Jamais la presse ne s'est retrouvée, autant qu'aujourd'hui, dans une situation qui n'engage rien de moins que sa survie économique. Paradoxalement, jamais le rôle de la presse ne s'est avéré, autant qu'aujourd'hui, d'une importance aussi cruciale dans l'accompagnement de la vie politique et sociale. Le président de la République l'avait compris, lui qui, dès son discours d'investiture et par la suite lors de ses nombreuses communications, avait émis le vœu que la presse puisse jouer le rôle qui est le sien à la lumière des changements qu'il annonçait à l'horizon de la nouvelle Algérie dont il posait les bases dans son programme. Un vœu qu'accompagnait également le souhait que cette presse qu'il voulait libre puisse devenir également éthique et professionnelle, nationaliste et engagée, loin de tout amateurisme et de toute compromission avec l'étranger. Fort d'une vision que porte son programme, le Président Tebboune a à faire avec un contexte d'après-Hirak, très complexe des points de vue social, économique et politique, où la communication et l'information, la pédagogie autant que la clarté, sont autant d'instruments adjuvants en faveur de sa démarche pour le processus d'édification de cette Algérie nouvelle qu'il appelle de ses vœux. Comment, dès lors, concevoir une telle démarche qui appelle la contribution de tous les acteurs en mesure de le faire, y compris la presse, quand celle-ci est l'objet de défiance et d'une focalisation comptable singulièrement inappropriée pour le contexte ? Cela, sachant que la presse ne peut en aucun cas dépendre de santé financière pour survivre ni ne doit être otage de crises censées justifier sa disparition, car il n'est en aucun cas admissible de laisser mourir un des marqueurs de l'histoire contemporaine de notre pays, pour une question de finance, surtout en l'absence de tout modèle économique viable. Affaiblir la presse au nom d'un pragmatisme financier dans un contexte où le Président, qui a un programme audacieux et ambitieux pour l'Algérie et qui fait face à une adversité inédite au niveau national et à l'international, est à tout le moins contreproductif et procède d'une perception et des décisions et actions qui en sont induites, qui ne semblent pas en adéquation avec les enjeux de l'heure et des forces qu'il faille mobiliser pour les gérer. Les actions inscrites au programme du Président sont des actions structurantes réalisables sur le moyen et le long terme politique, et le choix de les concrétiser tout en poursuivant une politique sociale en adéquation avec les principes de Novembre relèvent du choix le plus difficile – au demeurant compréhensible -, qui a besoin de susciter la plus grande adhésion de la part des citoyens, et donc aussi d'un accompagnement médiatique conséquent qu'une presse agonisante, éreintée financièrement et incapable de retenir ses meilleurs journalistes, ne peut assurer comme il se doit. Outre de dire franchement la nécessité, pour ceux qui sont chargés de mettre en œuvre le programme du Président, de mieux conforter sa vision, on ne peut, non plus, faire l'économie de rappeler que la presse, si elle est en mesure d'accompagner une politique gouvernementale, de l'éclairer sous tous ses contours, d'en critiquer – au sens constructif de ce vocal – les différentes articulations, se doit également d'avoir un ancrage social propre qui lui permette d'être à l'écoute des pulsations de la société et des différentes catégories qui la composent, et des positions alternatives des formations politiques et de leurs bases. Seule une presse forte peut continuer, professionnellement et éthiquement, être au service de l'Etat et de la collectivité nationale, à dire, sans complaisance ce qui doit être dit, à signaler et à dénoncer ce qui doit l'être, à confronter, sans parti-pris, à la lumière des faits et au gré de sources fiables, une vérité et son contraire, la vérité et le mensonge. Affaiblie, rendue vulnérable, battue en brèche par maladresse ou sciemment, la presse cesse d'être le reflet de la société, de la politique et des aspirations quotidiennes des citoyens. Elle devient, à son corps défendant, l'espace d'une fausse élite emplie de frustrations et mue par les petites vengeances, prête à se vendre, à marchander sa conscience, à céder à la tentation populiste, au lieu d'être un haut lieu de déploiement de l'intelligence pratique, et le ferment d'une intransigeance libertaire républicaine au service du progrès, de la vérité et de la justice. Ce n'est point la multiplicité des journaux qui consacre le pluralisme médiatique, mais bien la diversité des titres et la richesse de leurs expressions éditoriales ainsi que la proximité judicieuse de celles-ci d'avec les perceptions et les attentes du lectorat que la presse brasse parmi les meilleurs citoyens. Le mérite de la presse est d'être dans un rôle de «médiateur» entre les gouvernants et les gouvernés, et d'être à la jonction d'un dialogue dont elle est, pour ainsi dire, l'interprète. C'est un rôle crucialement tributaire du maintien de la confiance des premiers et des seconds. Une position impossible à tenir si la presse ne se maintient pas absolument dans une impartialité irréprochable. Cela, à condition qu'elle survive, à condition qu'on la laisse vivre.