Le Lion se gratta la crinière. Il ne comprenait pas d'où venait cette brusque animosité à son égard. - Tout le monde sait pourtant qu'un lion, ça mange la biche, fit-il. - Oui, ricana en bavant la Hyène, car elle venait d'apercevoir un bout d'os qui traînait dans un coin de la grotte. Ils savent tous qu'un appétit de chef est un appétit de chef. Mais... - Mais quoi?! rugit le Lion. - Mais, ils trouvent que vous avez dépassé les bornes quand vous avez croqué le Corbeau. - Ah, ce Corbeau de tous mes malheurs! Il chantait faux. Il n'a eu que ce qu'il méritait. - Un lion, ça ne mange pas de corbeau... - Je n'ai jamais dit que je l'avais mangé. - Et pourtant, il est mort. Tout ce qu'on a retrouvé de lui, c'est une plume calcinée. Le Lion se tut et se mit à ruminer. - Le plus simple serait de les manger tous, dit la Hyène qui rêvait déjà d'un festin grandiose où elle bâfrerait à volonté. Le Lion secoua la tête. Pouvait-il les manger tous ? Que nenni! Il en mourrait d'indigestion. Mieux valait ramener les animaux à la raison pour préserver la tranquillité de la brousse. - Faites venir le Singe, ordonna-t-il. Quand le champion de la malice fut devant le roi de la savane, celui-ci lui expliqua sa mission : «Puisque tu aimes me singer pour faire le pitre, je te charge d'aller expliquer à tous mes sujets que je regrette la mort du Corbeau, mais ce qui est fait est fait et n'est plus à faire. Donnons-nous la patte!» Le Singe partit et fit convoquer tous les animaux ; il leur parla avec une rare éloquence qu'il appuyait de force gestes et acrobaties. Quand il eut fini, un Pique-boeuf lui dit: - Crois-tu que tu sois bien placé pour plaider le pardon, toi qui démolis sans cesse les nids que je tisse sur les arbres pour mes petits? Je veux bien pardonner le Lion, mais pas toi. - Ah bon, s'indigna le Buffle. Si tu te montres si intransigeant, crois-tu que je vais te laisser à nouveau picorer les puces sur mon dos? - Ne sois pas si méchant avec le Pique-boeuf ou c'est toi qui ne boiras plus à ma rivière, intervint l'Hippopotame. - Comment? s'insurgea le Crocodile. Tu protèges le Pique-boeuf parce qu'il te nettoie les dents? Moi aussi j'aimerais qu'il me les nettoie car cette rivière n'est pas à toi seul. - Impossible, rétorqua l'Éléphant ; n'as-tu pas dévoré son frère parce qu'il t'avait marché sur l'oeil? - C'est bien vrai, ajouta le Pique-boeuf. Mon frère l'avait confondu avec un bout de bois dans l'eau. - Toi l'Éléphant, tu as des comptes à me rendre, toi qui écrases les miens sans même les voir, dit à son tour le Serpent. - Laisse mon frère Éléphant tranquille, gobeur d'œufs! fit le Pique-boeuf. Peu à peu, le ton monta et les animaux en vinrent aux mains... enfin, aux pattes. Les coups de griffes se succédaient aux coups de dents et les coups de queue allaient avec les coups de corne ou de trompe. La Hyène et le Vautour étaient aux aguets, attendant de croquer quelque charogne. La confusion était à son comble, lorsque le Singe jugea qu'il était temps d'aller prévenir le Lion. Celui-ci accourut. Son puissant rugissement immobilisa les animaux en furie. Il les gronda: «Chers frères animaux ! Vous vous comportez comme des Hommes. Vous avez tous perdu la raison. Quelle mouche vous a donc piqués pour que vous vous abandonniez ainsi à la haine ?! J'ai honte pour vous, mais je vous pardonne. A présent, rentrez chez vous et qu'il n'y ait plus de bagarre car, s'il y a un jour pour se battre, il y en a un autre pour se réconcilier. J'ai dit!» Penauds, les animaux s'embrassèrent et s'en allèrent, en se disant qu'après tout, le Lion était un bon chef, puisqu'il savait pardonner. Alors ? Qui se sent morveux se torche.