Depuis plus d'une dizaine d'années, le docteur Labbas Sbaï dénonce les trafics en tout genre dans le sud marocain. Pour le faire taire, les autorités l'ont condamné à deux mois de détention en mai 2022. Dans la prison de Zagora, il a été violemment battu et humilié à de multiples reprises. Labbas Sbaï n'est pas totalement un inconnu pour les lecteurs d'Oumma. En janvier 2011, il avait été interviewé sur le Sahara occidental. Issu d'une famille sahraouie, il se déclarait marocain, mais il rappelait qu'il avait de la famille au Sahara occidental et au Polisario. Le médecin ajoutait : « Je pense que Mohamed VI aurait pu sauver la situation en appliquant immédiatement un plan d'autonomie. Il ne l'a pas fait ». Avec son frère Ali, ils sont les premiers gamins d'une famille nomade à s'asseoir sur les bancs de l'école de M'hamid El Ghizlane, une petite bourgade du sud marocain, située à quelques kilomètres de la frontière algérienne. « Sais-tu que les nomades ne se perdent (presque) jamais dans le désert ? Ma mère venait de Mauritanie. Pour rendre visite à mon père, elle a traversé le Sahara, seule sur un chameau, pendant trois mois », nous avait-il raconté lors de notre rencontre en 2010 à Oum Lâalag, une petite oasis, appartenant à sa famille, à une cinquantaine de kilomètres de M'hamid El Ghizlane. Labbas Sbaï venait de sortir de prison. Déjà à cette époque, il dénonçait les trafics de cigarettes, de haschich, la contrebande de chameaux volés en Mauritanie et au Mali, destinés à distraire les vagues de touristes qui se bousculent sur les plages marocaines. Chirurgien en Suisse Ce fils de nomade a d'abord été chirurgien. Marié à une Suissesse, naturalisé suisse, père de deux enfants, il a exercé ses talents dans des hôpitaux à Lausanne, à Fribourg, Neuchâtel, Berne. Tandis que son frère Ali devenait fonctionnaire à Genève dans une organisation internationale. Mais au début des années 2000, il retourne dans le sud marocain avec pour objectif de faire reverdir l'oasis d'Oum Lâalag, lentement envahie par les sables du désert. Il est le premier à investir dans le tourisme écologique dans cette région déshéritée depuis des décennies avec la fermeture de la frontière entre le Maroc et l'Algérie. Lorsque vous visitez Zagora, chef-lieu du Drâa, un panneau célèbre, au centre de la ville, vous indique « Tombouctou 52 jours ». Seulement voilà, le docteur Labbas Sbaï ne peut pas s'empêcher d'ouvrir sa grande gueule, et de dénoncer la corruption des autorités locales. On lui met des bâtons dans les roues, on sabote sa petite entreprise, on l'emprisonne. Le chirurgien ne baisse pourtant pas les bras. A 67 ans, il prend la tête d'un comité de vigilance des nomades de la région. Des tribus sont expropriées de leurs terres. Pour le faire taire, il est accusé d' « outrage » et condamné à deux mois de prison le 26 mai dernier. Labbas Sbaï entame alors une grève de la faim. Un comité de soutien tente d'alerter la population et la presse. Mais au Maroc, « c'est le black-out total de la part des médias. Alors que selon sa famille Labbas serait mourant », nous alerte un journaliste marocain. Information confirmée par son frère Ali : « Il a pu parler à Ibrahim, un autre de nos frères, qui habite le Maroc. Labbas gémissait : «On m'a frappé, on m'a frappé, j'ai perdu connaissance deux fois... ici, c'est Guantanamo, ici c'est Abou Ghraib ». Le prisonnier souffre de violents maux de tête et réclame un scanner. Peu de temps après, il ne parvient plus à prononcer un mot. Il ne bouge plus. Insulté, humilié, déshabillé Le 18 juin, Ali Sbaï, accompagné de Selim et Amina, les deux enfants du médecin, de son petit-fils Elia, sept mois, et de Samuel Lehmann, le compagnon d'Amina, prennent un vol Genève-Marrakech. Ils ignorent encore si la prison de Zagora les laissera voir Labbas. Mais deux jours plus tard, le 21 juin, Ali Sbaï nous annonce par WhatsApp que son frère a été libéré. Depuis, il est hospitalisé à Marrakech. La famille apprend alors que Labbas n'a pas seulement été tabassé à de multiples reprises. Son comité de soutien parle même de « torture ». Il n'aurait pas seulement subi des passages à tabac. Frappé à la tête, insulté, humilié, déshabillé, le maître de l'oasis d'Oum Lâalag aurait vécu un véritable calvaire. Avant que le directeur de la prison de Zagora ne se rende compte de la gravité de la situation. Au Maroc, il est interdit de frapper un prisonnier. Et s'il venait à succomber, cela pourrait avoir de très graves conséquences. Diplomatique d'abord. Labbas Sbaï possède la nationalité suisse. « Notre ambassade est très concernée par la santé et l'intégrité physique de notre concitoyen emprisonné. Il est aussi important que les conditions de détention soient dignes et que les garanties procédurales et les droits de la défense de la personne concernée soient respectés », a écrit l'ambassade de Suisse à Rabat, intervenant auprès du ministère marocain des Affaires étrangères, et de la Délégation générale de l'administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR). Par ailleurs, le chirurgien appartient à une grande famille sahraouie. Les mauvais traitements qu'il a subis n'ont vraisemblablement pas été du goût du Makhzen, l'appareil étatique marocain. Pour Rabat, il n'est jamais judicieux de donner des prétextes pour que le Front Polisario se mobilise, et dénonce les discriminations que pourraient subir les Sahraouis. Ce qui expliquerait la libération anticipée de Labbas Sbaï, après un mois de détention. Le directeur de la prison et le procureur qu'il l'a condamné ne devraient pas s'attendre à des promotions.