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Le protocole des dictateurs (III)
Publié dans La Nouvelle République le 14 - 09 - 2008


Franco persiste et signe
La quatrième version proposée fut la bonne. Le protocole secret de Hendaye fut finalement signé le 11 n-ovembre par Serrano Suner. Son article 5 qui traitait des revendications territoriales avait été singulièrement édulcoré. Il était vague et flou à souhait. Il ne comportait aucune liste détaillée des régions à annexer : «Outre la réintégration de Gibraltar à l'Espagne, les pays de l'Axe se déclarent disposés – dans le cadre de la restructuration général qui se mènera à terme en Afrique et qui sera inscrite dans les traités de paix après la défaite de l'Angleterre – à obtenir que l'Espagne reçoive des territoires en Afrique dans la mesure où l'on pourra indemniser la France avec des territoires d'étage valeur, étant entendu que les prétentions de l'Allemagne et de l'Italie à l'égard de la France demeurent inaltérables». En contrepartie de ce silence, la date d'entrée en guerre de l'Espagne était laissée en suspens, ce qui signifiait qu'elle serait à la discrétion de celle-ci. A première vue, ni Hitler, ni Franco n'avaient obtenu ce qu'ils recherchaient, chacun campant sur ses positions, à cette différence près que le premier était persuadé que le second laisserait le passage libre de son territoire à la Wehrmacht pour aller s'emparer de Gibraltar.
C'est d'ailleurs dans le but d'accélérer les préparatifs de la future opération «Felix» visant la prise du Rocher que le Führer revit à sa demande Serrano Suner le 18 novembre, cette fois dans sa résidence du Berghof au Sud de l'Allemagne. Le malentendu persista. Hitler attendait impatiemment l'annonce d'une déclaration de guerre espagnole. En lieu et place de cette nouvelle, il dut supporter les lamentations de Serrano Suner qui, faisant allusion à Oran et au Maroc, accusa l'Allemagne de vouloir sacrifier ses fidèles amis espagnols aux ennemis héréditaires français. Hitler eut beau répliquer en reprenant le même discours qu'à Hendaye, il n'eut guère de succès. Qu'importait à l'Espagne d'entendre rabâcher qu'une redistribution des rôles en Afrique du Nord pourrait inciter l'ensemble de l'empire colonial français à se rallier à De Gaulle ? Hitler accordait un grand crédit à l'amitié politique avec le régime de Vichy. Lors de l'entrevue de Montoire, il avait donné au maréchal Pétain la garantie que des droits français sur l'Oranie seraient respectés. Cet engagement représentait la condition première des bonnes dispositions de la France vichyssoise envers l'Allemagne. Il s'insérait dans la stratégie hitlérienne. Le Führer ne pouvait faire marche arrière. Sa Realpolitik ne fut pas comprise des Espagnols qui restaient toujours déterminés. De s'y être opposé avec tant de vigueur, Serrano Suner vécut des heures d'angoisse pendant son séjour bavarois, s'imaginant que sa vie ne tenait plus qu'à un fil. A son retour du Berghof, il courut se plaindre auprès de Stohrer de la tournure que prenait le problème des revendications territoriales. Il avait acquis la certitude qu'il n'existait quasiment plus de possibilité pour son pays d'accroître son empire en y intégrant particulièrement l'Oranie. Pire encore, Hitler demandait à ses généraux de préparer l'occupation du Maroc espagnol dans la perspective d'une conquête de l'Oranie et du reste de l'Atlas pour son propre compte. L'Institut national géographique français fut d'ailleurs sommé d'envoyer immédiatement à Berlin cinq cents cartes d'état-major de l'Algérie et du Maroc. Dans les six mois qui suivirent, les relations germano-espagnoles se rafraîchirent considérablement à cause de ces divergences territoriales.
