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Des chrétiens contre la guerre d'Algérie
1954-1956
Publié dans La Nouvelle République le 29 - 03 - 2022

Il a fallu attendre juin 1999 pour que la France reconnaisse officiellement la guerre d'Algérie ! Avant, la France n'aurait mené que des opérations de maintien de l'ordre contre des « terroristes » et des pillards. A l'origine de cette reconnaissance si tardive, les anciens soldats français d'Algérie désireux d'être reconnus comme « anciens combattants », au même titre que ceux de la Seconde guerre mondiale... et de la guerre d'Indochine ! Ils reçoivent une pension semestrielle de 391 euros et bénéficient d'autres avantages. Mais d'autres combattants français n'ont pas bénéficié de cette reconnaissance : ceux qui ont combattu la guerre, comme ces chrétiens qui ont lutté aux côtés du FLN.
L'insurrection
Parmi les Européens nés en Algérie, ceux que l'on appelait les « pieds-noirs », il y avait nombre de chrétiens. Ces derniers étaient spontanément solidaires de la colonisation. C'était d'ailleurs le cas des évêques, Mgr Leynaud qui fut archevêque d'Alger jusqu'en 1953 et de celui d'Oran, de 1946 à 1972, Mgr Lacaste. Cependant, à Alger, le discours changea avec l'arrivée, dès le printemps 1954, de Mgr Léon Duval qui, bientôt, fut appelé « Mohamed Duval » par les pieds-noirs. Si les prêtres nés en Algérie étaient très et trop liés à la population d'origine européenne, la douzaine de prêtres envoyés en Algérie par la « Mission de France » était consciente de la pauvreté et des injustices subies par la population musulmane. Ajoutons que dès le début des années cinquante, un rapprochement s'était esquissé entre les scouts catholiques et les scouts musulmans. Ils s'engageaient dans l'action sociale si bien que de jeunes chrétiens découvrirent l'ampleur de la misère dans les bidonvilles, en particulier celui d'Hussein-Dey. Les discussions sur la situation de l'Algérie aboutit, pour certains, à une perception commune et à la volonté de créer un organe de presse. Il leur fallait une personnalité pour diriger leur revue : ce fut André Mandouze, professeur à la faculté des lettres d'Alger, ancien résistant et, à l'époque, rédacteur à Témoignage chrétien.
La nouvelle revue, Consciences Maghribines, sortit son premier numéro en mars 1954 avec un dossier sur le chômage en Algérie. En France métropolitaine, depuis 1950, deux publications étaient clairement anticolonialistes, l'hebdomadaire Témoignage chrétien et une petite revue de chrétiens progressistes, La Quinzaine.
En avril 1954, au retour d'un voyage en Algérie, Jacques Madaule avait décrit dans cette revue le triste sort de la population musulmane, la fortune de certains colons, l'injustice des institutions politiques et l'omniprésence de la police. En octobre, sortait le n°3 de Consciences Maghrébines avec un éditorial fracassant de Mandouze intitulé : « Au secours, Messieurs, l'Algérie est calme ! », qui tournait en dérision le ministre de l'Intérieur, François Mitterrand. Pour ces jeunes Européens, le déclenchement de l'insurrection le 1er novembre ne fut pas une surprise. Plusieurs d'entre eux s'engagèrent immédiatement dans le camp du FLN. C'est le cas de Pierre Chaulet, jeune médecin, qui déclarait : « Nous ne venons pas en aide au FLN, nous sommes algériens comme vous, notre sol, notre patrie, c'est l'Algérie, nous la défendons avec vous. Nous sommes du FLN ».
Sa sœur, Anne-Marie, épousa un peu plus tard Salah Louanchi, le dirigeant de la fédération de France du FLN. A partir de 1957, Pierre Chaulet était à Tunis et participa à la rédaction d'El Moudjahid. Evelyne Lavalette, venue du scoutisme et du syndicalisme chrétien devint agent de liaison du FLN, assurait le tirage des tracts (la ronéo était installée au presbytère d'un abbé). Elle était arrêtée à la fin 1956 ; torturée, condamnée à trois ans de prison, puis expulsée en France. Dans l'Oranais, Alfred Berenguer, curé d'une petite paroisse, hébergeait des nationalistes (y compris Boumédiène) et s'occupait des blessés. A l'indépendance, tous trois rentrèrent en Algérie et furent élus à l'Assemblée constituante.
