On entend les Cassandre multiplier les appels à la retenue: le chaos va s'installer, les islamistes vont rafler la mise, le canal de Suez sera bloqué et Israël sera menacé par tous ses voisins. Souvenez-vous toujours que l'histoire est tragique ! 1793 suit la Révolution du 14 juillet 1789 en France et qui a aboli le régime royaliste et les privilèges de la noblesse de cour ou de robe ! On entend, plus fortes encore, les voix dire que la démocratie est une exception européenne, qu'elle est de surcroît récente et qu'il est illusoire et naïf de penser que le modèle des droits de l'homme va s'universaliser. Le déclin européen montrerait au contraire que cette idée est en voie de régression, du moins menacée. Ce sont les systèmes autoritaires qui ont l'avenir devant eux, regardez la Chine, grand pays de près de 1,5 milliard d'habitants ! On entend dire aussi, à l'extrême gauche, que l'ultra-capitalisme d'aujourd'hui s'accommode bien mieux des dictateurs que des démocrates pour la raison que l'économie est si inégale qu'elle craindrait le vote des peuples. Les manifestants de Tunis et du Caire réfutent ces thèses. Ce qui se passe est la naissance d'une société civile, d'un Tiers Etat, qui ouvre une ère nouvelle. La fin de la peur et l'irruption du besoin de liberté dans le monde arabe doivent rendre fondamentalement optimiste pour le sort de la région et pour celui du monde. Pourquoi ? Le partage des élites Pour les historiens de l'économie, les institutions sont un facteur clef de la prospérité. Dans le monde arabe, elles sont des freins. Dans un article instructif, Eric Chaney, spécialiste de l'histoire du monde musulman, professeur à Harvard, explique que les civilisations islamiques ont de tout temps été dirigées en partage par une élite militaire et des autorités religieuses, lesquelles disposent du «contrôle des communautés locales». Il est frappant de voir que ce partage du pouvoir à deux se retrouve dans le monde arabe postcolonial jusqu'à aujourd'hui : 22 pays, 350 millions de personnes. Peu de démocratie... Ces dernières années le pouvoir islamique est redevenu puissant: les mollahs ont fait le travail social dans les zones pauvres que les despotes ont désertées. En Europe, poursuit Chaney, le pouvoir est très différent. Il est exercé à trois : la noblesse, l'Eglise et les villes (on précise que le Tiers Etat remplacera les villes durant la Renaissance). Tandis que dans le monde arabe, le jeu à deux crée l'entente et l'immobilité, en Europe, on assiste à un combat permanent entre les trois et parfois au sein même d'un pouvoir : entre le roi et la noblesse par exemple. Cette compétition incessante se manifeste par des jeux d'alliances et au total «provoque une évolution positive des institutions», en particulier pour le contrôle le plus essentiel, celui de la vie locale.