Elaborée par des experts nationaux de renommée mondiale sous la supervision du ministre de la Participation et de la Promotion des investissements (MPPI), la stratégie industrielle fait subitement l'objet d'une remise en cause par le président de la République et son gouvernement. Et de trois, le responsable gouvernemental qui rejette la stratégie industrielle sans en expliquer véritablement les raisons. C'est le ministre de la PME et de l'artisanat qui en avait évoqué, jeudi dernier à la radio, des dysfonctionnements dans les choix opérés par Hamid Temmar. Mustapha Benbada a fait part de la nécessité d'une démarche consensuelle en faveur de laquelle le gouvernement doit travailler. Ce qui signifie que Temmar avait agi seul en piétinant les prérogatives de ses collègues, notamment le ministre de la PME, qui se voit le premier responsable de la prise en charge du secteur de l'Industrie et de la relance de l'entreprise algérienne. Le Premier ministre aussi avait remis en cause la stratégie de Temmar. Mercredi dernier, sur les ondes de la radio nationale, Ahmed Ouyahia a tenu des propos durs et a été « brutal » pour reprendre son propre terme, à l'égard du ministre de l'Industrie. En fait, le président de la République a été le premier à ouvrir les hostilités envers son ministre, qu'on a toujours dit proche de lui et même que « c'est son cousin ». Connu pour tomber à bras raccourcis sur ses proches collaborateurs en prenant à témoin le plus grand nombre de personnes, Bouteflika l'avait fait en juillet dernier à la coupole Mohamed Boudiaf avec l'ensemble des responsables des collectivités locales, institutionnels, politiques, militaires et civils. Avec un « on s'est trompé, on a fait tout faux », à propos des réformes économiques et notamment des privatisations. C'est donc une véritable campagne de dénigrement qui est menée actuellement contre un ministre de la République, toujours en fonction et, de surcroît, en détention d'un portefeuille placé au coeur des réformes économiques. Ce qui est curieux, c'est que de MPPI quand il préparait sa stratégie industrielle, Hamid Temmar est nommé ministre de l'Industrie, comme pour lui donner les prérogatives qui lui manquaient pour instruire et réformer le secteur industriel comme il l'entend. Du côté du ministère de Temmar, on n'est pas très bavard, mais quand il s'agit de stratégie industrielle, on rappelle simplement que « comme a dit le ministre, la stratégie est toujours en état de mise en oeuvre, elle l'est progressivement». Ce qui n'a été dit ni par le président de la République, ni par le Premier ministre encore moins par le ministre de la PME, c'est que tout ce qu'ils ont retenu comme mesures de rattrapage pour le secteur industriel, pour la relance des entreprises publiques en particulier et pour la mise en oeuvre des réformes économiques en général, est contenu dans le document portant stratégie industrielle. Les équipes d'experts que Temmar avait sollicitées pour le confectionner avaient pris en compte toutes ces dimensions à commencer par la nécessité d'un consensus national dont parle Benbada. Précisions d'experts Pour rappel, Temmar avait confié le travail à une première équipe d'experts avec laquelle il a eu un quiproquo sur le rôle du secteur public. L'on cite, entre autres, parmi ces experts, Liassine, Benissad, tous deux anciens ministres, et Mekidèche, vice-président du CNES. Mustapha Mekidèche a bien voulu nous en parler. « J'ai travaillé avec mes autres collègues sur une première mouture, à l'époque, on était partisan d'une économie mixte basée sur le secteur public et le secteur privé contrairement au tout privatisable et dans lequel, le secteur public n'avait pas de rôle à jouer mais devait aller progressivement vers l'ouverture de son capital ». En fait, pour notre interlocuteur, « c'est un faux débat, les deux visions sont complémentaires puisqu'il est question d'avantages compétitifs comme dans la pétrochimie, et en même temps, développer des capacités de production des entreprises économiques». Mekidèche pense « d'ailleurs, ce que dit Ouyahia n'est pas en contradiction avec ce qu'il y a dans la stratégie industrielle, sauf qu'il faudrait veiller à ce