L'autrice est récompensée pour son diptyque autobiographique, « Le Coût de la vie» et «Ce que je ne veux pas savoir». Nous l'avons interrogée. Les éditions du Sous-sol avaient déjà obtenu le prix Femina étranger en 2019 pour le formidable Ordesa, de Manuel Vilas. Les voici à nouveau couronnées pour Ce que je ne veux pas savoir et Le Coût de la vie, deux volumes d'une trilogie autobiographique de Deborah Levy, traduits par Céline Leroy. «Ce printemps-là, alors que ma vie était très compliquée, que je me rebellais contre mon sort et que je ne voyais tout bonnement pas vers quoi tendre, ce fut, semblait-il, sur les escalators des gares que je pleurais le plus souvent.» Ainsi commence cette fulgurante et passionnante introspection, «autobiographie vivante» selon l'autrice, car écrite au fil des jours et non de manière rétrospective. Deborah Levy a alors la quarantaine et son mariage s'est effondré. De cette expérience ordinaire, elle parvient à faire la trame d'un récit passionnant, aussi poétique que drôle et stimulant. C'est tout un chemin vers l'écriture, mais aussi une forme de liberté intérieure, qu'elle retrace au fil des souvenirs, des rêveries sur les artistes aimés et des digressions savoureuses. Née en Afrique du Sud, elle est la fille d'un militant de l'ANC, qui fut emprisonné, avant que la famille ne puisse quitter le pays pour l'Angleterre. Lectrice de Beauvoir ou de Marguerite Duras, elle interroge la condition de l'autrice, l'importance de questionner les conditions matérielles dans lesquelles un écrivain crée. Féministe, elle met en avant cette manie inculquée aux femmes, surtout passé un certain âge : ne pas se tenir pour le personnage principal de leur propre histoire. «Pour devenir écrivaine, j'avais dû apprendre à interrompre, à parler haut, à parler fort, puis bien plus fort, et à revenir simplement à ma propre voix qui ne porte que très peu.» Trois questions à Deborah Levy. Le Point : vous définissez vos livres comme une autobiographie en mouvement, par opposition à celles écrites après coup. Pourquoi ? Deborah Levy : Ces livres ont été écrits dans le flux de la vie, pas en tâchant de regarder en arrière pour recréer une histoire cohérente, racontée avec sagesse. Aucune vie n'est une histoire simple. Vous racontez que vous avez dû lutter contre vous-même pour faire entendre votre voix. Est-ce plus difficile pour une femme ? Je pense qu'il reste vrai que les filles et les femmes de tous âges ne se voient pas comme le personnage principal de leur propre histoire. Le sentiment commun est que les personnages centraux, ce sont les garçons et les hommes, et que les filles et les femmes n'ont qu'un rôle mineur à tenir. Pour une autrice, donner à ses personnages féminins une subjectivité et des désirs semblables aux siens, c'est accéder au rôle de personnage principal. Vous citez Kierkegaard autant que Bowie... Dans ce flux de références, qui sont les artistes qui ont le plus compté pour vous ? Bien sûr ! Aucune raison de ne pas citer un philosophe aux côtés d'une rock star ! Pourquoi ne pas lire Lacan le mardi et écouter Lady Gaga le mercredi ? L'une de mes sources d'inspiration pour écrire a toujours été le cinéma. Je pourrais citer Céline Sciamma, Claire Denis, Agnès Varda, Chantal Akerman, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard, David Lynch, et certains Bergman – tous ces artistes m'ont appris des techniques en termes d'architecture narrative, de rythme et d'atmosphère. Pour moi, quand je raconte une histoire, le plus important est qu'elle soit énigmatique – qu'elle ne rende pas la vie moins mystérieuse qu'elle ne l'est.