Aman Ullah ne décolère pas. Depuis 16 jours, il loge avec sa femme et ses quatre enfants sous une tente, au milieu d'un camp installé dans une école du district de Nowshera, près de Peshawar. Ce père de famille exhibe ce qu'il a reçu des autorités civiles pour le déjeuner: un plat de riz. «Les ONG pakistanaises et la population locale donnent des vivres. Mais les autorités détournent l'aide», accuse-t-il, exaspéré. «Hier, un homme est venu à bord d'un 4x4 rempli de dattes, de glace, d'eau, de pain et de conserves. A peine arrivée, la police a saisi sa voiture. Quelques heures plus tard, nous n'avons reçu que du pain. Les policiers avaient pris tout le reste.» Cette corruption discrédite les autorités civiles. Et renforce la popularité des humanitaires islamistes liés à des groupes terroristes. Parmi eux, le Falah-e-Insaniat. Ce mouvement est la branche caritative du Lashkar-e-Taiba, groupe pakistanais responsable des attentats de Bombay qui ont tué 186 personnes en novembre 2008. Ainsi, à quelques kilomètres du camp de Nowshera, au bord d'une route, un médecin du Falah ausculte quelques patients - des enfants, des hommes et des femmes malades de la diarrhée ou de la gastro-entérite. Derrière lui, dans un garage de trois mètres sur trois, un homme vêtu d'un gilet jaune fluo marqué du nom de l'organisation donne des médicaments. Abdul Rauf, chef du mouvement, est venu inspecter le travail de ses hommes. D'une voix douce, une longue barbe noire en bataille, il énumère ses bonnes oeuvres. «Nous travaillons dans toutes les zones sinistrées, distribuons de la nourriture à 40 000 personnes par jour, et nos médecins ont examiné 123 000 malades depuis trois semaines, dit-il. Nous avons 37 ambulances seulement à Nowshera.» Des chiffres impossibles à vérifier. Une aide limitée Si des ONG hébergent des centaines de milliers de personnes dans leurs camps, l'aide du Falah reste limitée. A Nowshera, son centre de distribution de nourriture consiste en une toile suspendue au-dessus d'un terrain boueux. La nourriture est entreposée dans une tente. Peu importe. Les inondations sont une occasion de vanter l'action du mouvement pour recruter des membres et apparaître comme une alternative au gouvernement, critiqué pour son inertie. «Beaucoup de volontaires se sont joints à nous, en particulier dans les grandes villes où ils collectent des fonds pour nous», se réjouit Abdul Rauf. Derrière lui, clouée sur un mur, une gigantesque bannière aux allures de panneau publicitaire détaille les actions de l'organisation. Guerre d'images Le Falah n'est pas le seul à essayer de faire parler de lui. Dans une interview à la BBC, Ahmed Ludhianvi, qui dirige le Sipah-e-Sahaba, groupe terroriste antichrétiens et antichiites, avait affirmé aider les sinistrés, en particulier à Nowshera. Mais sur le terrain, l'organisation est absente. Et personne n'a entendu parler d'elle. Le Falah, en revanche, qui n'était pas très connue jusqu'à présent à Nowshera, s'attire la sympathie de la population. Murtaza est venu consulter le médecin du Falah pour son bébé qui souffre de problèmes de peau. «Je suis originaire de cette région et je ne les connaissais pas, explique cet homme d'une quarantaine d'années. Vu l'ampleur de la catastrophe, toute aide est la bienvenue. Ce que le Falah accomplit est bon aux yeux d'Allah.» Nouvel appel de l'ONU Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, s'est rendu hier au Pakistan, où il a appelé la communauté internationale à accélérer l'aide au pays sinistré par les inondations. La situation s'est encore aggravée, avec de nouvelles localités envahies par les eaux. M. Ban, qui a survolé certaines des zones sinistrées et rencontré des rescapés à Muzaffargarh dans la province du Pendjab, s'est entretenu avec le président Asif Ali Zardari, très critiqué pour son absence au début de la crise : il n'a pas écourté son déplacement en Europe, notamment en Grande-Bretagne. Le secrétaire général de l'ONU a exprimé «la compassion et la solidarité des Nations unies au peuple et au gouvernement du Pakistan dans l'épreuve». «Je suis également là pour constater ce qui se passe et voir quels sont les besoins, ce qui doit encore être fait. Et je suis là aussi pour exhorter la communauté internationale à accélérer son aide au peuple pakistanais», a-t-il ajouté.