Notre perception instinctive de l'Etat est née du souffle du Prophète (QSSSL) à Médine en 622 lorsque son pouvoir temporel s'y exerça. De cette histoire procède l'article 2 de notre Constitution, « L'Islam est la religion de l'Etat » qui ne peut se lire en son sens inversé : « la religion de l'Etat est l'Islam ». La forme juridique de l'organisation sociale vient de l'inspiration prophétique première alors que ses déploiements sont subséquents de ses expirations islamiques. En raison de la mission divine confiée par l'ange Gabriel au Prophète (QSSSL) – celle de la rectification des messages précédents déformés de la vérité divine – fut entreprise à Médine une action correctrice des monothéismes précurseurs. Le Prophète (QSSSL) mis en présence de tribus arabes chrétiennes ou hébraïques, monothéistes, y organise un Etat du respect des gens du Livre. La liberté des cultes monothéistes est ainsi postulée en contrepartie d'impôts conférant à l'Islam un statut constitutif de l'Etat, tout autant que protecteur de la raison même de son existence, en défense des religions monothéistes d'une part et contre les pratiques du paganisme de l'Arabie ancienne d'autre part. Cet Edit de Nantes (1598) d'avant l'heure, de la liberté religieuse pour les tribus monothéistes connu sous le nom de Constitution de Médine (la Sahifa – 622), renforcée par le Pacte de Najran (631) fonde les libertés collectives en Islam. La liberté individuelle, celle de la croyance, fut reçue en premier lieu par une femme Khadija, se constitue par elle-même et pour elle-même dans le choix délibéré du Prophète (QSSSL) en dissidence revendiquée des Qurayshites bien avant la promulgation de l'Habeas Corpus (1679). Libertés collectives et individuelles prennent forme en Islam au sein de la révélation de l'unicité divine faites d'interrogations diversifiées du texte coranique par ses exégètes, donnant naissance à plusieurs rites doctrinaires islamiques en objections d'entre eux-mêmes et des autres législations monothéistes ouvrant ainsi la voie au droit comparé, à une civilisation de la modernité en marche d'un universalisme défiant un autre universalisme contemporain, le constitutionalisme. Tout le débat qui nous occupe revient à se poser la question de savoir si le constitutionalisme qui semble avoir envahi la planète entière, se pose en des mêmes termes partout. Et qu'au nom de ce mouvement universel, il s'agit de comprendre si une Constitution est inévitablement en contradiction fondamentale d'avec la religion. Une première école, occidentale en l'occurrence, pose leur incompatibilité de manière radicale. Nous en sommes d'accord tant le judaïsme de la fermeture sur un seul peuple et le christianisme des autodafés subis et infligés en procès réciproques d'hérésie, s'annoncent au monde en exclusion d'un ordre ancien, païen et voué aux gémonies, évinçant toute idée d'inclusion et de tolérance et écartant toute velléité de différentiation qualifiée «d'hérétique» entraînant des guerres de Cent ans au sein d'une même foi religieuse. Cette position vient en réalité d'une naissance première du judaïsme et du christianisme dans un monde de la diversité infinie des croyances d'humanités, en expressions différenciées de paganismes aussi nombreux que les caractères culturels homogènes dont ils sont issus. Simplement le Prophète de l'Islam (QSSSL) a, dès 622, statué en compatibilité de la religion et de la Constitution, car l'Islam est né dans une période dont la dynamique générale était déjà acquise au monothéisme en tant qu'idée neuve ouvrant le monde à une conscience supérieure de soi. De ce positionnement original, en consistance de reconnaissance compétitive des autres monothéismes déjà révélés, vient la capacité de l'Islam à inclure la pensée des autres (hébraïque et chrétienne en l'occurrence) pour intégrer en sa propre dynamique la recherche du dépassement de leurs spiritualités respectives plus qu'en affrontements de leurs convictions communes. Aussi, nous pouvons affirmer que le message coranique, du fait des conditions spécifiques spatiales et temporelles de sa naissance