comité Central, Bureau Politique et sièges de députés. Ses uniques concepts se résument à des règlements de comptes lorsque par un heureux hasard il ne s'agit pas d'affaires louches et interlopes ou l'escroquerie la dispute au vol des subsides de l'Etat en particulier dans le secteur agricole, soutirées par des aigre fins estampillés FLN, à coups d'évocations abjectes de leurs glorieux ainés, morts au champ d'honneur.
Ratissant largement les subventions généreusement accordées aux paysans bien plus que les voix d'un secteur rural qui lui est traditionnellement acquis, le parti de l'indépendance a depuis longtemps délaissé les masses paysannes pour s'appliquer à jongler avec les masses monétaires dont on a régulièrement un petit aperçu lors «des élections» municipales, de wilaya ou législatives. De quel dialogue peut-il encore s'agir entre des électeurs et un Parti, lorsque son chef à l'image d'un Djamal Ould Abbès pour ne pas évoquer un Amar Saâdani, galvaudent avec un cynisme insondable, le combat de leurs aînés - des géants comme Abdelhamid Mehri ou Boualem Benhamouda - dans des interventions publiques tragi-comiques où l'esbroufe et l'hypocrisie tiennent lieu de directions programmatiques ? Entre l'enrichissement illicite et les destinées de l'arrière-pays, le FLN a tranché, laissant sur le carreau un monde agricole, gardien d'une fierté paysanne millénaire, bafoué par le revanchisme «rurbain» des partisans du fromage rouge et du cachir.
Si le pays profond se trouve depuis bien longtemps sans encadrement et donc privé de dialogue, il n'en va pas forcement différemment de la petite bourgeoisie et des classes moyennes citadines. Le FIS avait réussi, pour la première fois depuis l'indépendance, à offrir une perspective idéologique partisane populaire puissante aux villes en butte à une crise de croissance que la plongée du prix du baril ne pouvait pas permettre de résorber sur le court terme. Sa confrontation fatale avec une direction militaire francophone et laïque, si elle a permis d'éviter le basculement du Pays vers un régime islamique à très forte connotation théocratique a cependant privé la population urbaine, désormais très largement majoritaire, d'une structuration favorisant à défaut de son intégration économique, du moins sa participation à la vie politique.
Pour pallier aux aspirations citoyennes des villes, le régime d'alors inventa le RND, construction de son architecte en chef maintenant en prison, l'ex Premier Ministre Ahmed Ouyahia, organisation partisane qui a souffert dès le départ de sa conception hybride. Voulu comme un Parti de Pouvoir, s'appuyant sur les classes moyennes supérieures citadines, il porte dans son ADN les gênes de l'ex DRS et ses arrière-pensées d'éviction du FLN, dans un glissement progressif mais imperceptible de l'Etat Central vers l'Etat-Fédéral. Ce parti de l'argent par milliards de dollars et du démembrement des services de l'Etat, y compris par l'instrumentalisation de la planche à billets au détriment des capacités de développement du Pays, est aujourd'hui maintenu sous respiration artificielle pour des raisons qui tiennent plus à la fiction du jeu politique institutionnel qu'en raison de services éminents qu'il rendrait à la «société bourgeoise» dont il est censé préserver les intérêts.
La rente pétrolière et ses impasses de la représentation populaire
Le monde ouvrier quant à lui, desservi par une industrie ne pesant pas plus de 5% du PIB, connait depuis très longtemps une crise de la représentation en raison d'une partition syndicale démocratique formellement limitée par un Etat-Central qui s'est de tous temps méfié d'un secteur social très politisé, plus prompt à défendre ses intérêts étroits plutôt que ceux, supérieurs, de la Nation. En usant de la politique de la redistribution des subventions issues de la rente pétrolière, l'administration bureaucratique au pouvoir a pilonné de manière systématique ses classes manufacturières, par l'accès au logement par exemple, pour qu'elles ne puissent jamais jouer le rôle puissant d'une UGTT tunisienne, source d'une contestation constante du régime en place.
Il reste les partis issus de l'explosion d'Octobre 1988 dont on a vite fait les productions d'une démocratisation naissante là où il ne s'agissait en réalité que d'un réaménagement au sein du monde univoque de la rente pétrolière. Ils en portent la marque distinctive, plus enclins à l'idéologie fainéante qu' à la politique exigeante, partis à l'encadrement militant de base hésitant, se préoccupant bien plus de la négociation du nombre de sièges au Parlement de la cooptation et mieux encore des maroquins au gouvernement d'une République censitaire qui ne veut pas dire son nom que de l'encadrement d'une société civile dont ils se font, de manière cavalière, les représentants patentés.
