«C'est une rumeur de plusieurs siècles. Et c'est le chant des plaines de l'océan», ainsi commence la supplique lyrique qu'adressent les deux chevaliers du Tout-Monde au nouveau président américain. Ils analysent, déchiffrent, décortiquent le phénomène Obama à l'aune de la poétique de la diversité et de la relation que le duo appelle de tous ses vœux. On sait que le nouveau président des Etats-Unis est un lecteur vorace. Pendant la campagne électorale, on l'a souvent vu en train de récupérer en se plongeant dans un livre. Il pique une lecture, comme d'autres piquent un somme. Après The post-American world (Le monde post-américain) de l'Indien Farid Zakaria, dont on a vu le futur président tourner goulûment les pages, ses conseillers pourraient peut-être soumettre à sa sagacité le très beau texte sur le phénomène Obama que deux des plus grands écrivains de la Caraïbe francophone, Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant, viennent de publier sous le titre évocateur de l'Intraitable beauté du monde. Le produit de la créolisation des sociétés modernes C'est un livre bref et fort, d'une cinquantaine de pages. Il se présente sous la forme d'une longue lettre adressée à ce président métis dont l'arrivée au pouvoir, imprévisible il y a encore quelques mois, s'inscrit, selon les deux auteurs, dans la lignée de leur réflexion sur la «relation» et le «Tout-Monde». Barack Obama est, écrivent-ils, le produit de «la créolisation des sociétés modernes, qui s'opposent aux traditionnelles poussées de l'exclusive ethnique, raciale, religieuse et étatique des communautés actuellement connues dans le monde». Cette créolisation, qui traduit au sommet la diversité fondamentale des Etats-Unis, n'est pas la victoire des Noirs ni la revanche de l'Histoire sur les tragédies de l'esclavage et de la colonisation, mais «un dépassement de l'histoire étasunienne». «La considération ambiguë et jamais franchissable qui a présidé à la fondation du pays est rendue claire et a été franchie, affirment le duo, non pas seulement par la partie opprimée de la nation, mais par la nation tout entière.» Contrairement à son prédécesseur, il semble connaître le monde Après cette mise en perspective historique de la victoire de Barack Obama, les deux auteurs s'attachent dans la deuxième partie de leur livre à imaginer les implications sur le plan mondial de cet événement. Pour utopique que soit leur démarche, messieurs Glissant et Chamoiseau n'oublient pas qu'en tant que représentant de la première puissance du monde, plus habituée à le diriger qu'à écouter «le cri du monde», Barack Obama n'échappera peut-être pas «au cercle fatal des prédéterminations impérialistes». Mais ce qui les comble d'espoir, c'est que le nouveau président, contrairement à son prédécesseur, semble connaître le monde. Il sait, par exemple, que l'Irakien n'est pas un sauvage, mais au contraire l'héritier d'une grande civilisation trois fois millénaire. Il semble surtout avoir une «intuition juste du monde». En quoi consiste cette intuition ? A comprendre surtout que «la force n'est pas puissance». Une intuition que confirme aujourd'hui, plus que jamais, la tourmente militaire, financière, culturelle dans laquelle se débattent les Etats-Unis. Il leur faudra accepter que les solutions soient décidées avec tous. «Les peuples ont aujourd'hui le pressentiment que la force des nations ne fait plus leur grandeur. (…) La grandeur d'une nation naît de la justice de ses intuitions quand il s'agit des rapports entre toutes les nations et toutes les communautés, et cette grandeur est confirmée par les dispositions que cette nation pourrait proposer ou prendre pour équilibrer ces rapports.» Est-ce que sous la houlette de Barack Obama, produit lui-même de la mosaïque des civilisations et des êtres, l'Amérique entamerait sa mue en une puissance égalitaire, qui renoncerait à sa prétention de diriger la planète ? Rien n'est moins sûr. N'est-ce pas aller trop vite en besogne d'imaginer que Barack Obama saura faire tomber tous les murs qui séparent la première puissance mondiale des déshérités du monde ? Ce n'est sans doute pas demain que les pays de l'Afrique noire seront nommés au cœur de toutes les urgences du monde. Ce n'est toujours pas demain qu'on verra une autorité mondiale distribuer entre les endroits d'abondance les parts d'immigration à absorber et les charges de misère à assumer, comme semblent le souhaiter Glissant et Chamoiseau. Un irréalisme qu'assument les deux auteurs car, comme ils l'écrivent en clôturant leur beau texte, «l'utopie est ce qui manque au monde, le seul réalisme capable de dénouer le nœud des impossibles». D'ailleurs, c'est cet irréalisme poétique mais réfléchi qui rend la lecture de cette supplique si passionnante. Voire même urgente ! T. C. L'intraitable beauté du monde. Adresse à Barack Obama, par Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Editions Galaade, 60 pages.