même, prononce l'universalisme le plus achevé au point où il est nécessaire de se poser la question de savoir s'il est en mesure de répondre à trois principes fondamentaux postulant au cœur du constitutionalisme mondialisé : la limitation des pouvoirs, le principe de légalité des lois en ce qu'elles sont publiques et générales, et enfin, la protection des droits fondamentaux à savoir la liberté de conscience, la liberté d'expression et la liberté de la vie privée. L'Islam de l'universalité respectueuse Pour des raisons qui tiennent aux trop longs développements que cela impliquerait, nous nous contenterons d'ébauches lapidaires pour les deux premiers points et de commentaires plus détaillés sur celui des libertés fondamentales. Pour ce qui concerne le premier point, nous nous bornerons à souligner que la limitation des pouvoirs exprimée en leur principe universel de séparation est de facto postulée à partir du moment où la parole divine, celle de Dieu est recueillie dans le Saint Coran alors que l'action du Prophète (QSSSL), pourtant messager de Dieu, matérialise les instructions de sa temporalité en un texte distinctement séparé du livre des croyants. Et si le Prophète (QSSSL) ne se compromettait pas en confusions entre le temporel et le spirituel, que ne devrait-on opposer aux mouvements islamistes radicaux lorsqu'ils postulent à l'application stricto sensu du texte coranique et non pas de son interprétation dont le Prophète (QSSSL) fut le premier exégète ? Pour ce qui est de la légalité des droits, elle a fait l'objet de très longs débats doctrinaires dans notre très riche tradition islamique à tel point qu'elle donna naissance à quatre écoles juridiques fort différenciées dont le malékisme s'avère le plus proche de l'Islam premier médinois. Venons-en donc à la discussion qui nous concerne aujourd'hui à l'examen de la compatibilité de l'Islam et des droits fondamentaux. Le constitutionalisme en tant que mouvement philosophique dans le sillage de la gouvernance idéale, en influence de la tradition hellénistique, établit comme principe de base, la diversité idéologique sur des questions essentielles en particulier sur les libertés religieuses. Or, du fait même d'un positionnement tout en dialectique des autres monothéismes cette question de principe est tranchée par l'Islam aussi bien dans sa pratique historique que dans son corps doctrinaire. En Islam, les questions de mariage, de divorce, d'héritage et tout ce qui relève de la vie privée est du strict ressort de chaque culte. Et même du point de vue du pluralisme prescriptif, il n'est pas reconnu un avantage à une religion sur une autre si ce n'est de payer des impôts en raison d'un service de défense en guerre proposé par l'Islam en protection du paganisme comme seule limitation admise à la liberté d'exercice de culte. Enfin, du point de vue prescriptif à l'individu et non plus à la collectivité cultuelle, seul le mariage d'une musulmane avec un non-musulman n'est pas admis mais l'inverse est possible, ce qui ouvre notablement à l'autonomisation du droit prescriptif en direction de l'individu. A ceux qui lui reprocheraient d'ignorer d'autres spiritualités, asiatiques en l'occurrence, n'est-il pas dit : «Si nous avons fait de vous des peuples et des tribus, c'est en vue de votre connaissance mutuelle» (Sourate 49, verset 13, dans la traduction du Coran de Jacques Berque dans son édition revue et corrigée de 1995, éditions Albin Michel) ? De ce qui précède, il existe en Islam une très forte garantie des croyances, des droits de conscience, cœur de nos libertés collectives, et dont l'Islam de Cordoue était une expression en quintessence et un défenseur acharné et dont les traditions juives et chrétiennes sincères se souviennent encore avec émotion jusqu'à ce jour, de ce que les juristes nomment aujourd'hui le respect des droits négatifs. Le constitutionalisme, du fait de sa naissance américaine et française, pour des raisons de considérations particulières à l'histoire et à la formation de ces deux Nations, ont laissé une forte marque de confrontation avec l'ordre morale religieux qui