Le journal Le Monde, qui s'était déjà illustré lors de la dernière poussée de fièvre des va-t-en-guerre israéliens, au Liban, durant l'été 2006, en publiant dans ses colonnes le pathétique et consternant journal de voyage de Bernard-Henri Lévy, parti se constituer bouclier humain dans les colonies du Nord d'Israël victimes des tirs de roquettes du Hezbollah, alors que l'armée israélienne mettait le Liban à feu et à sang s'est, à nouveau, distingué en publiant dans son édition du mardi 6 janvier 2009, et alors qu'Israël jetait cette fois son dévolu sur la bande de Gaza, l'infâme bafouille du sieur Glucksmann, qui se dit philosophe. Dans la lettre de protestation que j'envoyais au Monde, dès le lendemain, je prédisais que son collègue, et ami, Bernard-Henri Lévy, philosophe de terrain sans peur et sans reproche, était certainement, au moment où lui-même montait au créneau, sur le front, à Sderot, sinon à Ashkelon, ou à Beersheba, protégeant une fois de plus de son corps des Israéliens terrorisés par les roquettes du Hamas. Et je ne me trompais pas. Deux jours plus tard, en effet, le soldat Lévy, de retour du front prenait, à son tour, la plume, le 8 janvier, dans les colonnes de l'hebdomadaire Le Point, pour témoigner du «cauchemar» vécu par les habitants de Sderot, «terrés dans les caves de leurs immeubles» et vivant une existence «en sursis, au son des sirènes et des explosions» : «Je suis allé à Sderot, dit-il, je sais». Revenu sain et sauf, après avoir risqué sa vie pour Israël, mais vraisemblablement épuisé par son voyage, au bout de l'enfer, il se contente de nous livrer ses vérités, qu'il présente comme des «faits». Soigneusement sélectionnés, les «faits» en question contribuent à donner de la réalité du massacre de Gaza une image délibérément déformée, et partielle. Car pourquoi, s'interroge le lecteur naïf, n'a-t-il pas profité de son séjour à Sderot pour visiter Gaza, pourtant toute proche, si ce n'est pour ne pas tout savoir ni tout dire du drame qui s'y nouait ?… Eyeless in Sderot. Mais dix jours plus tard, Lévy publiait dans Le Journal du Dimanche ses «carnets de guerre» tant attendus, dans lesquels il confessait, comme pour mieux nous faire mentir, avoir visité Gaza, de nuit, incorporé dans une unité d'élite israélienne : «Soucieux, contrairement à vous, d'essayer, au moins d'aller y voir, dit-il, je suis, ce mardi 13 janvier, entré, à la nuit tombée, dans les faubourgs de Gaza-City, quartier Abasan Al-Jadida, un kilomètre au nord de Khan Younès - «embedded» dans une unité d'élite Golani. Je sais, pour l'avoir évité toute ma vie, que le point de vue de «l'embedded» n'est jamais le bon point de vue. Et je ne vais pas prétendre, en quelques heures, avoir capté l'esprit de cette guerre. Mais, cela étant dit, je donne mon témoignage. Probablement terré au fond d'un blindé, avec pour unique champ de vision celui, fort réduit, que peut offrir une meurtrière, de nuit qui plus est, Lévy nous dit donc ce qu'il voit : «Le peu, très peu, que je vois (buildings plongés dans l'obscurité, mais debout, vergers à l'abandon, la rue Khalil al-Wazeer, avec ses commerces fermés) indique la ville sonnée, transformée en souricière, terrorisée - mais certainement pas rasée, au sens où purent l'être Grozny, ou certains quartiers de Sarajevo. Peut-être serai-je démenti quand la presse entrera, enfin, dans Gaza. Mais pour l'heure c'est, encore, un fait». Car, les profondes réflexions du caporal-chef Lévy reposent toujours sur des «faits». Soucieux, comme nous, de voir et de savoir, il aura donc sûrement découvert, depuis, les terribles images de Gaza, ravagée plus que «sonnée», et pris connaissance de ces chiffres qui en disent long : en l'espace de trois semaines, l'armée israélienne a totalement détruit plus de deux mille quatre cent maisons, vingt-huit lieux et bâtiments publics, incluant des ministères, des municipalités, des