Les Espagnols s'attristèrent des rebuffades d'Hitler. Ils comprirent que leur partenaire allemand qu'ils avaient porté aux nues n'avait rien du justicier généreux et exemplaire, distribuant bienfaits et bontés à ses amis. On prétend que, trop naïfs, ils tombèrent de très haut. Cependant, au regard d'Hitler, Franco passait pour un trouble-fête et un gêneur, un chef d'Etat sans envergure, dépourvu de charisme et de compétence. C'était même un ingrat qui n'avait aucune reconnaissance envers ceux qui l'avaient aidé à conquérir le pouvoir. Est-ce sa prudence caractérielle ou une habileté tactique qui le faisait regimber au point de forcer Hitler à annuler, en janvier 1941, l'opération «Félix» qui aurait ouvert la voie à une maîtrise conjointe de la Méditerranée occidentale ?
En mécontentant l'Allemagne, il condamnait ses propres projets d'expansion. Il rendait leur réalisation d'autant plus difficile que la France venait d'obtenir des Commissions d'armistice le renforcement de son armée en Algérie, soit une unité mobile supplémentaire de 20 000 hommes spécialement affectés à la surveillance de la frontière entre l'Oranie et le Maroc. Dans une nouvelle tentative pour le convaincre de participer au conflit, Ribbentrop lui avait fait adresser, fin décembre 1940, par l'intermédiaire de l'ambassadeur Espinosa de Los Monteros, un message conciliant dans lequel il déclarait que l'Allemagne souhaitait pour l'Espagne un Empire colonial africain «le plus grand possible».
Franco n'en eut jamais connaissance, Serrano Suner ayant intercepté la missive et pris ombrage que son homologue allemand eût cherché à le court-circuiter.
Ribbentrop n'avait cure de ces questions de susceptibilité. Finie la manière douce, place au langage cru. Le 23 janvier 1941, par l'entremise de l'ambassadeur Stohrer, il envoya à Franco un autre message où, cette fois-ci, sans ménagement il exprimait, outre l'écœurement qu'il éprouvait pour son attitude hésitante, sa désolation devant la tragique erreur d'appréciation qu'il commettait car «la conquête de Gibraltar ouvrirait à l'Espagne le chemin de l'Afrique avec toutes ses possibilités». La menace était à peine voilée : il était exclu que Franco vînt s'asseoir à la table des vainqueurs s'il n'apportait aucune aide à l'Axe. Les Allemands essayaient en fait de combiner leurs propres intérêts stratégiques avec les aspirations espagnoles. Dans leurs plans, Gibraltar représentait la clé à la fois de leur lutte contre l'Angleterre et du contrôle par leur flotte de l'accès au bassin méditerranéen, mais ils estimaient aussi que sa conquête serait bénéfique à l'Espagne dans la mesure où elle lui faciliterait l'occupation du Maroc et de l'Oranie.
L'Allemagne doit payer
Bien qu'ayant perdu toute illusion sur la détermination de son pseudo-allié, Hitler relança pourtant Franco dans une correspondance du 6 février 1941. Sur le ton de l'admonestation, il lui demandait une nouvelle fois d'entrer en guerre. Il le tançait comme s'il avait affaire à un vilain garnement, au plus mauvais cancre de la classe, lui reprochant ses prétentions démesurées comparativement à celles de l'Allemagne et de l'Italie qui avaient consenti des sacrifices plus grands que l'Espagne. «Nous sommes en train de livrer une bataille, à la vie, à la mort, et pour le moment nous ne pouvons offrir aucun cadeau», lui dit-il. Dans le même temps, il avait sollicité le concours de Mussolini lors de leur entrevue de Salzbourg le 19 janvier précédent, le chargeant de ramener au bercail le fils prodigue espagnol qui se comportait de manière «honteuse». L'Italien et l'Espagnol convinrent de se rencontrer le 12 février à la villa Regina Margherita de Bordighera, près de la frontière française. Ce jour-là, malgré un exposé incohérent et décousu, Franco ne lâcha rien. Il se contenta de répéter à Mussolini qu'il était persuadé de la victoire finale de l'Axe et que dans ce contexte son pays ne pouvait laisser passer sa chance de réaliser son programme impérial. Mais, sans lien logique avec ce qui précédait, il expliqua que s'il entrait en guerre, il risquait d'être défait par l'Angleterre et de perdre toutes ses possessions africaines, ce qui, implicitement, l'obligerait à faire une croix sur l'Oranie. Le soutien moral qu'il apportait à l'entreprise nazie valait toutes les déclarations de guerre. Bref, l'Espagne dénonçait le protocole de Hendaye qu'elle considérait comme étant devenu obsolète. Non sans un certain irénisme, le Duce se garda de chapitrer son ami.
