En 1980, à partir d'un port du sud de l'Italie, vers « l'Orient compliqué », vogue un jeune diplômé en philosophie resté par marqué par son échec au concours de la rue d'Ulm. En 1941, le général de Gaulle abordait « l'Orient compliqué » avec des « idées simples ». Mais il se « faisait certaine idée de la France». A l'INESG, où le conférencier n'est invité qu'avec le feu vert de « décideurs » galonnés, l'historien Kamel Bouguessa et le politiste Fodil Boumala l'interpellèrent sur d'autres déductions hâtives sur Bennabi (qu'il a négligé de lire), ou Benbadis (« disciple de Hassan al Banna » !). Sans oublier le très poli Abdelhamid Mehri dont une question simple mit fin brutalement à la conférence de Kepel à la Bibliothèque nationale dont le directeur aurait perdu son poste pour avoir invité Kepel, mal vu de Bouteflika, alors en conflit larvé avec le DRS. Kepel découvrit à ses dépens que tous les Algériens n'avaient pas la bienveillance des animateurs du Forum du journal engagé Liberté. Ces critiques étaient pourtant modérées si on les compare à celles de la savante revue « Archives sciences sociales des religions » où Constant Hamès a dit les insuffisances des « Banlieues de l'Islam » et Danièle Hervieux-Léger l'a appelé « l'essayiste pour grand public éclairé ». Le mémorialiste omet également de mentionner ses tournées en Afrique de l'Ouest, sans doute pour ne pas avoir à s'expliquer sur les déboires de la Françafrique. Pourtant cela aiderait à comprendre le retrait de son nom de la liste des « invités du président », la veille du départ de Bouteflika à la rencontre annuelle de Crans Montana. Ces autocensures laissent la place à de méchantes attaques contre Jacques Berque qui aurait « barré la route du Collège de France » à Rodinson. Kepel veut en faire l'ancêtre de « l'islamo-gauchisme ». Pourquoi ? Parce que Berque avait eu comme auditeur au Collège de France Ali Chari'ati, le penseur de la « gauche islamique » iranienne qui parlait fréquemment de « Mustadh'afoun » (ceux qui furent affaiblis). Chariati, qui dit avoir été influencé par Massignon, Gurvitch et Berque, n'a sans doute jamais eu une discussion avec ce dernier qui se souvenait de sa grande timidité. L'islamo-politiste a l'air de croire que le terme de Mustadh'afoun serait un néologisme introduit par Chariati. Ce faisant, il révèle, qu'après quarante ans d'agitation, la lecture du Coran (où le terme revient plusieurs fois) ne lui est toujours pas familière. Mais il s'autorise à critiquer la traduction du Coran par Berque ! Il dit préférer « le Coran des historiens », qui reprend les vieilles «chicayas» chiites anti-Othmaniennes, enrobées dans un discours de « social science ». Il dit aussi sa préférence pour la contestation de l'authenticité du Mushaf par Déroche. Mais ni Moezzi, ni Déroche ne sont des traducteurs du Coran. Ces attaques contre Berque et cette apologie des doutes sur le Coran auraient posé beaucoup moins de problèmes si l'IFI (Institut Français d'Islamologie), que Kepel chercherait à orienter vers plus de sécuritaire, n'entretenait pas l'illusion sur la formation par des néo-orientalistes des « imams français » que la mosquée de Paris a échoué à former depuis que son recteur a déclaré avoir reçu du président Tebboune « la feuille de route sur l'Islam de France ». La francité d'un imam serait-elle jugée à l'aune de ses doutes sur l'authenticité du Coran ? Ou en fonction de son zèle à répéter en chaire les théories que de néo-orientalistes peinent à faire admettre par les chercheurs attachés à une scientificité ? Si c'est le cas, il faudrait remplacer la laïcité par un mot plus adapté qui tiendrait compte des nouvelles exigences des usagers du religieux à d'autres fins. Kepel a des passages élogieux sur l'actuel recteur de la mosquée de Paris. Ce bureaucrate de la foi est appelé l'avocaillon par les « paroissiens » du V° arrondissement, parce qu'il perdait souvent ses procès. Il est sans culture islamique, et sans formation islamologique. Kepel en dit du bien. Espère-t-il obtenir grâce aux réseaux occultes de la Françalgérie des rendez-vous pouvant faire oublier les refus passés ? Il est possible de s'interroger, à la lumière de la très grande importance accordée par Kepel aux passages à la télévision, sur le véritable reproche à Berque. Le grand arabisant avait mis en place l'émission islamique dominicale à la demande de Mitterrand pour qui « la France doit assumer son islamité ». Espérait-il que l'audience accordée par Attali allait avoir pour première conséquence des invitations à l'émission islamique ? N'ayant pas eu droit à l'antenne, Kepel a-t-il décidé dès cette période de s'en prendre à Attali et à Berque réunis ? Il faut faire abstraction des rancœurs qui sont à l'origine des «chicayas» récurrentes de Kepel qui, interrogé sur les carnages à Gaza, répond par des attaques contre...Sciences-Po ! La lecture attentive de ces confidences mesurées, et l'interrogation sur les demi-vérités distillées permettraient de rechercher ce qu'il omet soigneusement de dire. Une enquête sur ce singulier enquêteur confirmerait que les islamo-politistes, que l'on croyait en mesure de remédier au déclin de l'islamologie, n'ont fait qu'aggraver ses conséquences. Ce serait un hommage posthume à Edward Saïd que Miquel avait invité à faire des cours au Collège de France, où Rodinson prenait des notes sur un cahier d'écolier. Kepel s'abrite derrière ces deux arabisants ainsi que sur Arkoun, et fait semblant d'oublier leurs bonnes relations avec l'américano-palestinien devenu professeur à Columbia. Ce n'est pas la moindre des contradictions de ce protégé de Bernard Lewis qui fait état aussi de sa rancœur envers l'auteur d'« Orientalism », qui, en démontrant la collusion des orientalistes avec le colonialisme, a fait exception pour Massignon, Berque et Rodinson. Leurs écrits restent autrement plus utiles à la mise au point des relations de la France avec ses musulmans que les répétitions sur « la mouvance de pensée des Frères Musulmans » et sur Abou Moussab Souri, à qui il fait une publicité qu'il ne mérite pas. Suite et fin…