Les premiers à être debout sont les poissonniers et les marchands de fruits et légumes du marché couvert pour réceptionner viandes, poulets, œufs, fruits et légumes, arrivent ensuite les SDF, éternels laissés-pour- compte, hommes et femmes, véritables loques humaines, grelottantes de froid à la recherche d'un refuge pour se réchauffer, un café en l'occurrence, après avoir passé la nuit à la belle étoile, qui se soucie d'eux ! La DAS ou le CRA ? Ces deux organismes sont aux antipodes de leurs souffrances. Généralement, ces malheureuses âmes en peine sont bien accueillies par les cafetiers et les clients matinaux qui leur offrent café chaud et gâteaux. La place du 17 Octobre 1961, plus communément appelée Place rouge puisque autrefois c'était le fief incontesté et incontestable des communistes du temps de la gloire et de la splendeur du PAGS, parti cher à feu Hachemi Chérif. C'est à la Place rouge que se faisaient et se défaisaient les réputations, c'est ici que se rencontraient toutes les élites de la ville ainsi que les Tiarétiens de souche nostalgiques de leur ville d'antan, ils continuent toujours de se rencontrer dans leur lieu de prédilection préféré : le café la Bourse évoquant leurs bons et mauvais souvenirs ainsi que leur cité qui a perdu son âme et son charme A quelques dizaines de mètres, en amont il y avait la célèbre église la Sainte Madeleine avec ses sources, ses jardins enchanteurs et tout en fleurs, ses arbres, ses néfliers où les Tiartis allaient volontiers se détendre, elle fut rasée pour laisser place à une mosquée, la future mosquée Salah-Eddine El Ayoubi dont la construction n'est pas totalement achevée faute de moyens, dit-on, après plus de trente ans ! Ce qui fait mal aux citoyens de Tiaret jaloux de leur patrimoine, c'est la destruction des jardins, un véritable joyau environnemental ; la rumeur a couru et elle court toujours d'ailleurs puisque transmise de famille en famille et de père en fils,c'est que les responsables de l'époque sous l'ère du parti unique ont rasé l'église pour accaparer la pierre taillée ou pierre bleue en vue d'ériger leurs augustes demeures ! Aujourd'hui à Tiaret, il n'y a pratiquement plus de communistes ou Pagsistes comme les appelle le citoyen lambda. Certains ont été exécutés par les mollahs algériens, d'autres ont fui le pays vers des cieux plus cléments, les rares qui sont restés vivent dans l'ombre et l'anonymat, marginalisés en plus. On raconte, et c'est authentique qu'un leader islamique venu en campagne électorale à la Place rouge même sermonna les Tiartis en ces termes : «Vous n'avez pas honte de permettre aux pouvoirs publics de baptiser cette place le 17 Octobre 1961 en référence à la révolution bolchevique !» Un vieux routier de la politique lui répondit en ces termes : «Non, Monsieur nous en sommes fiers, il semble que c'est vous qui confondez l'histoire du pays avec celle des Russes, retournez donc à l'école.» Ceci pour l'anecdote ! La Place rouge commence à recevoir ses invités habituels, en premier les retraités cherchant un endroit ensoleillé pour réchauffer leurs vieux os, les poissonniers, eux ont commencé à crier à gorge déployée vantant leurs produits, la sardine, poisson du pauvre par excellence trône en reine sur les étals. Très vite une marée humaine envahit la place qu'une flopée de bus vient de déverser aux quatre coins de la ville, des citoyens venant des communes avoisinantes où l'oisiveté règne en maîtresse les poussant à fuir leurs hameaux. Jeunes, vieux, femmes, enfants, chômeurs, affairistes, transe-dites, ici le riche et le pauvre se rencontrent. Bientôt des groupes se forment par affinités, les retraités eux méditent sur leur maigre et piètre pension vouant aux enfers gouvernement, syndicats et fédération, l es mordus de sport et de politique sont plus nombreux et les débats sont passionnants et passionnés. Les amateurs de la belle ronde ne parlent que des Verts, au diable le club local ! Les férus de politique eux dissèquent les événements nationaux et internationaux puis le sujet tourne autour de l'éviction du maire, de la dilapidation de l'argent public et de la fameuse affaire des cinquante-quatre milliards, des sénatoriales qui se négocient à coups de milliards, du wali qui à leurs yeux n'est qu'un wallou. Pour eux, tout est mal pensé, mal conçu et mal fait, rien ne trouve grâce à leurs yeux, plus loin fellahs et éleveurs ont aussi leur cercle. Pluie, beau temps, labours, semailles, effacement de la dette, crédits et tutti quanti mais là on passe vite à ce qui est plus rentable et plus pratique : vendre une partie des semences, la vie est trop chère. Parmi eux des courtiers et des intermédiaires, l'affaire est vite traitée et l'on s'isole pour conclure, les cambistes, eux plus pragmatiques, plus efficaces et réalistes, ne discutent pas. Ils traitent, au seuil de la banque, euros contre dinars ou vice-verse. Leurs clients : des retraités anciens émigrés ou des é émigrés de passage. Une jeune fille passe dans un jean moulant, sac en bandoulière, cheveux au vent elle fend la foule et soudain surgit un jeune qui lui arrache sa chaînette en or et son sac. Tout le monde a vu la scène mais personne ne branche. Heureusement pour elle un policier en civil accroche le malfaiteur, le maîtrise et le menotte puis remet son bien à la jeune fille en larmes qui se confond en remerciements. (A suivre)