était le leur, le christianisme dans sa version catholique pour la France et le protestantisme pour les Etats-Unis. D'où l'inconfort du constitutionalisme en tant que mouvement philosophique en face d'une religion (l'Islam) qui l'a précédée dans ses modalités universelles et qui ne lui laisse que peu de prise dans sa confrontation morale au «phénomène coranique» pour reprendre une expression lumineuse de Malek Bennabi, faites d'adaptation et de souplesse, lui permettant une expansion cinétique impressionnante plus de XIV siècles après sa révélation. De la signification «du cadre des principes islamiques» A tel point qu'il nous arrive de penser, en toute franchise, que la supériorité de l'Islam sur le constitutionalisme ne provient pas uniquement de sa supériorité d'ordre morale mais bien de sa capacité à proposer un ordre juridique propre de l'évitement, comme si les conditions de sa naissance aux lignages unilinéaires le poussait spontanément à éviter les confrontations à l'ordre de la morale constitutionnelle en tant que religion nouvelle du mondialisme triomphant dans une logique inversée des paradigmes. Dans cette propension que possèdent les principes islamiques au dérobement stratégique en incubation d'un corps doctrinal juridique en gestation d'une confrontation à l'échelon mondial sur les plans politiques, il serait tout à fait réalisable de mettre en conformité l'ordre morale et l'ordre juridique à partir du moment où ce dernier serait inspiré de principes islamiques suffisamment «pacifiés» sur le plan de l'interprétation conceptuelle. N'est-ce pas là le message moderne et plein d'intelligence de la Proclamation du 1er Novembre 1954 et dont nous souhaitons ardemment la constitutionnalisation lorsque nos Chouhada appelèrent à «la restauration de l'Etat algérien souverain démocratique et social dans le cadre des principes islamiques». Les domaines du droit moderne couvrent de très nombreuses sphères et il n'est bien entendu pas ici question de les épuiser. L'effort intellectuel de mise en conformité d'un droit juridique en diapason des valeurs morales et religieuses d'un peuple est celle de toute une Nation sur plusieurs générations. Il se réalisera quand les conditions de différentiations sociales endogènes et exogènes seront suffisamment poussées pour voir s'affirmer une telle convergence qui donnera un avantage certain aux sociétés politiques qui feront l'effort d'en initier les paradigmes en cours d'élaboration patiente sur le long terme. Alors que le constitutionalisme prétend partout, au niveau des Etats, à la fin des valeurs morales s'effaçant devant la force du droit, l'Islam des peuples lui apportera toujours la contradiction car il prétend s'appuyer sur la morale pour incarner l'équité du droit. Nous n'attendons pas que notre texte constitutionnel règle, en quelques mois de débats, de tels questionnements. Mais à partir du moment où en son article 2 est affirmé que «l'Islam est la religion de l'Etat» et que dans le même temps en son article 35, alinéa 1 «les droits fondamentaux et les libertés sont garantis par l'Etat», il y a là une posture d'un questionnement théorique dont nous devons tous ensemble établir la démonstration véritable. D'où l'importance de l'ouverture de la Cour Constitutionnelle à la saisine citoyenne d'une part pour aider à la conceptualisation novatrice du droit et, d'autre part, la nécessité pour cette Cour Constitutionnelle de l'élargissement de sa composition aux autorités morales et religieuses de nos zaouïas historiques à la longue tradition islamique de la transcendance morale. Il est certain que l'inclusion de la déclaration du 1er Novembre au sein du préambule constitutionnel donnera le départ de débats intellectuels stimulants. Et contrairement à ce qu'en prétendent les adversaires d'un tel geste, cela sera une pierre fondatrice de pensées de l'inclusion tant les peuples musulmans en possèdent la mémoire génétique, l'expérience historique pratique, préludes à une intégration qualitative des sincérités identitaires en processus d'évolutions salutaires de notre peuple héroïque. (À suivre)