Sous le capitalisme parasitaire et cynique, tout comme les guerres destructives constituent un besoin financier existentiel pour le capital afin d'assurer sa valorisation, comme l'illustre le complexe militaro-industriel américain instigateur des conflits armés, les catastrophes dites «naturelles» dévastatrices sont devenues une composante vitale du fonctionnement du capital en quête permanente d'opportunités d'enrichissement financier et de relance de l'activité économique. L'attribution du prix Goncourt à l'écrivain algérien Kamel Daoud a suscité la polémique sur les réseaux sociaux. Si d'aucuns y ont vu la récompense d'un auteur qui a eu le courage d'aborder des questions taboues dans sa société, d'autres n'ont pas hésité à dénier toute valeur littéraire à ce prix, en considérant que le comité Goncourt a fait un choix idéologique et politique biaisé. Comment en effet passer sous silence le fait que le comité Goncourt n'a pas récompensé n'importe quel écrivain, mais bien un écrivain qui n'a pas cessé depuis son arrivée en France de prêter allégeance aux cercles islamophobes les plus répugnants? Comment oublier que l'écrivain récompensé aujourd'hui par le Goncourt est le même qui a défrayé, il y a quelques années, la chronique en participant de manière honteuse à une cabale antimusulmane ? Comme celle liée à l'affaire des agressions sexuelles qui ont lieu la nuit du 31 décembre 2015 à Cologne et dans d'autres villes allemandes, et qui ont été attribuées d'abord à des immigrants Nord-Africains. Dans un raccourci stupide et malhonnête, Kamel Daoud avait cru faire preuve d'une grande profondeur intellectuelle en faisant endosser à un islam essentialisé et imaginaire le crime commis par des centaines de jeunes, dont la plupart étaient alcoolisées. Nous n'aborderons pas ici les qualités littéraires de l'œuvre de Kamel Daoud, dans la mesure où lui-même et ses défenseurs n'hésitent pas à nous entraîner sur le terrain du débat idéologique et politique. En effet, quand une émission télé française ose le comparer à Voltaire, il est clair que l'aspect pamphlétaire l'emporte désormais sur l'aspect littéraire. Dans un podcast, l'écrivain lui-même n'a pas hésité à présenter sa particularité, en mettant en avant une écriture engagée contre son pays d'origine et sa religion par opposition à l'intellectuel organique du sud qui a longtemps été magnifié, selon lui, pour son combat contre le colonialisme.Ce faisant, l'écrivain a cherché à enfermer le débat dans un faux dilemme : soit on attaque la domination occidentale multiforme, soit on attaque la situation qui prévaut socialement, politiquement et culturellement dans les pays musulmans. Sacrifiant à une vision caricaturale de l'islam qui n'a rien à envier aux pires préjugés véhiculés par l'extrême droite islamophobe, l'écrivain, qui laisse entendre que l'islam constitue le facteur principal du sous-développement des musulmans, n'hésite pas à faire de la lutte contre la religion musulmane l'alpha et l'oméga du nouveau combat émancipateur dans les sociétés musulmanes. Le sous-développement social qui sévit en Algérie, comme dans la plupart des pays musulmans, n'est pas une vue de l'esprit. Dans le cas de l'Algérie, il est même permis de parler d'une déplorable régression sociale, dans la mesure où le pays, qui a accompli durant les deux premières décennies qui ont suivi l'indépendance des pas énormes en matière de progrès social, n'a pas su gérer et négocier au mieux les résultats de l'exode rural et de la mobilité sociale qui ont fini par donner une nouvelle vigueur aux vieilles structures archaïques et aux mentalités rétrogrades. Il faut ajouter à cela les répercussions sociologiques et psychologiques de la décennie noire qui a traumatisé et bouleversé la société algérienne, et qui expliquent, au moins partiellement, le renfermement social et culturel pointé du doigt par de nombreux Algériens épris de liberté et de progrès social. Cependant, cette régression sociale n'a rien à voir avec la religion musulmane proprement dite. La religion, telle qu'elle est vécue dans les sociétés du Maghreb, ne saurait être détachée des traditions ancestrales héritées de l'histoire, et qui ont connu malheureusement des déformations déplorables au cours des derniers siècles marqués notamment par la décadence civilisationnelle et la domination de pouvoirs despotiques et corrompus. Par ailleurs, quand ils font mine de combattre cette régression sociale en s'attaquant à l'islam et en se mettant volontairement sous la protection des représentants politiques, intellectuels et médiatiques du système qui produit le sous-développement et la domination, les pseudo-intellectuels, qui font de la lutte pour le progrès social un bien commode fonds de commerce, se fourvoient complètement. Comment peut-on faire croire qu'on est engagé dans une lutte pour le progrès social quand on a pour « protecteur » un Bernard-Henri Lévy qui ne cache pas son soutien à la guerre génocidaire de l'Etat colonialiste et raciste d'Israël ? Peut-on être en même temps pour l'émancipation des femmes en Algérie et pour le massacre des femmes et des enfants de Gaza ? Les Algériens qui luttent sincèrement contre la régression sociale dans leur pays savent que le combat pour le progrès social est inséparable du combat pour le développement économique et pour la défense de l'Etat social, que les nouvelles oligarchies rêvent de démanteler avec la complicité des cercles néocolonialistes de la FrançAlgérie.Prétendre que la lutte pour le progrès social doive nécessairement passer par le dénigrement de l'islam est tout simplement une imposture. Au contraire, la lutte pour le progrès social passe par la revivification de la religion musulmane. Il y a cinq siècles, les Européens se sont lancés à la conquête de leur émancipation en revisitant de manière critique leur legs historique, depuis la Grèce et la Rome antiques jusqu'aux pionniers de la modernité à la fin du Moyen Age. Pourquoi les musulmans devraient-ils se débarrasser de tout leur héritage religieux et culturel millénaire pour s'émanciper ? Pourquoi la renaissance musulmane ne devrait-elle pas passer, elle aussi, par la réappropriation critique des œuvres de nos illustres prédécesseurs, à l'instar d'Al Ghazali et Ibn Rochd ? Pourquoi les jeunes générations devraient-elles ignorer, dans leur devoir d'Ijtihad et d'ouverture sur la culture universelle, les travaux contemporains des représentants de la Nahda, à l'instar de Jamal Eddine Al Afghani et Mohammed Abdou, et leurs continuateurs?