Sauf accident majeur, l'Algérie serait en mesure de prendre très vite le train des gros producteurs de tomate industrielle du bassin méditerranéen. D'importatrice en puissance, elle pourrait devenir exportatrice de concentré de tomates à l'horizon 2015. L'hypothèse peut surprendre dans le climat actuel de pessimisme qui caractérise l'économie nationale. Derrière les bons résultats enregistrés par cette filière durant ces deux dernières années, les premiers signaux positifs sont bien là. Pour la première fois dans notre pays, la production de la tomate a dépassé toutes les prévisions. Le chiffre record moyen de 290 quintaux à l'hectare a été officiellement enregistré en 2010. Il était de 120 avant 2009 et d'à peine 80 q/ha durant les années 1990. D'où la perspective qui pointe d'atteindre les 700 q/ha. Elle a été déjà matérialisée durant la campagne 2010 dans de nombreuses et importantes parcelles dans les régions de Guelma, EL-Tarf, Skikda et Annaba. Elles n'ont pas subi des sinistres tels que celui ayant pour cause l'araignée. Tout a commencé en 2008 avec la décision du gouvernement d'accorder une subvention financière de 2 DA au kilogramme de tomate industrielle récolté et 1,50 DA/kg transformé. La guerre que se sont livrés de 2001 à 2006 le ministère de l'Agriculture d'un côté, et les agriculteurs producteurs de tomate industrielle et les conserveurs, de l'autre, est oubliée. Dès la campagne 2008, les affaires reprennent. Réputé réagir avec retard aux impulsions de l'agriculture nationale, le ministère de tutelle voit l'horizon s'éclaircir en 2009. Après plusieurs années de baisse continue, la production de la tomate industrielle fait un bond de 200%. Elle entraîne dans son sillage la relance des activités en amont et en aval (produits phytosanitaires, matériels et équipements agricoles, entretien et maintenance), la réouverture de certaines des 10 conserveries fermées sur les 17 implantées à l'est du pays et surtout la création de plusieurs milliers de postes de travail entre permanents et saisonniers. Elle entraîne également l'adhésion massive des agriculteurs au programme de l'Etat. Pour la seule wilaya d'Annaba, 232 d'entre eux mettront leurs surfaces agricoles soit 1 174 ha (33% de la superficie destinée à cette spéculation) au service de ce programme pour le développement de la culture de la tomate industrielle. Bien que l'Association des conserveurs de tomate (ACTOM) soit confrontée à des frictions internes (entre ses membres les plus influents notamment), la rigidité des mécanismes de l'Etat a totalement disparu. Avec l'alourdissement excessif des charges des transformateurs et les créances bancaires des agriculteurs, cette rigidité était un des principaux facteurs de blocage. C'est dire que la crise ayant toujours caractérisé la filière tomate a réveillé le pouvoir politique en 2008. Ce qui a permis au ministère de l'Agriculture de s'attaquer sérieusement à la réduction des entraves. La mise en application de la subvention financière au profit des agriculteurs et des conserveurs et l'effacement de la dette au bénéfice des premiers ont servi de déclic. Ces deux facteurs sont à ajouter à la disparition de la rigidité des services du ministère de l'Agriculture qui a cessé d'empoisonner le climat des affaires. Pour bon nombre d'observateurs de la chose agricole, l'année 2009 peut être considérée comme ayant été une période de convalescence avant le puissant rebond de 2010. Il s'est matérialisé non seulement dans le développement de la culture de la tomate industrielle et celui de la production, mais aussi dans la transformation. «2010 est synonyme de perspectives prometteuses pour le développement de la filière de la tomate industrielle et la production du concentré de tomates. «Ce résultat est le fruit des efforts consentis par l'Etat et par l'ensemble des acteurs de ce secteur stratégique. J'ai la certitude que les prochaines années seront meilleures», a estimé Nacereddine Ayat, directeur des services agricoles d'Annaba. A elle seule, cette wilaya a produit en 2010 quelque 12 000 tonnes de tomate industrielle sur les 99 000 tonnes récoltées à travers le pays sur une superficie de 3 410 ha. 95% de ce rendement est issu des wilayas d'El-Tarf, Guelma, Annaba et Skikda. Exporter en 2015 De là à dire que la filière prend réellement forme après avoir connu des hauts et des bas, beaucoup plus de bas que de hauts, il n'y a qu'un pas. Les agriculteurs, dont ceux qui avaient tenté la malheureuse aventure du coton avec Somicoton, ont décidé de le franchir en 2009. L'idée d'une meilleure remise en ordre fait son chemin. Bien que plusieurs appréhendent les coups bas des «blanchisseurs» d'argent via des importations massives de triple concentré de tomates d'Espagne, d'Italie et de Tunisie, cette idée s'est installée dans les têtes. Elle pourrait même être un facteur de relance des investissements dans la filière. Il ne peut en être autrement quand on sait que les 15 000 ha de terre agricole d'Annaba, El-Tarf, Guelma et Skikda destinés à la culture de la tomate industrielle sont actuellement mieux suivis