Le jeûne fait partie des cinq piliers ou fondements de l'Islam mentionnés dans la nouvelle prophétique suivante : «l'Islam est fondé sur cinq piliers : - la double attestation de l'unicité divine et de la mission de l'envoyé de Dieu (nul Dieu adoré sinon Dieu et Mohamed est le Messager de Dieu) ; - l'accomplissement de l'action de grâce rituelle ou prière (salâ), - l'acquittement de l'impôt purificateur (zakât), - le pèlerinage, - le jeûne du mois de Ramadhan (in Bukhari, d'après Ibn ‘Omar). Certaines recensions mentionnent le jeûne avant le pèlerinage. Il est important de souligner que ces cinq assises rituelles de l'Islam représentent cinq éléments essentiels qu'on retrouve, sous des formes parfois différentes, dans les autres traditions. La révélation islamique, dernière en date du cycle historique et après laquelle, selon l'Islam, aucune autre ne parviendra au genre humain actuel, récapitule les autres révélations. Sa forme et ses formulations doivent alors tenir compte de tous les modes d'adoration possibles et doivent aussi permettre de pouvoir s'appliquer universellement à tous les types et comportements humains. Aussi, avant de montrer que le jeûne islamique présente un caractère d'universalité, et pour mieux le situer dans cette perspective, nous voudrions expliciter en quoi consiste cette universalité de l'Islam. Selon les données d'autorité de la tradition musulmane, le Coran (Qur'ân) et la règle prophétique (sunna), l'Islam est la dernière révélation ou descente divine (tanzîl) et le Messager qui l'a transmise, Mohamed (QSSSL), est le Sceau des prophètes. «Mohamed n'est le père d'aucun de vos hommes mais il est le messager de Dieu et le Sceau des prophètes. Dieu, au sujet de toute chose, se trouve savant» (Coran 33-40). Dans cette perspective, il fallait que la dernière révélation s'adressât à l'humanité toute entière. En effet, Dieu parla ainsi à son prophète : «Dis : «Ô êtres humains, certes, je suis le messager de Dieu vers vous tous. A Lui le royaume des cieux et de la terre. Nul Dieu adoré sinon Lui. Il fait vivre et fait mourir. Ajoutez foi en Dieu et en son Messager, le prophète illettré qui a foi en Dieu et en ses paroles. Conformez-vous à lui dans l'attente d'être guidés» (Coran 7-158). «Nous ne t'avons envoyé que comme miséricorde pour les êtres de l'Univers» (Coran 21-107). Selon Anas Ibn Malik, le Prophète – sur lui la grâce et la paix – a dit : «Les deux missions légiférantes et prophétiques sont arrivées à terme, et il n'y aura plus ni envoyé ni prophète après moi…» (in Tirmidhî). Dans le cycle total de la révélation divine, l'Islam doit donc être la tradition finale qui exprime le caractère universel et primordial de cette révélation adressée au genre humain par le prophète Adam et renouvelée à chaque phase importante du cycle humain historique, par une série ininterrompue de messagers divins. Abû Hurayrâ rapporte avoir entendu le prophète – sur lui la grâce et la paix – dire : «J'ai été suscité depuis la meilleure génération des fils d'Adam, génération après génération, jusqu'à me trouver dans celle où je suis actuellement.» (in Bukhârî) Dans cette suite continue de prophètes, Ibrahim joue un rôle fondamental, ainsi que nous allons le constater, tant dans l'économie de la forme islamique que dans celle du cycle humain actuel qu'il inaugure. A cette notion essentielle d'Islam qui revêt un caractère universel, vient s'ajouter, comme pour la corroborer, celle de culte axial (dîn qiyam), de culte ou tradition immuable (dîn qayyim) et de nature ou de différenciation primordiale (fitra). Ces expressions, toutes coraniques, ont des rapports étroits entre elles et ne peuvent être dissociées de la notion d'adoration essentielle et permanente, attitude adorative que chacun est tenu d'avoir vis-à-vis de son seigneur et créateur, car «ton seigneur a décrété que vous n'adoriez que Lui» (Coran 17-23). «Je n'ai créé les djinns et les humains que pour qu'ils M'adorent» (Coran 51-56). Le verset le plus significatif qui souligne les principaux aspects de cette primordialité, de cette universalité de l'Islam, est le suivant : «Dresse ta face (wajh) pour le culte dû (dîn), en théhotrope (hanîf), en fonction de la forme originelle (fitra) de Dieu selon laquelle il a conformé (ou différencié) (fatara) les humains. Point de changement à l'acte créateur (khalq) d'Allah. Tel est le culte dû immuable (dîn qayyim) ; mais la plupart des humains ne savent pas discerner» (Coran 30-30). D'autres versets viennent illustrer