La cinquième consiste à ne pas absorber beaucoup de nourriture licite au moment de la rupture du jeûne de manière à ne pas se remplir l'estomac. Aucun vase n'est plus détesté de Dieu qu'un ventre qui regorge de choses permises. Et comment le profit du jeûne – qui est de réduire les ennemis d'Allâh et de maîtriser la passion – serait-il obtenu si le jeûneur compensait au moment de la rupture ce qu'il n'avait pu absorber depuis le début du jour ? Il se pourrait même, au moment de rompre son jeûne, qu'il ajoute d'autres aliments [que ceux qu'il absorbe ordinairement] au point de prendre l'habitude de garder toutes sortes de victuailles pour le mois de Ramadhan et de manger ainsi des mets qu'il ne consomme pas pendant les autres mois de l'année ! Or, il est notoire que le but du jeûne est de réaliser la vacuité et de briser les passions afin de se préserver par la crainte pieuse. En contenant les réactions de son estomac depuis le début du jour jusqu'à la nuit pour mieux exciter ses désirs et pour fortifier sa convoitise, sa volupté s'accroît en suscitant la passion alors que son énergie [spirituelle et psychique] s'affaiblit. Il arriverait ainsi à se complaire [dans cette disposition] s'il ne venait à abandonner cette habitude. L'esprit du jeûne, son secret, n'est-il pas de réduire les forces, moyens d'accès coutumiers de Satan, et d'empêcher de revenir aux dispositions mauvaises. Il n'y réussira qu'en réduisant [sa nourriture] et en ne mangeant que la quantité d'aliments qu'il aurait dû absorber chaque nuit s'il n'avait pas jeûné. S'il devait [à la rupture du jeûne le soir] totaliser ce qu'il mange habituellement, [en ne jeûnant pas], le jour et la nuit, son jeûne ne lui serait d'aucun profit. Le bon comportement consiste à ne pas dormir beaucoup pendant le jour afin de ressentir la faim et la soif, et afin de prendre conscience de l'affaiblissement des forces, car c'est alors que le cœur se purifie. L'être s'efforcera de garder le plus longtemps possible, chaque nuit, une certaine faiblesse [de corps] afin de rendre légères ses dévotions nocturnes. Il lui devient de ce fait possible de ne plus sentir Satan tourner autour de son cœur, et d'être en mesure de considérer le Royaume du Ciel et la Nuit du Décret prédestiné, nuit pendant laquelle certaines réalités du Royaume céleste sont dévoilées. Tel est ce qu'Allah exprime dans le verset suivant : «En vérité, Nous l'avons fait descendre [il s'agit du Coran, selon l'interprétation la plus répandue] dans la Nuit du Décret prédestiné» (Coran 97-1). Quiconque met entre son cœur et sa poitrine un «sac» plein de nourriture, reste voilé [à ces réalités célestes] ; celui qui vide son estomac n'obtiendra pas l'enlèvement du voile tant qu'il n'aura pas libéré son énergie spirituelle de tout ce qui n'est pas Dieu puissant et majestueux. Or, c'est bien cela qu'il faut réaliser en commençant par réduire la quantité de nourriture. Mais nous traiterons à nouveau de ce point au chapitre consacré à la nourriture. La sixième disposition qui rend le jeûne parfait consiste, après la rupture, à ressentir crainte et espoir dans le cœur, devant l'incertitude de savoir si le jeûne sera agréé [de Dieu]. Si tel est le cas, l'être ainsi concerné sera parmi les Rapprochés [de Dieu], mais si, au contraire, son jeûne est refusé il se trouvera d'entre les Réprouvés. Il devra, donc, veiller à garder cette attitude à l'issue de chaque œuvre d'adoration. On rapporte que Al-Hasan fils d'Abou al-Hasan al-Basrî, passant près d'un groupe de gens qui riaient, s'exclama : «Assurément, Allah a fait du mois de Ramadân un hippodrome pour Ses créatures. Elles y rivalisent de vitesse pour Lui obéir. Certains êtres l'emportent et triomphent, alors que d'autres restent à l'écart et échouent. Le comble de l'étonnement du rieur qui se distrait en ce jour où ceux qui l'emportent réussissent et où ceux qui sont frivoles se perdent, oui par Allah, le comble de l'étonnement ne réside-t-il pas dans le fait que, si le voile était levé, celui qui est vertueux se préoccuperait de sa vertu ; et celui qui fait mal de sa mauvaise action. C'est dire que la joie de celui qui est agréé [de Dieu] le détourne de la frivolité, et l'infortune de celui qui est réprouvé lui ferme la porte du rire.» On rapporte qu'une certaine personne tint les propos suivants à Al-Ahnaf ibn Qays : «Certes, tu es bien vieux et le jeûne t'affaiblit ! » Il répliqua : «Je me dispose à l'accomplir en vue d'un long voyage ! La constance (sabr) dans l'obéissance due à Allah – Gloire à Lui – est plus facile que la résignation dans Son Châtiment.» Telles sont les significations intérieures du jeûne ! Viendrais-tu à dire : «Qu'arrive-t-il à celui qui se modère en refusant de s'adonner aux désirs du ventre et du sexe, mais qui, pourtant, néglige toutes les significations [ci-dessus mentionnées] ?» Les juristes répondent que son jeûne est valable mais qu'il n'en réalise pas le sens profond. Sache, toutefois, que les docteurs de la Loi extérieure établissent les conditions extérieures légales à l'aide d'arguments plus faibles que ceux que nous venons de présenter pour établir les modalités intérieures du jeûne, et nous voulons notamment indiquer la médisance et certaines de ses formes. Cependant, les docteurs qui considèrent de l'extérieur les prescriptions de la Loi ne traitent que de ce qui est à la portée de l'immense majorité des gens composée de négligents adonnés à ce bas-monde et qui sont subjugués par lui. Différemment, les docteurs qui s'intéressent à la vie future comprennent par «validité du jeûne» l'acceptation [de Dieu] qui est l'atteinte du but recherché. Ils savent que l'objectif du jeûne est de se caractériser par certains caractères d'Allah Puissant et Majestueux, tel que l'attribut de samâdiyya ou de Soutien universel indépendant et impénétrable, et d'imiter les Anges en s'éloignant des passions dans la mesure où la nature le permet. C'est qu'en effet, les Anges sont exempts de désirs passionnels. Les hommes, eux, sont d'un degré supérieur et celui des animaux en raison de la lumière de leur intelligence qui leur permet de se déprendre des passions. Pourtant, les hommes sont d'un moindre degré que celui des Anges, à cause de l'emprise sur eux des désirs passionnels. Leur condition est d'être éprouvés dans le combat qu'ils entreprennent pour y parvenir. (Suite et fin)