A L'occasion du 60e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, l'association Josette et Maurice Audin agréée en France s'apprête à séjourner dans notre pays du 28 mai au 6 juin 2022 afin de contribuer aux liens de solidarité entre les peuples algérien et français dans le domaine scientifique et culturel. Cette délégation faut-il le préciser est constituée d'animateurs(es) de ladite association, d'historiens (es), d'une juriste et de documentaristes à l'image de : Saîd Ait AIi Saîd , documentariste – Line Audin, AJMA (Association Josette et Maurice Audin) – Pierre Audin, AJMA – Sandrine-Malika Charlemangne, écrivain – René Cori, mathématicien – François Dermiliac , documentariste – Fatiha Hassanine, AJMA – Christophe Lafaye, chercheur au laboratoire LIR3S Université de Bourgogne – Yamina Kaci Mahammed, AJMA – Gilles Manceron, historien – Pierre Mansat, AJMA – Alain Ruscio, historien – Catherine Teitgen-Colly , universitaire, juriste. Un journal de bord et une couverture vidéo permettront de suivre ce séjour sur la chaine YouTube Place Audin et sur les réseaux sociaux selon Fatiha Hassanine l'une des accompagnateurs de l'association en Algérie. Nous avons profité de cette occasion pour interviewer Pièrre Audin le fils de Maurice et Josette, suivons-le : La Nouvelle République : Présentez -vous à nos lecteurs (es) Monsieur Pierre Audin Pierre Audin : Je suis le troisième et dernier enfant de Josette et Maurice Audin. Quand mon père a été arrêté, torturé, assassiné par les paras de Massu, j'avais un mois. Quand le président de la République française est venu remettre à ma mère une déclaration officielle concernant mon père et les victimes de la torture pendant la guerre de Libération, j'étais déjà à la retraite : il a fallu plus de 61 ans pour obtenir cette reconnaissance officielle. LNR : Vous n'aviez qu'un mois lorsque votre père a été arrêté puis disparu depuis 1957 par l'armée Française. Que ressentez-vous aujourd'hui après la reconnaissance de la responsabilité de l'état Français dans sa disparition en 2018 ? La déclaration du 13 septembre 2018 est précise, détaillée, chaque mot est pesé. Même si le texte concerne finalement assez peu mon père – l'armée française a su effacer toutes les traces se rapportant à lui dans les archives – il est fondamental car il y est aussi question des milliers d'Algériens qui, comme Maurice Audin, ont perdu la vie dans les chambres de torture. Il reconnait enfin le système d'arrestations arbitraires, de tortures, d'exécutions sommaires, mis en place par le pouvoir français de l'époque pour terroriser la population algérienne. Cette déclaration autorise enfin l'ouverture des archives françaises concernant tous les disparus, civils ou militaires, français ou algériens, elle invite les détenteurs d'archives privées à les remettre aux archives nationales. Malheureusement, sur ce point, on en est resté au stade des promesses. LNR: Josette Audin votre défunte mère savait avant qu'elle ne décède que le Président de la République Emanuel Macron allait reconnaitre que le Martyre Maurice Audin avait été torturé et exécuté durant la guerre d'Algérie. Pouvez-vous nous en dire plus ? Lorsque mon père a été arrêté, ma mère a été séquestrée plusieurs jours dans l'appartement par les paras, car ils espéraient arrêter d'autres militants du PCA (Parti communiste algérien), et effectivement ils ont arrêté Henri Alleg. Mais dès qu'elle a été libre de ses mouvements elle a aussitôt entamé des démarches pour savoir où était son mari. Quand elle a compris que Maurice Audin avait été assassiné, elle a porté plainte « contre X » pour homicide volontaire. Quand les accords d'Evian ont permis le vote des lois d'amnistie et l'arrêt de l'enquête judiciaire, elle a cherché à faire connaître la vérité sur les tortures que Maurice Audin avait subies et sur son assassinat. Elle s'est adressée aux présidents de la République française successifs pour obtenir la reconnaissance de son assassinat. Le 13 septembre 2018 est l'aboutissement dans son combat de 61 ans, mais pas la fin. Comme elle l'a dit quand elle a lu la déclaration : alors on ne saura pas la vérité. Elle est décédée quelques mois après, mais elle savait que sa lutte n'était pas terminée: il reste au moins à trouver les restes du corps de Maurice Audin, et pour cela, il faut que les autorités algériennes acceptent de mener des fouilles aux différents endroits où ce corps a pu être enfoui. LNR : Le mois dernier des historiens et journalistes ont lancé un appel aux autorités Françaises pour que les archives militaires « Cadenassés »sur le recours aux armes chimiques par l'armée Française pendant la guerre d'Algérie (Guerre des grottes, nucléaire au Sahara ...) soient ouvertes et consultables.... Qu'en pensez-vous de cette initiative ? Depuis l'Indépendance, il