Alors que PT, RCD et Hamas trouvaient chacun à leur manière des qualités à «l'Etat civil» de Bouteflika, les voilà sous la pression du «Hirak», toutes griffes dehors, brandissant des marionnettes censées figurer le régime désormais affublé du qualificatif «de militaire» , prêtant à l'ANP des intentions putschistes tels des ventriloques faisant parler des personnages qui n'existent que dans leur imaginaire politique. Et voilà l'Algérie comparée au Chili de la dictature militaire…la bourgeoisie conservatrice d'origine européenne de l'Amérique Latine en…moins, alors que, dix ans plus tôt, cette armée était portée, par les mêmes qui la conspuent aujourd'hui, au pinacle de la Nation Républicaine pour son engagement à défaire «l'hydre islamo-conservatrice».
Un dialogue entre le peuple et son armée
En réalité le «Hirak» que le Pays connaît, sans aucune interruption depuis le 22 Février 2019, a non seulement mis à nu, les turpitudes d'un régime prévaricateur que l'histoire condamnera, les incroyables limites d'un Etat plus préoccupé par la gestion de la rente pétrolière à son profit, tout à son aise de l'affranchissant des assujettissements sociaux que les prix du baril lui ont autorisé mais aussi la formidable complicité coupable des partis aussi bien de «pouvoir» que «d'opposition», achetés par les largesses d'un gouvernement faisant des budgets issus de la vente des hydrocarbures un instrument de domestication redoutable des consciences.
Lorsque tous les canaux d'échanges, entre société civile et société politique se fermèrent les uns après les autres, submergés par les flots de pétrole et de dollars, et qu'en sus l'ex Président de la République ne fut plus en capacité de gouverner par le verbe suite à un AVC qui paralysa l'Etat, que restait-il à la Nation pour converser avec elle-même, en particulier sa force vive, sa jeunesse si ce n'est un dialogue dramatiquement silencieux avec... les poissons !
Aussi, c'est le peuple qui a pris sur lui d'interpeller pacifiquement son armée, dès les toutes premières manifestations du Hirak, par ce slogan fédérateur «Djeich, Chaab, khawa, khawa !» comme pour mieux signifier - non seulement la convergence d'intérêts stratégique entre classes populaires et société militaire puisque les partis civils toutes tendances confondues ainsi que le jeu parlementaire démocratique lui font cruellement défauts – mais aussi la nécessité et l'urgence d'une prise en charge sérieuse et rigoureuse de ses revendication politiques. C'est à cette occasion qu'un dialogue, sans intermédiation, à nul autre pareil fut noué, avant la diversion de la bannière berbériste véritable «False Flag» de la bande, dans des questions sidérantes de maturité d'un Peuple interrogeant tous les vendredi, par-dessus les épaules des institutions civiles, son armée pour l'inciter à une interprétation audacieuse des articles de la Constitution, contre les forces de la réaction, actives dans tous les rouages qui font la puissance de l'Etat, au sein des forces armées, dans les services de renseignement, dans les forces de police, dans le secteur de la Justice mais aussi au niveau des administrations centrales et… des partis aussi bien du Pouvoir que de l'opposition ! La suite et donc la réponse à ce dialogue, lors de la survenance touchante de sincérité du Hirak des premières manifestations - avant son dévoiement par des forces politiques cherchant à imposer un autre agenda - nous ne la connaissons… pas car en réalité elle sera indiquée lors des élections présidentielles du 12 décembre 2019. Une participation massive au scrutin donnera le coup d'envoi à un bouleversement de la vie politique, économique et sociale que nous ne mesurons pas correctement car nous avons encore du mal à saisir la puissance culturelle de la prise de conscience des masses populaires.
Le changement sera d'autant plus profond que son aspiration est portée par toutes les couches sociales excepté celle dont les représentants sont désormais hébergés pour longtemps à l'Hôtel de la République. La refondation en cours verra progressivement la naissance et la réforme radicale de partis politiques, de syndicats et d'associations enfin représentatifs des aspirations diverses et variées de notre société au plus grand bénéfice de son développement. Quel que soit le Président qui émergera de cette phase charnière pour la Nation, la première de ses taches sera toutes affaires cessantes de lancer le chantier de la modernisation irrévocable de la vie démocratique dans ce pays, démultiplicateur de force indispensable des chantiers titanesques que requière l'émergence de l'Algérie dans tous les domaines pour se hisser au niveau des exigences populaires qu'elle mérite.


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