« L'Algérie ne me doit rien, mais moi je dois à l'Algérie. Je dois d'y être né, d'un père d'Aïn-Beïda, d'un grand-père et de toute une lignée venue de la Basse-Casbah. Je dois à l'Algérie d'avoir vécu de soleil, d'avoir été nourri de son amour pudique et braillard, excessif et profond, ensemencé des cris de la rue, où j'ai appris la vie, la lutte, la fraternité ». Son chef, le commandant de l'ALN, Si Azzedine, écrira en 1976 : « Parmi [les infirmiers et médecins], l'une des figures les plus attachantes fut celle de notre infirmier zonal, Hadj. Nous l'appelions ainsi, mais son vrai nom était Ganacia (sic). Il était israélite, parlait très bien l'arabe. S'agissant du prétendu antagonisme de nos origines religieuses, je voudrais qu'on le sache : Hadj est mort, refusant d'abandonner ses blessés. C'était un frère et nous l'avons pleuré. À Boukren, il sauva Boualem Oussedik de la gangrène. Hadj est mort à Tiberguent, en défendant une infirmerie et les blessés dont il avait la responsabilité.» La lettre que Hadj adressa à ses parents nous renseigne sur son haut degré d'engagement, sur l'enthousiasme et la conviction qui l'animaient pour une Algérie indépendante : « Chers parents, j'emprunte l'organisation du maquis pour vous faire parvenir de mes nouvelles qui sont excellentes. (...) Bien des aventures me sont arrivées, mais celles-ci je me réserve de vous les conter après l'indépendance inchallah. A bientôt dans une Algérie libre et indépendante ». « Si j'avais su qu'il était tombé, je l'aurais remplacé », aurait déclaré son père quelques années plus tard. Un autre exemple nous vient du Dr Daniel Timsit, né à Alger en 1928, dans une famille modeste de commerçants juifs, descendant d'une longue lignée judéo-berbère. Il participa activement à la guerre d'indépendance de l'Algérie, en s'occupant du laboratoire de fabrication d'explosifs, avant d'entrer dans la clandestinité en mai 1956. Arrêté, il sera détenu jusqu'à sa libération en 1962, date à laquelle il rentra à Alger. Il s'expliqua longuement sur son identité algérienne, lui qu'on continue en France à présenter comme un Européen. « Je n'ai jamais été un Européen ! », clamait-il. Le Dr. Daniel Timsit s'est, en effet, toujours considéré comme Algérien, lui dont la langue maternelle est l'arabe «derdja». La langue et la culture françaises, qu'il n'a jamais reniées, figuraient cependant au second plan. L'algérianité ne se définit pas en fonction d'une appartenance ethnique ou religieuse, mais parce qu'elle appelle « une communauté d'aspirations et de destin ». Le récit de ses années de prison fait partie de cette expérience unique, au cours de laquelle il découvrit la nation algérienne dans toute sa diversité et sa profonde solidarité. Là se côtoyaient ceux qui ne parlaient que l'arabe, le berbère ou le français. Tous étaient cependant frères, dans une même Algérie qui saignait. D'autres Juifs algériens qui s'engagèrent pour l'indépendance On ne peut pas ne pas citer des personnes illustres, telles que Gisèle Halimi, née tunisienne, qui plus que personne mérite le titre d'Algérienne et de moudjahida. Sa défense de Djamila Boupacha, qu'elle parvint à arracher aux guillotineurs, est un exemple de personnalité qui accomplit son devoir vis-à-vis de la condition humaine. De quelque côté qu'on l'observe, Gisèle Halimi ne laisse pas indifférent. On ne peut pas ne pas lui reconnaître une certaine rectitude, une élégance et une résilience dans tous les combats qu'elle mena. La guerre d'Algérie la révélera. Ce sera une battante que rien n'arrête, tant il était vrai qu'elle était habitée par la quête de justice et de vérité. En 1956, elle fut l'avocate des condamnés algériens, dans l'affaire des condamnations sur aveux extorqués à 44 personnes, dont 17 femmes. Elle dénoncera les tortures pratiquées par l'armée française, avant d'assurer la défense les militants du Mouvement national algérien, poursuivis par la justice française. En 1960, elle prit la défense de Djamila Boupacha, militante du FLN algérien, torturée par des soldats français en détention. Elle plaida sa cause, notamment dans les colonnes du journal Le Monde, journal de référence du temps du grand Hubert Beuve-Méry, avec l'écrivaine et philosophe Simone de Beauvoir et de grands artistes, comme Pablo Picasso. Condamnée à mort en France, le 28 juin 1961, Djamila Boupacha sera amnistiée et libérée le 21 avril 1962. Dans une interview testament en septembre 2019, Gisèle Halimi passa sa vie au scanner. « Soixante-dix ans de combats. Soixante-dix ans d'énergie, de passion, d'engagement au service de la justice et de la cause des femmes. "Je ne pensais pas que ces guerres feraient irruption