L'affaire dite du wali d'El Tarf révélée en février 2005 est relancée avec les conclusions établies par les 4 magistrats, dont 3 juges d'instruction ayant présidé la procédure de confrontation des 16 accusés. Ils ont été récemment mis face à leurs accusateurs au siège de la Cour suprême en charge de ce volumineux dossier. S'y mêlent la dilapidation de deniers publics, la passation de marchés contraire à la règlementation, la corruption, le trafic d'influence et les abus des biens sociaux. L'affaire avait défrayé la chronique locale et nationale du fait de la qualité des mis en cause dont le wali, plusieurs membres de l'exécutif de wilaya et des élus entre APC et APW. Ont été aussi cités pour être directement ou indirectement impliqués, des élus des deux chambres hautes et des hauts fonctionnaires. Les premiers éléments de l'enquête engagée par les éléments des trois corps de sécurité (Police-Gendarmerie-DRS) avaient conclu au bien- fondé de la multitude de dénonciations. Celle du vice-président de l'Assemblée populaire communale d'El Tarf, ancien officier supérieur de l'ANP à la retraite et président de la commission des marchés de wilaya, est appuyée de preuves accablantes. Dans le lot, les copies des chèques trésor, de vraies factures pour des travaux fictifs, des marchés surévalués, le trafic du sable, des autorisations d'exploitation des sablières de complaisance, des terrains à bâtir à la veux-tu en voilà. Dans leurs déclarations à ce jour, non démenties, deux associés dans une entreprise d'extraction et commercialisation de sable de construction ont affirmé avoir remis au wali 10 millions DA sous la forme de dix bons du trésor de 1 million DA. Les photocopies de ces bons ont été versées au dossier. Cette somme serait la contrepartie de l'autorisation que la wilaya d'El Tarf devait leur remettre. C'est, en tous cas, la déclaration de l'un des deux opérateurs économiques. Il a justifié son acte par les difficultés que son associé et lui avaient rencontrées durant des années pour bénéficier de la dite autorisation. «J'ai été contraint d'arriver à cette extrêmité pour disposer d'une preuve. A Alger où nous nous sommes rencontrés, le wali m'avait laissé entendre qu'il était dans le besoin de 10 millions DA pour l'achèvement de sa villa», avait-il affirmé dans une de ses déclarations. Du côté des accusateurs, on s'en tient à la version initiale. Notamment le vice -président de l'APW et président de la commission des marchés. «Depuis ma dénonciation des nombreuses affaires de corruption et passations de marchés contraires à la réglementation, ma famille et moi sommes confrontés à une multitude de tracasseries. Par des accusations fallacieuses, on a tenté de porter atteinte à ma crédibilité. Par cinquante fois, je me suis trouvé cité à la barre des accusés pour des actes que je n'ai pas commis. On est arrivé jusqu'à démolir une partie de mon habitation par les services de la commune de Echatt», explique le colonel Belaïd. Les premiers éléments de l'enquête avaient conclu à la véracité des accusations portées à l'encontre de plusieurs commis de l'Etat, des cadres de différentes institutions de la République et chefs d'entreprises privées. Huit d'entre eux dont le wali avaient fait l'objet d'une procédure de mise sous mandat de dépôt. Ils bénéficieront de la liberté provisoire, neuf mois après leur mise en détention préventive. Quant aux huit autres, ils sont à ce jour sous contrôle judiciaire. L'affaire dite du wali de El Tarf est aussi relancée avec la décision du juge d'instruction près le tribunal de El Tarf de placer sous mandat de dépôt une autre brochette d'élus et de hauts fonctionnaires. Jusqu'alors intouchables, l'ancien président d'APW d'El Tarf ainsi que les chefs d'agence foncières de Bouteldja et El Kala sont ressortis du tribunal menottes aux poignets. L'enquête sur les actes décidés par le wali a permis au magistrat de prendre cette extrême mesure à l'encontre de ceux que les policiers locaux surnomment les «sénateurs des atteintes aux biens publics». Mais il y a surtout les révélations faites, preuves à l'appui, par le colonel Belaïd, l'opérateur économique Drissi, le trésorier de la wilaya et le chef de cabinet. C'est dire que la mafia locale dont les actes sont à l'origine du sous-développement de toute la région, traverse de grandes turbulences. On peut même affirmer que les orages s'abattent sur elle avec fréquence et violence. La police judiciaire, tous corps confondus, planche sur l'ensemble des méfaits qui ont transformé la wilaya de El Tarf en caverne d'Ali Baba et des 400 voleurs. Les perquisitions se sont poursuivies dans les domiciles des mis en cause et dans les archives des différentes administrations (cabinet du wali- Dlep- Education- Trésorerie- Domaines- agences foncières- travaux publics- énergie et mines). Le dépeçage du patrimoine foncier des différentes communes notamment à Bouteldja, Tarf et El Kala a atteint la démesure. C'était à qui, parmi les «sénateurs du crime», arriverait le premier pour se servir ou être servi. La moindre opposition comme celle du colonel Belaïd, un militaire à la retraite (50 poursuites judiciaires pour des motifs fallacieux) est pour son auteur synonyme de tracasseries judiciaires. Telles sont les constatations de la brigade d'enquêteurs dépêchés par Alger. Ses éléments ont investi les différentes administrations de la wilaya, y compris la briqueterie de Besbès. D'entreprise publique économique, cette briqueterie en production a été cédée, par on ne sait quel tour de passe-passe, au président de l'Assemblée populaire de wilaya de l'époque. Dix années après, il n'a toujours pas payé le prix sur mesure fixé sur ordre. Dans le lot de la quarantaine de personnes convoquées ces derniers jours par le juge d'instruction du tribunal d'El Tarf (cour de justice de Annaba) , plusieurs se sont retrouvées sous le coup d'un mandat de dépôt. Lors de sa confrontation au siège de la cour suprême, l'ex wali d'El Tarf n'avait pas cessé de clamer son innocence. Il se serait même positionné en défenseur du patrimoine de l'Etat. En face, il avait l'entrepreneur. Ce dernier lui aurait versé 10 millions DA sous forme de 10 bons de trésor de 1 million DA chacun. «C'était pour qu'il puisse achever sa villa à Alger» avait précisé cet entrepreneur à l'origine de la mise au jour du scandale. Il y a aussi le trésorier de la wilaya qui obéissait au wali sans se poser de questions quant à payer les dépenses y compris les plus extravagantes. Dans l'inventaire de ces extravagances, figurent une bibliothèque payée à 3 millions de dinars et un téléviseur grand écran à 180 000 DA. Il y avait aussi le chef de cabinet contraint et forcé de se soumettre à toutes les instructions de son chef hiérarchique. Dans ce lourd dossier judiciaire de la wilaya d'El Tarf, les enquêteurs ont frappé fort. Au niveau de la chancellerie, instruction présidentielle oblige, des sources crédibles affirment que même les élus de l'une ou de l'autre des deux chambres nationales qui auraient «bouffé au râtelier» ne seront pas épargnés. C'est pourquoi à El Tarf, on s'agite pour tenter d'étouffer d'autres scandales qui, à ce jour, continuent de secouer cette wilaya frontalière avec la Tunisie.