s'est passé 60 ans, ce qui est déjà beaucoup : la France a pris beaucoup de retard pour dire la vérité sur ce qu'elle a fait en Algérie, en particulier pendant cette guerre, et même après pour ce qui concerne les essais nucléaires dans le Sahara. Pour permettre l'accès des historiens aux archives, sur ces sujets et sur tous les sujets concernant la présence coloniale de la France en Algérie, il est important de médiatiser ces sujets, de pousser les témoins encore vivants à témoigner, de pousser leurs descendants à fournir les archives dont ils disposent. Le meilleur moyen d'éviter que l'on dise n'importe quoi sur ces sujets, c'est d'obtenir l'ouverture de toutes les archives. LNR : La présence d'amiante touchant les fonds documentaires du dépôt ayant été suspectés à la fin de l'année 2019.... La réouverture de ce dépôt est très attendue car il contient en particulier des informations relatives à la guerre d'Algérie sachant que Le président Emanuel Macron avait promis aux historiens de les aider à éclairer certaines zones d'ombres autour des faits commis par la France en Algérie entre 1954 et 1962. Qu'en dites-vous ? Les pressions pour empêcher l'accès aux archives sont nombreuses. L'amiante est un bon prétexte pour empêcher l'accès aux archives, mais seulement un prétexte. La France ne manque pas de compétences ni d'entreprises spécialisées pour déménager les archives concernées, de façon à ce qu'elles soient consultables sans risque. LNR : Vous venez juste d'obtenir votre passeport Algérien pour vous permettre de se déplacer librement ... Quel est votre sentiment aujourd'hui d'être Algérien ? J'ai eu plusieurs fois l'occasion de venir en Algérie depuis 2010 et à chaque fois il m'a fallu un visa, puisque nous avions émigré en France. Or, selon la loi algérienne, je suis algérien depuis que ma mère a obtenu la nationalité algérienne, par décret du 4 juillet 1963. J'ai donc demandé à avoir des papiers algériens et j'ai effectivement obtenu mon passeport récemment, ce qui devrait simplifier mes déplacements. J'en suis très fier. LNR : Vous comptez séjourner en Algérie avec une forte délégation de l'association Josette et Maurice du 28 Mai au 6 Juin à l' occasion du 60ème anniversaire de l'indépendance c'est quoi votre programme ? L'AJMA (association Josette et Maurice Audin) a décidé de célébrer le 60ème anniversaire de l'Indépendance en venant à Alger, Oran et Constantine. L'AJMA a créé le Prix Maurice Audin de Mathématiques qui est remis depuis 2004, à chaque fois avec deux lauréats, l'un en France, l'autre en Algérie. Le prix permet à chaque lauréat de traverser la Méditerranée pour présenter ses travaux à ses collègues de l'autre rive. La délégation souhaite fêter tous les lauréats algériens depuis 2004 avec des cérémonies à Oran, Constantine et Alger. Evidemment, nous en profiterons pour rappeler qui était Maurice Audin, par exemple avec des lectures de passages du livre de ma sœur, Michèle Audin : Une vie brève. Et nous organisons aussi des conférences historiques où nous aborderons aussi cette fameuse guerre des grottes, qui a vu l'utilisation des armes chimiques par la France, entre 1956 et 1962. LNR : Vous allez être reçu par les autorités officielles en Algérie ? Nous sommes reçus par le MESRS, ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, et nous allons rencontrer des officiels comme le ministre du MESRS, le ministre des moudjahidine, le Wali d'Alger, le président de l'APC d'Alger-Centre. Le Prix Maurice Audin est un début de coopération scientifique entre la France et l'Algérie, il faut la développer et l'AJMA souhaite y contribuer. LNR : Un dernier mot peut-être avant de conclure cet entretien ? Je suis fier et heureux d'être Algérien, parce que l'Algérie est le pays où je suis né, celui où mes parents ont milité pour la liberté, celui où mon père est mort pour cette liberté. L'Algérie est indépendante mais elle reste à construire et je suis prêt à y contribuer, dans mon domaine de compétence, la culture scientifique. Je pense que l'Algérie a besoin, partout sur le territoire national, de lieux de culture accessibles à tous, notamment aux jeunes, des lieux où la science deviendra source de curiosité, où chacun pourra faire des manipulations réelles, découvrir ce que la recherche apporte, les questions qu'elle se pose. Depuis 2010, je suis venu plusieurs fois en Algérie pour faire de la vulgarisation mathématique et scientifique. A chaque fois, j'ai rencontré des jeunes étudiants et étudiantes en science, motivés et très demandeurs de ces actions de vulgarisation des maths et de la science. Les ressources et les compétences humaines sont là. Il faut se décider à lancer ces centres de diffusion de la culture scientifique. Le peuple algérien a droit au meilleur de la culture, la science ne doit pas être en reste.