Revenu à Madrid, Franco prit son temps pour répondre à Hitler. Il ne le fit que le 26 février. Sa position n'avait pas varié. Il commençait même à être excédé qu'on pût lui demander d'acquitter le prix du sang s'il voulait avoir une part de l'Empire français. Il pensait avoir déjà payé et même beaucoup payé. Le principal argument qu'il avançait était de dire que la guerre civile d'Espagne avait été pour les Allemands un champ rêvé d'expérimentation, relativement à leur matériel, leurs hommes et leurs stratégies dans la perspective de la Seconde Guerre mondiale. C'était à eux de dire merci aux Espagnols pour leur avoir permis de s'aguerrir. C'était à eux d'offrir l'Oranie et le Maroc à leurs bienfaiteurs sans rien exiger d'eux. «Je ne pense pas qu'on puisse présenter les demandes espagnoles comme excessives, si l'on considère les sacrifices importants du peuple espagnol lors de sa guerre civile qui fut le prélude à celle d'aujourd'hui», écrivit Franco à Hitler, confirmant ainsi qu'il n'entrerait pas en guerre tant que ne lui serait pas garantie par écrit, fût-ce au prix d'une révision du protocole de Hendaye, l'annexion des territoires qu'il réclamait en Afrique du Nord. Plus jamais il n'en reparlera directement à ses deux alliés. Il avait déjà compris qu'il ne pouvait plus rien attendre des guides fraternels qu'il s'était rêvé. L'espace d'un été, il crut que l'alliance avec l'Allemagne serait le niveau approprié, et sans doute le plus pertinent, auquel le problème de l'africanisme recevrait une solution.
Mais en dehors de l'Axe, il existait une autre voie qu'il n'avait jamais écartée, celle d'une annexion négociée à l'amiable avec la France.
L'intransigeance
de Noguès
Encore faudrait-il ne pas se méprendre sur le sens des mots. Négocier à l'amiable ne signifie pas nécessairement discuter en toute amitié. Car dès que s'amoncelèrent les premiers nuages annonciateurs du conflit mondial, Franco avait abattu ses cartes : «Jamais, l'Espagne ne laisserait la France en paix», déclarait-il le 5 juillet 1939 à l'ambassadeur italien Guido Viola. Il suivait ainsi les conseils de Mussolini qui, le mois précédent, à la demande d'un Serrano Suner ne faisant pas mystère de sa francophobie, lui avait écrit de ne rien attendre de la France.