conseils régionaux, le Conseil législatif, et des ports de pêche, vingt-et-un chantiers incluant des cafétérias, des salles de mariage, des hôtels et des aménagements touristiques, trente mosquées (et quinze autres sérieusement endommagées), les bureaux de dix organisations caritatives, cent vingt-et-un ateliers industriels et commerces, cinq usines à béton et une production de jus de fruit, soixante postes de police et commissariats, cinq immeubles abritant des médias et deux assurant des soins médicaux, vingt-neuf établissements à vocation éducative. Par ailleurs, des centaines d'hectares de terres cultivées ont été défoncées. Ce qui est fait n'est plus à faire, dirait Lévy. Quant à la visite de Gaza by night, à laquelle l'ont invité les militaires israéliens, elle ressemble fort à celles qu'organisaient, de leur temps, les régimes communistes, dont le parcours était minutieusement étudié et les sites soigneusement sélectionnés, afin de donner à leurs hôtes la meilleure image possible, aussi fausse ou tronquée, soit-elle. Pour le reste, le récit de Bernard-Henri Lévy, accompagné de deux éloquents clichés de l'écrivain, en compagnie de ses amis israéliens, Barak «la colombe» et Yoav Galant, l'un des généraux en charge de l'opération «Plomb durci», est à la hauteur de nos attentes : un concentré d'hypocrisie, dans lequel l'écrivain semble avoir mis tout ce qu'il avait de cynisme et de mauvaise foi pour défendre Israël, coûte que coûte. Le petit article publié dans Le Point n'était, donc, qu'un hors-d'œuvre : Lévy en avait gardé sous la pédale, pour nous servir, enfin, du grand BHL. Comme Glucksmann Lévy est, depuis longtemps déjà, passé maître dans l'art de la désinformation et de la manipulation d'une opinion d'autant plus facile à influencer qu'elle est, par ailleurs, très mal informée : efficace, certes, mais ô combien répugnant, dès lors que l'objectif avoué en est de minimiser, de nier ou de justifier les crimes de guerre commis par Israël, durant ces trois semaines de folie meurtrière. Glucksmann et Lévy devraient savoir que l'apologie de crimes de guerre tombe sous le coup de la loi française qui considère qu'«un écrit, qui présente comme susceptibles d'être justifiés des actes constitutifs de crimes de guerre, doit être considéré comme apologétique» ; et qu'une fois officiellement reconnus, comme tels, les crimes israéliens, à Gaza, et leurs auteurs poursuivis, eux-mêmes pourraient aussi avoir à répondre de l'apologie qu'ils en ont faite. Mais, en attendant, il est de notre devoir d'effiler le tissu de mensonges, de contrevérités et d'insinuations malhonnêtes qui constitue la trame des misérables arguties de nos deux «philosophes» afin de rétablir, à l'intention du public français et, en particulier, des lecteurs du Monde, du Point et du Journal du Dimanche, qui sont les premières victimes de cette honteuse manipulation, quelques vérités essentielles sur Gaza. Dans son «bloc-notes» du Point, Lévy, non sans s'être préalablement débarrassé, à la va-vite, de l'encombrant fardeau que représentent ces centaines d'enfants morts - se disant «évidemment bouleversé» mais s'abstenant néanmoins, sans aucune honte, car «n'étant pas un expert militaire», de «juger si les bombardements israéliens sur Gaza auraient pu être mieux ciblés, moins intenses» - , commence par dénoncer le «vent de folie» qui s'empare de certains médias, «comme toujours, quand il s'agit d'Israël», dit-il, un «Israël vilipendé, traîné dans la boue, diabolisé». Le procédé est bien connu, qui consiste à poser Israël en victime d'une vaste campagne de désinformation, orchestrée par la gauche radicale et la mouvance altermondialiste, accusées de connivence avec ceux que Podhoretz et Taguieff, islamophobes fanatiques, appellent les «islamo-révolutionnaires. Dans ses «Carnets de guerre», Lévy nous explique, avec l'aide d'Amos Oz, comment se propagent les rumeurs. Il