cette notion de «théotropisme» ou orthodoxie spontanée, sagesse innée (hanîf) qui caractérise, dans le Coran, les deux Prophètes Ibrahim et Mohamed (QSSSL). Elle est en rapport avec la sauvegarde ou soumission intégrale à la volonté divine ainsi qu'on définit étymologiquement le terme Islam. Pour mieux illustrer ce thème, citons les paroles suivantes de Dieu : «Dis ! Quant à moi, mon seigneur m'a guidé vers une voie qui exige la rectitude (sirât mustaqîm) selon un culte axial (dîn qiyam), la règle de sagesse (milla) d'Ibrahim, lui qui n'était pas du nombre des associations (mushrikîn) » (Coran 6-161. «Ibrahim n'était ni juif ni chrétien mais bien «théotrope» et n'était pas du nombre des associateurs» (Coran 3-67). «Quand à moi, j'ai orienté ma face en théotrope, pour celui qui a différencié les cieux et la terre et je ne suis pas du nombre des associateurs» (Coran 6-79). «Qui rend un culte plus parfait que celui qui a livré (aslama) sa face (wajh) à Dieu et qui se conforme à la règle de sagesse (milla) d'Ibrahim ? Dieu a pris Ibrahim comme ami intime (khalîl)» (Coran 4-125). «Certes, le culte (ou la religion) auprès de Dieu est la soumission (islam)» (Coran 3-19). «Que désirent-ils d'autre que le culte dû à Dieu (dîn Allah) alors tous dans les cieux et sur la terre se soumettent (aslama) de gré ou de force, et qu'alors ils seront ramenés à Lui ?» (Coran 3-83). «Celui qui désire un autre culte que l'Islam (ou soumission) ne sera pas agréé, mais il sera parmi les perdants dans la vie ultime» (Coran 3-85). «O porteurs de la foi ! Inclinez-vous, prosternez-vous et faîtes le bien, peut-être serez-vous prospères ! Luttez en Allah dans la vérité de l'effort vers Lui. C'est Lui qui vous a choisis et Il ne vous a imposé aucune gêne dans le culte dû, selon la tradition de votre père Ibrahim, Lui, qui, auparavant, vous a nommés : ceux qui se soumettent (muslimûn), et pour qu'en cela le messager demeure témoin à votre égard et que vous demeuriez témoins à l'égard des humains. Elevez donc l'action de grâce unitive (la prière) (salâ), donnez l'excédent purifié (zakâ) et attachez-vous à Allah. Il (est) votre protecteur (mawlâ). Et quel excellent protecteur et quel excellent soutien !» (Coran 22-77 et 78). De nombreux enseignements se dégagent de ces quelques versets concernant l'universalité de l'Islam, cet Islam qui est originellement et essentiellement la soumission ou l'acte de se livrer, de s'abandonner sans réserve pour se sauvegarder. Dans la langue arabe claire (‘arabiyy mubîn) qui fut révélée au prophète Ismaël puis au prophète Mohamed – sur eux la grâce et la paix – le terme islam vient d'une racine S.L.M signifiant : être sain et sauf, être intact, intègre. La forme verbale dérivée, sur laquelle est construit le nom verbal Islam, veut dire : conserver intact, donner intégralement, se soumettre ou se livrer, se sauvegarder. Dans la terminologie religieuse, l'islam est la soumission active et consciente à Dieu et à sa volonté normative (irâda) qui impose telle loi révélée en rapport avec les conditions cycliques régissant une humanité. Le terme Dîn, que nous avons rendu, faute de mieux, par «culte» ou «culte dû», est traduit de manière variée en français : religion, tradition, culte, créance, etc. Dans la langue arabe, la racine de ce mot prend les acceptions suivantes : devenir débiteurs, s'endetter, emprunter et prêter, obliger, assujettir, rétribuer, être loyal, juger. Il ressort de toutes ces significations assez voisines que le Dîn est la rétribution que Dieu accorde à ses adorateurs pour leur comportement à son égard et à celui de ses créatures. Le Dîn et aussi la dette que ses serviteurs, soumis bon gré mal gré, doivent Lui restituer. Sous ce dernier aspect, le Dîn est un prêt que Dieu fait à toutes ses créatures qui doivent le lui rendre comme un dépôt confié (amana), préservé par eux intact par reconnaissance en vers Lui. Car en définitive, rien n'appartient réellement aux serviteurs qui demeurent tous redevables envers leur seigneur et «enseigneur». Assujettis à Dieu, ils lui doivent tout : existence, biens, vertus, facultés, rien ne leur appartient vraiment puisque seul Dieu à l'être réel (wujûd haqqî), Lui qui a dit : «Lui est le riche absolu alors que vous êtes les démunis» (Coran 47-38). Enfin, le Dîn est l'institution divine révélée qui permet au serviteur obéissant de se réaliser essentiellement en soldant la dette qu'il a envers son seigneur et en restituant le prêt que celui-ci lui a accordé. (A suivre)