La débâcle française du printemps 40 créa une opportunité. Dès le 20 mai, la presse phalangiste se déchaînait, publiant une série d'articles sur les revendications territoriales espagnoles. En même temps, des manifestations d'étudiants, organisées par l'appareil franquiste dans plusieurs villes de la péninsule, s'en prenaient à la France et aussi à l'Angleterre, au motif qu'elles avaient lâchement acquis leur empire colonial. Sollicitée par le gouvernement français comme médiatrice avec l'Allemagne afin d'aboutir à un armistice, l'Espagne tenta d'en profiter pour arracher quelques concessions. François Charles-Roux (1879-1961), alors secrétaire général du Quai d'Orsay, résuma la situation en disant que les Espagnols réclamaient «un bakchich» comme prix de leur intervention. Beigbeder s'efforça en effet de faire comprendre à ses interlocuteurs qu'il serait plus avantageux de céder une partie de leur Empire colonial à son pays plutôt qu'aux Allemands dont les visées sur le Maroc concurrençaient celles de l'Espagne au point d'irriter fortement le régime franquiste. «Si vous devez perdre une fraction de votre empire nord-africain, il vaut mieux que ce soit au profit de l'Espagne qu'à celui de l'Allemagne», affirma-t-il notamment à Robert Renom de la Baume, l'ambassadeur français à Madrid. Mais son argumentation n'eut aucun succès. Les dirigeants français furent choqués par la façon dont on cherchait à les rançonner. Ils ne tenaient point, disaient-ils, à voir se répéter un coup de force similaire à celui de Tanger, surtout tant que les termes de l'accord de paix franco-allemand ne seraient pas fixés. Charles Noguès (1876-1971), résident général au Maroc et commandant en chef de l'Afrique du Nord, se montrait d'ailleurs le plus virulent face aux prétentions des Espagnols. Comme gendre de Delcassé qui avait résisté jadis aux convoitises du pays voisin, il avait de qui tenir. Sans Noguès pour freiner les tendances défaitistes des gouvernants français, l'Oranie aurait été cédée sans plus attendre. On le disait pourtant assez proche des chefs militaires espagnols auxquels le liait une fraternité d'armes datant de la guerre du Rif. Mais entre ses amitiés et ses sentiments patriotiques, il ne balançait pas. A la mi-avril 1940, il tint à manifester à ses anciens alliés sa volonté de ne point transiger. Il les menaça même d'occuper leur protectorat s'ils persistaient dans leur arrogance impérialiste. La supériorité technique de ses troupes constituait son principal argument. Il avait renforcé son dispositif frontalier dans le triangle Oujda-Tlemcen-Nedroma avec six bataillons d'infanterie, un escadron de chars et deux groupes d'artillerie de montagne. Leur mission était clairement définie : interdire toute action «d'éléments ennemis» en Oranie. Arguer de la faiblesse des capacités défensives de l'armée de Noguès serait, cependant, plus vraisemblable. Il utilisait en fait l'intox et la simulation pour masquer ses insuffisances, faisant défiler les mêmes troupes plusieurs fois par jour le long des frontières marocaines dans le but évident de faire croire qu'elles étaient en nombre. Au Conseil des ministres du 22 juin 1940, il communiqua qu'il «serait impossible de résister à quelques éléments blindés allemands qui, avec l'accord de l'Espagne, pourraient franchir de nuit le détroit et débarquer au Maroc espagnol en toute tranquillité». Pour arrêter des chars qui viendraient de cette région, il avait dit «qu'il comptait sur des obstacles naturels, deux oueds, d'ailleurs presque à sec». Aux provocations verbales de Noguès, Beigbeder ordonna à ses agents consulaires de répondre en tous lieux que l'Espagne n'était pas «un ennemi facile à battre» et qu'elle ne se laisserait pas «intimider par des paroles». Car à Madrid, on n'était pas dupe. Franco savait pertinemment grâce aux courriers de ses agents l'effectif réel des forces françaises dans cette région. Sur la base du rapport envoyé le 2 décembre 1939 par le consul d'Oran, il s'avérait que le Maroc espagnol ne risquait aucune attaque de Noguès dans la mesure où l'essentiel des troupes nord-africaines avaient été transférées en métropole tandis que celles restées sur place étaient destinées à contrer une éventuel insurrection de la population arabe d'Oranie qui, manifestant un peu trop son admiration envers la politique anti-juive d'Hitler, n'était guère disposée à aller se battre pour les Alliés.