qu'il n'y ait pas de situations de rentes». Il reconnaît même que «les instruments sont en train de se mettre en place» et évoque le secteur de la pétrochimie pour être sa spécialité. «On remarque que la pétrochimie connaît de lourds investissements comme le dessalement de l'eau, des investissements de l'ordre de 28 milliards de dollars, ce n'est pas rien», a-t-il soutenu. Il estime alors que «les assises sur la stratégie industrielle étaient une étape intéressante, il faut opérer des recentrages et oeuvrer pour que l'intérêt national prime». Mustapha Mekidèche suggère que «la stratégie industrielle soit enrichie, petit à petit les choses se mettent en place ». L'on note que Mekidèche a continué à participer à l'ensemble des débats que Temmar a organisés autour de la stratégie industrielle. Mohamed Bahloul a été, lui, l'un des experts qui avait continué le travail jusqu'à la finalisation du document. «Le retour au patriotisme économique a été consacré pour la première fois dans la stratégie industrielle», a-t-il commencé par souligner. Ce qui marque, a-t-il poursuivi, «la fin du consensus de Washington basé sur les plans d'ajustements structurels (PAS) et le début du consensus d'Alger». L'expert nous explique que «le consensus d'Alger est d'avoir décidé à travers cette stratégie, de travailler en alliant l'Etat et le marché». C'est, dit-il, « le socle constitutionnel pour toute démarche constructive». S'il reconnaît, comme Mekidèche, que «tout document peut être enrichi», Bahloul rappelle aussi que « la stratégie industrielle a été débattue dans 11 ateliers et les assises ont réuni plus de 600 participants de divers horizons ». Il estime que « ces 11 ateliers ont fait les validations nécessaires au travail qui avait été effectué ». A aucun moment, Temmar n'a été rappelé à l'ordre ou interpellé par aucun responsable. Il semblait avoir carte blanche pour agir. «C'est de la politique» Bahloul s'attarde, par ailleurs, sur un point qu'il qualifie d'essentiel à savoir, « il n'y a pas de conditions institutionnelles pour appliquer la stratégie industrielle ». En effet, pour lui, « elle a besoin d'un modèle institutionnel et qu'il lui soit défini les agents économiques ». Ces deux points constituent selon lui « les premiers objectifs de la stratégie, ils figurent dans le document comme condition pour sa mise en oeuvre ». D'ailleurs, quand Ouyahia affirme que la stratégie industrielle n'a pas été adoptée par le Conseil des ministres, c'est pour Bahloul une preuve de l'absence d'un cadre institutionnel adéquat. « Il fallait d'abord mettre en place ce cadre institutionnel en commençant par le niveau de l'APC, celui de toutes les instances locales, en passant par le gouvernement pour arriver au Conseil des ministres », explique-t-il. « Il y a aussi cette nécessité d'un consensus que les experts évoquent dans le document », ajoute-t-il. Consensus qui a été retenu par les experts comme condition préalable. Il revient à ce qu'il appelle « le patriotisme politique qui doit reposer sur quatre éléments fondamentaux, à savoir, un secteur public fort spécialisé, une classe d'entrepreneurs nationaux, l'Etat régulateur qui mobilise ses ressources financières pour développer les champions de l'Industrie et enfin, un recadrage profond des questions économiques posées à ce jour, et particulièrement, la place à réserver aux investissements directs étrangers (IDE) ». Et le tout, dit-il, constitue « le fond du document ». Comme Mekidèche, Bahloul n'omet pas de noter qu'« il n'y a pas de contradiction entre la stratégie industrielle et les mesures prises ces derniers temps ». C'est certainement ce que les collaborateurs de Temmar identifient comme étant « une mise en oeuvre progressive de la stratégie industrielle ». Bahloul notera, en conclusion, que « ce qui se dit sur cette stratégie n'est pas lié au contenu mais relève de la politique ». Au ministère de l'Industrie, on pense pareille en soutenant que la levée de bouclier contre le ministre « c'est de la politique ». Querelles de chapelle ou recherche d'un bouc émissaire pour justifier les nombreux échecs, quoi qu'il en soit, le pouvoir en place fait dans un manque d'éthique sans précédent.