A Paris, le 15 novembre 1954, André Mandouze signait dans La Quinzaine un article intitulé : « En Algérie, qui mettra fin aux deux formes actuelles du terrorisme : la police et la presse ? » Tout comme Témoignage chrétien, La Quinzaine poursuivit son travail d'information grâce à André Mandouze et à ses abonnés en Algérie. En janvier 1955, Mgr Duval s'élevait sans ambiguïté contre l'emploi de la torture. En août 1955, Robert Barrat, intellectuel catholique, était le premier à effectuer un reportage sur des maquis du FLN et le publiait dans le grand hebdomadaire de gauche, France-Observateur
Dans la banlieue de Paris, à Puteaux, un ancien prêtre ouvrier, Jean Urvoas, qui, lorsqu'il était au travail, avait connu nombre de travailleurs algériens, apportait un soutien actif aux militants du FLN en les hébergeant et en leur procurant de faux papiers. Il créa un réseau de soutien qui recrutait spécialement dans les rangs des prêtres de la « Mission de France ».
1956 : la guerre plus que jamais
A la fin de 1955, les anticolonialistes français espéraient l'arrivée au pouvoir de Pierre Mendès-France, l'homme qui avait signé l'indépendance de l'Indochine. Robert Barrat fut à l'origine de la constitution d'un Comité de Résistance spirituelle avec des prêtres, des pasteurs et des intellectuels chrétiens tels que Paul Ricoeur et Jacques Berque ; il publia des témoignages d'officiers et de soldats sur la torture dans une brochure intitulé Des Rappelés témoignent... Barrat s'activait avec Mandouze pour faire se rencontrer des représentants du FLN avec Pierre Mendès-France. Hélas, ce fut le « socialiste » (sic) Guy Mollet qui devint président du Conseil et enfonça la France dans la guerre. Il fit voter des « pouvoirs spéciaux » donnant les pleins pouvoirs à l'armée en Algérie.
Cela ne découragea pas Robert Barrat qui publiait dans France-Observateur « Pourquoi nous combattons ». Il énonçait onze raisons de combattre « la politique de force en Algérie ». Citons-en deux : « Parce que depuis cent vingt-cinq ans que la France a conquis et occupe l'Algérie, la population musulmane de ce pays n'a cessé d'être pratiquement maintenue sous tutelle et empêchée de participer effectivement à la gestion des affaires publiques ». Et : « Parce que nous connaissons la profonde unanimité du peuple algérien dans sa volonté de résistance et sommes persuadés qu'en dehors de son extermination quasi totale, il est vain d'espérer en la possibilité d'un rétablissement de l'ordre par les seuls moyens militaires ». En conséquence, Robert Barrat demandait au gouvernement « d'entamer la négociation d'un cessez-le-feu avec les dirigeants du FLN » et d'accepter que le statut futur de l'Algérie soit déterminé « par voie de libre discussion avec les leaders du peuple algérien ». En mars 1956, André Mandouze fut obligé, avec sa famille, de quitter précipitamment l'Algérie : il était menacé de mort et sa maison avait été saccagée par les partisans de l'Algérie française. A Souk-Ahras, trois prêtres de la « Mission de France » furent expulsés par la police, en avril 1956.
Ils avaient aidé les habitants sans s'occuper de leur confession et participaient à un comité de soutien aux familles des détenus, au grand scandale de leurs paroissiens catholiques. Le dialogue avec les musulmans avait même débouché sur des liens d'amitié avec des responsables de l'ALN.
Mais ces actions individuelles ne doivent pas faire oublier que le courant dominant n'est pas favorable aux Algériens. De son archevêché de Toulouse, le cardinal Saliège signait en avril 1956 un « appel pour le salut et le renouveau de l'Algérie française » ; il évoquait les rebelles qui se faisaient les « instruments d'un impérialisme théocratique, fanatique et raciste – celui du panarabisme». Rappelons aussi que François Mitterrand ne s'est pas contenté de déclarer : « L'Algérie, c'est la France », il a aussi, comme Garde des Sceaux, de février 1956 à juin 1957, donné son aval à l'exécution de 45 militants algériens qui furent guillotinés.
Martine Sevegrand


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