Beigbeder, l'allié objectif
de Noguès
Soucieux de se montrer plus dissuasif que Noguès, le nouveau régime espagnol surenchérit en déployant dans son protectorat des effectifs supplémentaires équipés de matériel antichar et d'une quinzaine de batteries d'artillerie antiaérienne. Beigbeder reconnut, peu après, sa part de responsabilité dans la mauvaise humeur française. «Ce fut maladroit le fait pour le Département de Politique extérieure de laisser entendre que nous avions des revendications sur Oran et qu'il serait bon que les troupes espagnoles se chargeassent de l'ordre dans tout le Maroc », confia-t-il à Franco le 29 juin 1940. Pressentant que la partie était perdue avant même d'avoir été jouée, il proposa au Caudillo de tirer un trait sur les possessions françaises et de se rabattre sur celles de l'Angleterre. «Si nous ne pouvons recueillir des dépouilles de la France, nous pouvons prétendre à celles des Anglais», lui dit-il le 8 juillet dans une note. L'historien anglais Paul Preston déduisit de la position de Beigbeder que Franco «ne sut pas comprendre» que l'armistice franco-allemand de Rethondes «avait fermé les portes à ses espoirs d'hériter des parties substantielles des territoires de l'Afrique française du Nord».
En fait, Si Beigbeder était un africaniste sincère, c'était également un ministre pragmatique, un politicien modéré, conscient des dangers auxquels pouvaient conduire les idées qu'au demeurant il partageait avec ses collègues du gouvernement. A la fureur de ses innombrables ennemis au sein de la Phalange, il freina autant qu'il pût la politique impériale, devenant ainsi une sorte d'allié objectif pour Noguès. Il ne vivait pas la présence française à Oran comme une humiliation ou comme un martyre. Il fulminait à la lecture de propos faisant de l'annexion d'Oran une urgence nationale. «Le thème de l'Oran espagnole agaçait Beigbeder qui, lorsqu'il en parlait, allait et venait dans son bureau, nerveusement et d'un pas plus rapide que jamais», relata Doussinague avant de préciser que Beigbeder, moins par patriotisme que par réaction d'amour-propre, ne pouvait «accepter l'idée de ce que fut l'armée allemande qui vînt nous offrir un empire colonial. Cette attitude fut combattue durement et dénoncée comme une folie…»
Ceux qui tenaient les rênes de l'Empire colonial français n'interprétaient pas la défaite de la métropole comme une capitulation totale. Juste après la signature de l'armistice, Noguès s'était réuni à Alger avec le gouverneur général de l'Algérie Georges Le Beau et le résident général en Tunisie Marcel Peyrouton. Tous trois avaient décidé de donner une lecture restrictive des clauses de l'armistice. Ils rejetaient toute vision pessimiste de la situation. En tant que chefs civils et militaires de l'Afrique du Nord, ils pensaient que c'était la métropole qui avait perdu la guerre et non point leur armée. Sans doute voulaient-ils maintenir les liens existant entre le Maghreb et la France. Mais agissant avec une certaine indépendance et beaucoup d'ambiguïté, ils refusaient d'apparaître liés à l'Axe ou se rangeant du côté des Alliés. Au soir de la réunion, Noguès lançait une proclamation aux habitants nord-africains, les informant que l'armistice n'obligeait pas à céder, sans combattre, à des puissances étrangères tout ou partie des territoires sur lesquels la France exerçait la souveraineté ou le protectorat et qu'était exclue l'hypothèse de l'occupation par ces puissances d'une partie quelconque de l'Afrique du Nord.