sur le plan phytosanitaire. Ils auraient pu l'être davantage et d'une manière plus scientifique si l'Institut technique des cultures maraîchères et industrielles (ITCMI) avait montré un peu plus de présence aux côtés des agriculteurs. Depuis des années, les animateurs de cette structure de soutien technique du ministère de l'Agriculture donnent l'impression de vivre loin de la réalité du terrain. Activant en deçà des attentes des agriculteurs, ses animateurs percevraient-ils mensuellement des salaires à fonds perdus ? Avec une moyenne de rendement planifiée de 400 q/ha en 2011 et 700 q/ha quatre années plus tard, on peut affirmer que l'Algérie entamera des opérations d'exportation dès 2015. Agriculteurs, conserveurs et techniciens de la DSA en parlent déjà. Il est question de nouvelles perspectives de partenariat et une étude du marché du concentré de tomates. En toile de fond de cet optimisme, la production en 2010 par les conserveurs de 50 000 t de concentré alors qu'elle était de 24 000 t l'année précédente. La réflexion est engagée sur le développement des cultures intensives et la satisfaction des besoins nationaux. «Espérons que les conserveurs joueront le jeu et éviteront de parler de mévente de leur production. D'autant qu'il est question de revoir la stratégie nationale de notre commerce pour sauvegarder la production nationale», ne cessent de répéter les acteurs de la filière. Producteurs et transformateurs paraissent avoir tiré les leçons de plus de 40 ans de traversée du désert. Sur le terrain, alors que l'emballage est fourni à temps, l'argent rentre dans les caisses des agriculteurs avant que leur récolte de tomate industrielle ne sorte. L'on est loin du temps des attentes indéterminées avant que le transformateur ne remette le chèque au producteur agricole. En mars 2010 déjà, l'excitation des premiers et des seconds étaient à son comble. Les spécialistes de la filière parlaient de rendement record à l'hectare sur l'ensemble des surfaces. Mansouri, Benamor et Boudiaf, les 3 plus importants conserveurs de concentré de tomate jubilent. parallèlement à la quantité, ils ont eu la qualité du produit livré aux 2/3 en hybride pour la transformation. Les 10 conserveries, d'une capacité de production globale de 11 100 t/jour tournent à plein régime. Cette situation d'abondance s'est répercutée sur le marché de la tomate fraîche et sur le prix du kg à la consommation. Là également, le record est battu en rendement, prix et offre sur le marché. Plus de 29 000 t de cette spéculation ont été récoltées pour être cédées à des prix très attractifs aux ménagères. Canaliser les bonnes volontés Dans les pays exportateurs de concentré de tomates vers l'Algérie, on voit d'un mauvais œil les performances algériennes en matière de rendement à l'hectare de la tomate industrielle. Des importateurs algériens ont affirmé que les fournisseurs étrangers de concentré s'inquiètent. Ils n'ont pas pu placer leur produit même à un prix inférieur à celui du concentré local. En 2011, sauf mauvaises conditions climatiques, les 75 000 t de tomate industrielle nécessaire pour la couverture des besoins nationaux en concentré devraient être atteintes. «Faudrait-il encore que les corrupteurs ne mettent pas leur grain de sel pour saboter ce rebond d'une filière qui les précédentes années était soumise à toutes les manipulations. Pour se mettre quelque argent dans un compte bancaire domicilié à l'étranger, certains sont prêts à vendre leur âme au diable. Ils l'ont toujours fait. La vigilance de tous, agriculteurs et conserveurs en tête, doit être de tout instant», a argumenté Abderahmane D. Entre le département de Rachid Benaïssa, ministre de l'Agriculture, et l'ensemble des acteurs de la filière y compris les producteurs de fertilisants, l'heure est à la trêve. Le principe qui revient sans cesse sur toutes les lèvres, «tout doit être mis en œuvre pour canaliser les bonnes volontés et atteindre l'autosuffisance en concentré de tomate», est dans l'air du temps. La filière fait l'objet d'un suivi très attentif de Fertial, la filiale algéro-espagnole de production et de commercialisation des engrais phosphatés et fertilisants. Cette société a multiplié les opérations de charme à destination des professionnels de l'agriculture dont les producteurs de tomate industrielle. Durant l'année 2009, ses ventes d'engrais tous produits confondus ont atteint 172 568 t pour une prévision de 125 980 t. En 2008, la quantité vendue était de 75 902 t. Cette même augmentation de production et chiffres d'affaires caractérise le marché national des produits phytosanitaires. La performance réalisée par la filière dans le rendement à l'hectare de la tomate industrielle et fraîche s'est positivement recrutée sur l'emploi. Et si pour augmenter sa production, Fertial a recruté au début de cette année, 72 jeunes ingénieurs et techniciens dans différentes spécialités, les agriculteurs producteurs de tomate industrielle et conserveurs ont créé plus de 30 000 postes de travail toutes catégories entre permanents, saisonniers et dans les activités de service annexes.