prend, pour exemple, «cette histoire de maison où l'on aurait, dans la zone de Zeitoun, attiré cent personnes avant de tirer dans le tas», histoire qui paraît à son ami Amos «si insensée qu'il ne sait, ni par quel bout la prendre, ni comment elle a pris corps». D'après Lévy, «tout aurait commencé, semble-t-il, par un vague témoignage recueilli par une ONG», relayée par quelques journalistes, puis par «le village médiatique planétaire» : «Tsahal aurait... Tsahal pourrait... le docteur X confirme que Tsahal serait à l'origine de...» Ah, le poison de ces conditionnels subtils, et soi-disant prudents, s'exclame-t-il ! Dans deux jours, on ne parlera plus de la rumeur de Zeitoun. Mais qu'en conclura le monde ? Que c'est parce qu'elle était absurde ? Ou parce qu'une horreur chasse l'autre et que Tsahal aurait gravi un degré de plus, entre temps, sur l'échelle de l'abomination et du crime ? La vérité, c'est que deux jours après on ne parlait que de ce crime ignoble, de cette maison bombardée, après que les habitants du quartier y aient été regroupés par Tsahal, et qui fit trente morts, dont la moitié d'enfants. L'un des rescapés, Salah Talal, blessé à la tête, raconte dans L'Humanité : «L'armée israélienne nous a, tous, regroupés dans cette maison parce qu'elle s'installait dans celles qui étaient autour. Comme ils nous avaient laissés sans eau, et sans nourriture, on est sortis pour prendre du bois pour faire du feu, et confectionner du pain. C'est, alors, qu'ils ont fait feu. Une première bombe est tombée. Cinq personnes ont été tuées. C'est, là, que j'ai été blessé. Puis un deuxième missile s'est abattu, en tuant vingt-deux autres». La rumeur, loin d'être absurde, était donc bien fondée. Et si l'on parla un peu moins, par la suite, de «cette histoire de maison» c'est effectivement, comme le prédisait Lévy, parce que ce crime fut rapidement occulté par d'autres, plus graves encore, comme ces bombardements au phosphore dont les médecins, impuissants, décrivent depuis plusieurs jours les effets dramatiques sur la population. Glucksmann divise, quant à lui, l'opinion en pas moins de deux catégories : les «inconditionnels», d'une part, qui ont décidé par avance qui a tort et qui a raison, qui ont une opinion bien arrêtée et qui n'en changeront pas ; et les «circonspects», d'autre part, qui réfléchissent et attendent de voir pour se faire une opinion. Il ne nous dit pas dans quelle catégorie il se range lui-même. Mais la profonde réflexion qui suit cette introduction prometteuse ne laisse aucun doute quand à son appartenance revendiquée à la seconde. Son acharnement pro-israélien aveugle et… inconditionnel aurait, pourtant, laissé penser qu'il faisait partie de la première. Mais qu'à cela ne tienne. Les Israéliens, pour leur part, font naturellement partie des circonspects : quelle belle démocratie que celle où l'on peut, sereinement, discuter de la façon de taper sur son meilleur ennemi, et du moment le plus approprié pour le faire ! D'après Glucksmann, les circonspects se posent, ni plus ni moins, que trois questions : «Est-ce le moment ? Jusqu'où ? Jusqu'à quand ?» ; quant à la question de savoir s'il n'est pas d'autre solution que l'usage de la force brutale, il semblerait qu'elle ne se pose même pas… Quelle belle démocratie que celle qui sait adopter une attitude consensuelle, aussi criminelle soit-elle, dès lors que c'est sa «survie» dans un environnement hostile qui est en jeu ! Voilà qui ne laisse guère d'espoir aux Palestiniens. Glucksmann, lui, voit pourtant «poindre une lueur d'espoir» : certains présumés inconditionnels auraient tendance à devenir un peu circonspects, à l'instar d'un Mahmoud Abbas «trouvant le courage d'imputer au Hamas […] la responsabilité initiale du malheur des civils de Gaza ». Il en fallait, en effet, pour s'aligner, ainsi, sur une position qui n'est autre que celle d'Israël et de ses suppôts.