La guerre psychologique
Les relations franco-espagnoles portaient les couleurs du temps. Elles ne pouvaient prospérer dans l'atmosphère généralisée de confrontation et de défiance qui était la caractéristique de l'époque. Elles furent assurément peu cordiales et, par moments, glaciales malgré l'affichage autoritaire que les deux régimes présentaient en commun. Au sein de la panoplie des règlements des conflits internationaux, le recours aux moyens de contrainte l'emportait sur tout autre. La pratique espagnole fut de souffler le chaud et le froid. Pour appuyer ses revendications et obliger la France à faire des concessions, Franco utilisa la pression et le chantage, à l'image de ce qu'avaient fait les dignitaires nazis à l'égard des petites démocraties de l'Europe centrale. Il fallait susciter au gouvernement français davantage d'ennuis et d'embûches, saper son autorité auprès des peuples colonisés et l'amener à disperser sa vigilance sur plusieurs fronts à la fois.
Les dirigeants français étaient parfaitement conscients de ce danger qui planait sur eux comme une épée de Damoclès. Ils savaient qu'ils ne pourraient pas se dérober éternellement aux demandes espagnoles sans courir le risque d'un affrontement. Renom de la Baume avait averti son ministre Paul Baudouin, le 9 juillet par télégramme, que l'Espagne insistait «pour régler immédiatement le problème du Maroc», faute de quoi, la France pâtirait de son attitude, car «si nous remettons à plus tard la solution, nous forcerons l'Espagne à demander à l'Allemagne, en échange de certains services rendus, ce que nous n'aurons pas voulu donner nous-mêmes maintenant».
La réponse de Baudouin reconnaissait l'importance de ménager les Espagnols : «Les circonstances ne nous permettent pas de nous dérober à l'ouverture immédiate d'une négociation», disait-il. Désireux de bon voisinage, il révéla le 18 juillet au régime de Franco, sitôt qu'il en reçut communication, la requête allemande visant à l'occupation par l'armée allemande de tous les ports français nord-africains, y compris Oran.
Mais l'Espagne céda à ses pulsions. Elle décida d'envoyer quelques coups de semonce. Au risque d'embraser toute l'Afrique du Nord, Radio-Madrid lança, le 20 juillet 1940 à 18 heures et demie, un appel à l'insurrection des populations musulmanes en Algérie. L'émission causa un grand émoi à Vichy, même si elle passa inaperçue sur le territoire algérien en raison du très faible nombre de foyers autochtones équipés d'un poste TSF.
On ne savait pas comment l'interpréter. Elle portait un double sens. Elle pouvait être conçue, soit comme une mise en garde de l'Espagne face aux nouvelles exigences du Reich, soit comme un avertissement sans frais adressé à la France. Le ministère vichyssois des Affaires étrangères l'interpréta comme une attaque.
Il éleva une protestation auprès de l'ambassadeur espagnol, José Félix de Lequerica (1891-1963). Charles-Roux était tombé des nues. Quoi, les franquistes n'avaient pas trouvé d'autre moyen que de mettre de l'huile sur le feu au risque de se brûler eux-mêmes ? Il déclara notamment à Lequerica qu'un «tel appel à l'insurrection, adressé par l'Espagne aux indigènes d'Algérie, ne correspondait pas aux relations cordiales existant entre le gouvernement espagnol et le gouvernement français, et qu'au surplus il ne convenait pas qu'une puissance ayant des protégés musulmans incitât à la rébellion les ressortissants musulmans d'une autre». Lequerica transmit la protestation à Beigbeder. Ce qui n'empêcha point Radio-Madrid de récidiver. Début septembre, une nouvelle émission diffusée en arabe encouragea les aspirations émancipatrices des nationalistes musulmans. L'exaspération française se traduisit par l'envoi d'instructions fermes à Renom de la Baume, le chargeant de dire à Beigbeder «l'intérêt commun à la France et à l'Espagne que la paix intérieure ne fût pas troublée en Afrique du Nord, doute discorde risquant de favoriser les tentatives qui pouvaient être faites d'un autre côté». La protestation se voulait en outre de menaces. L'Espagne était avisée que si elle poussait les Français «à bout», ceux-ci n'auraient aucune difficulté à réaliser contre elle l'union sacrée des tribus nord-africaines qui étaient sous leur tutelle.


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