dans ma vie avec une telle violence. «Oui, et j'étais assurément considérée comme une ''traîtresse à la France'' par les militaires et tenants de l'Algérie française». A l'annonce de son décès à 93 ans, le 28 juillet 2020, Djamila Boupacha, dont l'image iconique bouleversa le monde, écrivit : « Gisèle a été non seulement mon avocate, mais une grande sœur sur qui je pouvais compter. À Paris, Gisèle s'est attelée à constituer un comité pour ma défense et a demandé à ce que je sois transférée en France. Ici, le garde des Sceaux a dit : «Si vous le voulez, vous devez payer les frais du voyage». Le comité s'est mobilisé avec beaucoup de personnes pour collecter l'argent. Il manquait une certaine somme. C'est le maire de Fort-de-France, le célèbre poète martiniquais Aimé Césaire, qui a complété la somme restante pour que je puisse voyager en France. Elle venait régulièrement me voir en prison.» Les Juifs algériens vivant de nos jours en Algérie Après le départ massif de 1962, beaucoup de Juifs ont préféré rester en Algérie. Zouheir Aït Mouhoub l'a évoqué en ces termes : « L'Algérie, pour laquelle ils ont participé à la libération, est leur patrie. Avec les Algériens, ils partagent tout, à l'exception de... la religion. Eux, ce sont les Juifs d'Algérie. Aujourd'hui, ils continuent encore de se cacher pour mieux vivre.»Il donne la parole ensuite à un jeune Algérien juif qui a choisi de sortir de son silence : « Je n'ai que 24 ans. Mais j'ai déjà passé l'essentiel de ma vie à me cacher. A cacher mon secret, celui de ma famille, de mes semblables. Je suis algérien. Avec mes concitoyens, je partage le ciel, la mer, la terre, les joies et les tristesses. Mais pas la religion. (...) Je m'appelle Naïm. Ma famille a toujours refusé de quitter l'Algérie et est restée liée à son histoire depuis des siècles. Mon grand-père décida de rester. «Ici, c'est notre terre. Elle a vu naître tes parents et tes aïeuls et nous n'avons nulle part où aller», répétait-il à chaque discussion. (...) Mon grand-père, à l'époque commerçant à Znikat Laârayass, dans la Basse-Casbah, aidait ses frères moudjahidine. Son frère s'était même engagé dans l'Armée de libération nationale. C'est un chahid. Aujourd'hui encore, les vieux et les vieilles de La Casbah se souviennent de l'engagement de ma famille dans la Révolution.» Conclusion Le documentaire «L'Algérie sous Vichy» constitue, à nos yeux, un non- évènement. Il a été réalisé par des juifs à l'approche de l'élection suprême, la présidentielle française, à seule fin d'attirer l'attention sur eux et de faire allégeance à la droite. Ils dépeignent et racontent l'Algérie à leur guise, leur Algérie dans laquelle les Algériens sont inexistants, une Algérie aseptisée de ses Algériens. C'est pratiquement une guerre mémorielle, au seul profit d'un récit apologétique sur la loyauté des Juifs envers la France. Ceux-ci n'ayant eu de cesse de se réclamer de leur identité française, qui leur fut octroyée par Adolphe Isaac Crémieux durant la débâcle de 1870, quand la France fut envahie par l'Allemagne et Bismark proclama l'Empire, à Versailles. Sans remettre en cause sa compétence et sans vouloir porter un jugement de valeur, force est de constater que la version de l'historien Benjamin Stora est la seule grille de lecture officielle française sur l'Algérie. Et ce, quel que soit le chef d'Etat français depuis l'ère Mitterrand, en 1981. Benjamin Stora « s'est imposé » comme le seul habilité à parler de l'histoire de l'Algérie, en faisant croire qu'il a l'oreille de l'autre bord. Rien n'est moins vrai ! Le pouvoir français se satisfait de cette histoire sans épaisseur, mais qui ne fait pas avancer le nécessaire devoir d'inventaire entre les peuples d'Algérie et de France. Nous voulons mettre à plat ce contentieux et nous tourner ensemble vers l'avenir, dans un environnement qui a grand besoin de stabilité. Plus que jamais, nous devons consolider un récit national qui nous permettra de parler d'une seule voix à l'extérieur. Si, dès maintenant, nous ne nous mettons pas en ordre de bataille pour préserver notre unité, nous risquons fort d'être broyés par le Nouvel Ordre mondial, qui fera fi de nos petites querelles intestines, d'autant plus que l'Algérie est un dernier gisement à conquérir. Nous irons alors vers une somalisation inéluctable. Ce que l'Occident, dans son ivresse impérialiste, qualifie de zones grises. J'en appelle, ce faisant, à un aggiornamento multidimensionnel, en vue de donner une nouvelle impulsion à ces jeunes en proie au désespoir, de leur offrir leur Histoire, toute leur Histoire, rien que leur Histoire, et d'en faire des battants fascinés par l'avenir. (Suite et fin)