Parcourant la mer à la tête de douze bâtiments de guerre français, Tourville captura un vaisseau algérien dans le détroit de Gibraltar, qui s'est défendu avec son artillerie et sa mousqueterie tant qu'il put avant de voir ses hommes, du moins les survivants, prendre le chemin des galères. Et les drames succédant aux drames, les entreprises chrétiennes ne cessèrent de porter de rudes coups à la marine d'Alger A titre d'exemple, notre chercheur universitaire rapporte : - En 1711, deux corsaires de Malte s'emparèrent d'un navire de la Régence qui fut conduit à Majorque avec ses deux cents hommes d'équipage. - En 1716, parti d'Alger avec des pèlerins à son bord se rendant à la Mecque, un navire avec passeport et pavillon français, fit escale à Tunis pour en prendre d'autres, puis, en haute mer, le capitaine du vaisseau changea brusquement de cap et accosta en Sicile …pour y livrer les Musulmans et s'emparer d'une partie de leurs biens : cent dix-huit furent vendus à Syracuse comme esclaves (Cf. Plantet, pp. 93-94. Lettre d'Ali Dey à Louis XV, 15 mai 1717). - En décembre 1751, à l'issue d'un violent combat contre des navires de guerre espagnols, et après une farouche résistance qui dura quatre jours, l'Auguste III ,un magnifique navire enlevé aux Dantzikois en 1749 et dont le Dey en fit un vaisseau amiral, fut incendié et plusieurs hommes tués. Les pertes humaines furent considérables, parmi les rescapés on en dénombrait trois cent vingt-cinq marins captifs, quatre vingt blessés dont le Raïs Muhammad Chérîf - Quatre années plus tard, une formation de chébecs espagnols, appuyés par des vaisseaux, coula trois unités algériennes, non loin du Saint Martin et plus de cinq cents matelots furent conduits à Carthagène. L'armement de ces bâtiments comprenait mille cent hommes «tous jeunes, choisis et embarqués de bonne volonté sous le commandement des trois plus fameux Raïs de la Régence: Hadj Mûsa, Husayn Barboucha et Husayn dit le Petit ». (Cf. Long récit dans Lemaire (Consul), journal, A.C.C.M série J. 1365, avril 1755). - Entre 1762 et 1769, Barcelo, corsaire espagnol promu amiral, prit dix-neuf navires dont les équipages furent envoyés aux galères. Dans un dossier des archives espagnoles, il est question en 1784, de prisonniers Maures pris sur un navire français. (A.C.C.M. série J. 1366). - En mars 1828, à Porto Farine, un navire algérien de six canons, y était ancré quand il fut attaqué et ses soixante-trois matelots embarqués sur la frégate L'ASTRE (A.C.C.M série MR 46.4.1, Archives espagnoles, Ministère de la Marine, section course, dossier n° 1848 (6 août 1784). Ces quelques exemples rapportés montrent combien les risques étaient grands pour les Algériens de se voir capturés par les corsaires chrétiens, notamment lorsqu'ils se trouvaient , pour une raison ou une autre en voyage, affaires de commerce ou en transit, dans un port européen. Et ce même quand il arrivait aux marins d'Alger de relâcher, conformément aux accords conclus, dans les ports de la chrétienté, les parapheurs occidentaux ne respectant pas leurs engagements. Le danger menaçait, ainsi, partout et à chaque instant, les Algériens et musulmans, en général. «Un brigantin français, chargé d'orge et venant de Tripoli via Malte, accostait à peine que ses cinq passagers musulmans, dont un Algérien, Qara Muhammad, furent arrêtés par la douane espagnole» ( Cf. AN- Aff. Etr. B-III, registre11, n° 37). Etant donné l'ampleur des batailles navales, une assistance permanente était accordée par Alger au Sultan dans ses nombreuses guerres qui mobilisaient une grande partie de la flotte en mer. «Aucun événement, écrit Baudicour, ne s'accomplissait sur le bassin de la Méditerranée sans que les corsaires algériens y prissent part. La force principale de toute la marine ottomane reposait sur eux. Et ces guerres causaient des pertes en hommes et en matériel. Une grande partie des marins tombait entre les mains de l'ennemi. De Préveza (1538) à Navarin (1827) les guerres d'escadres faisaient perdre à la marine d'Alger de bons capitaines et de robustes marins. Le butin de Lepante, a-t-on dit, fut d'abord un «butin humain». (Cf. Aymard , Mélanges F. Braudel, I, p. 57), 3651 esclaves furent répartis entre les vainqueurs : dont 558 pour le Pape; 1323 pour Venise, 1870 pour l'Espagne) . Les batailles, devant Alger ou non loin, dépouillèrent la marine de dizaines de matelots (en 1695, deux cents Algériens et en 1698, quatre vingt tombèrent entre les mains des corsaires du Pape. En 1702, on notait la capture de soixante maghribins). Le Dr Moulay Belhamissi à qui l'on doit l'essentiel de ces lignes, ajoute à propos de la captivité des Algériens en haute mer : Le témoignage de Haedo, même s'il se rapportait à la fin du XVI e siècle, laisse deviner l'importance de la saignée dont souffrit la marine algérienne. «En 1590, écrit le bénédictin espagnol, quatorze Raïs de galiotes et brigantins se trouvaient dans les prisons de Castel Novo, pris à différentes époques et par diverses personnes, parmi eux, Mostefa Arnaout, célèbre corsaire algérien, homme puissant, marié à une parente du capitaine Arnaout Mâmî» (Histoire des Rois d'Alger, p. 209). Ainsi, apprend-t-on, à la faveur des inestimables travaux de débroussaillage sur cette importante question entrepris par notre chercheur universitaire, l'autre face cachée des choses sur l'esclavagisme, que l'Europe chrétienne entretenait depuis des lustres, voilant des pratiques scandaleuses qu'on prêtait trop souvent aux «barbares» anti-croisés du camp opposé. Alors que nombre de documents relatifs aux conditions de captivité, de détention et travail forcé en Occident, des Musulmans (tout comme des Africains, en général), sont çà et là, dans les grandes bibliothèques européennes, notamment, pour attester, entre autres, que tout le long de la période dite ottomane, Raïs, marins, mousses, femmes, fillettes, vieillards, ne cesseront de connaître les affres de l'esclavage. Le Dr Moulay Belhamissi , parlant d'une grande ville française ou le marché des captifs algériens est assez connu dans l'Histoire : «Si Marseille fut un centre de vente, elle fut surtout une place importante de captifs. Elle éprouva un grand besoin d'acquérir des esclaves musulmans. Le grand nombre de galères ancrées dans le port ainsi qu'à Toulon, exigeait la possession de plus de dix mille rameurs. Et comme le recrutement local était déficient, il ne restait plus que le recours à la course et à l'achat pour combler le déficit. Les corsaires de Marseille se mirent à courir les mers. Le poète Malherbe chanta leurs exploits. Dans une ode à Henri Le Grand, il dit: Tantôt nos navires braves, De la dépouille d'Alger, Viendront les Mores esclaves, A Marseille décharger * *(Cf. Malherbe, œuvres, La Pléade, p. 783 Gallimard, 1971). (A suivre) Mohamed Ghriss