Certains jugements superficiels ou intéressés considèrent les prochaines élections présidentielles comme une simple formalité, voire un non-évènement. Pourtant, elles sont une échéance cruciale pour le pays. L'épuisement de la travée de la légitimité historique, les difficultés d'une franche émergence de la légitimité populaire, l'accumulation des périls, des crises financières et économiques internationales et le désarroi social grandissant, les qualifient même d'une étape décisive dans l'évolution du pays. Imaginer que ces problèmes se résoudraient par la déstabilisation du pouvoir et son effondrement par des mouvements spontanés d'un «petit peuple», harassé par un pouvoir d'achat en diminution continue, ou d'une jeunesse désabusée en proie à toutes les dérives, relève plus du désir que de l'analyse. Le changement souhaitable est tout naturellement le passage par une démarche ordonnée et pacifique. C'est-à-dire par le recours au suffrage populaire. Il permet de retrouver le chemin d'une ambition nationale, en phase avec nos capacités, et d'éloigner à jamais le spectre de l'implosion. Cinq ans, c'est la durée du mandat présidentiel. Cinq ans, c'est la disparition du quart des réserves pétrolières et du sixième des réserves gazières connues. Cinq ans, c'est un délai amplement suffisant, au regard de la nature de la période que traverse le monde, pour dilapider tous les acquis économiques et sociaux du pays. Cinq ans, c'est assez pour ruiner l'espérance de tout un peuple. Naturellement, la phase électorale que vit le pays actionne aussi bien la fanfare des laudateurs que le clairon des contradicteurs. Le frétillement de «supporters» du président sortant a de quoi provoquer plus que de l'irritation. Ils se voient déjà parader sous les lampions de la République, auréolés des illuminations de la victoire. Aucune inquiétude en dépit du constat d'avoir contribué à «faire tout faux». Tout contents d'exposer leur enthousiasme par le tintamarre et les comportements excentriques et provocateurs, ils représentent plus un repoussoir qu'un soutien. Ils déconsidèrent plus qu'ils ne bonifient. Ils sont l'image même de ce que déteste le citoyen : l'opportunisme et l'enrichissement illégitime. Des appareils d'encadrement dévitalisés par un fonctionnement interne sclérosé et sectaire, exhalent aussi, ostensiblement, d'illégitimes intérêts. L'adulation du responsable en fonction fait souvent office d'attachement indéfectible aux choix programmatiques. Les affiliés sincères naviguent entre la fidélité à l'acte d'adhésion originel et le souhait de s'affranchir de méthodes asthéniques. Quant aux contradicteurs, l'absence de la plupart des débats et du terrain politique témoigne du dédain qu'ils nourrissent à l'égard de ce peuple qu'ils prétendent protéger d'une catastrophe annoncée. Ils en attendent leur rappel simplement au regard de leurs supposées ou réelles compétences dans la gestion de l'Etat, et de leur souhait susurré d'instaurer une gouvernance exemplaire. Ils s'octroient les qualités du leadership éclairé ou du recours incontournable, sans donner l'exemple du sacrifice continu, susceptible de donner confiance et de promouvoir la mutation. Ils considèrent leur parcours passé comme suffisant et l'héritage du pouvoir comme une simple et légitime récompense. Autrement dit, ils aspirent à se substituer aux gérants du système de pouvoir plutôt qu'à changer ce dernier. Ce sont des adversaires qui disputent une place à un rival. Nombre d'entre eux ne sont pas, en réalité, des opposants déterminés à renverser le régime. Ils confondent l'ambition politique, basée sur la défense de l'intérêt général, avec les objectifs de carrière personnelle. L'ambition politique est souhaitée et recherchée. Elle prend appui sur des convictions profondes, claires, partagées et publiquement exprimées. Elle mérite de la considération et échappe à l'indifférence. Elle condamne le réflexe clanique dont elle extirpe l'usage de la pratique. Cette habitude qui a invariablement imbibé les moeurs du pouvoir. Dans un tel contexte, le pouvoir passe plus de temps, déploie plus d'efforts et dépense de plus en plus d'argent pour déminer de plausibles ingérences étrangères dans la sphère politique intérieure. Car, l'encouragement de connivences internes devient un procédé éprouvé d'interférences redoutables dans les affaires des pays fragilisés. Le récent cas de Madagascar vient encore confirmer les scénarios observés ailleurs. Dans sa recherche exaltée de préservation du pays et pour assurer la cohésion de la nation, le pouvoir se recroqueville sur lui-même au lieu de s'ouvrir sur la société, pour lui faire jouer son rôle naturel. Il dénie ses propres règles et fonctionne à l'injonction. Il renonce à s'assurer de la pertinence des décisions prises. Il soumet régulièrement les initiatives économiques aux contingences récurrentes de la tactique politique. Il compense les déficiences de sa gouvernance par un accroissement de dépenses sociales intenables sur le long terme. Le rappel de quelques aspects économiques permet d'apprécier l'importance et l'enjeu du quinquennat à venir. Le geste le plus remarquable de la dernière décennie est incontestablement la dénationalisation des hydrocarbures portée par la fameuse loi 05-07 du 28 avril 2005. Le projet fut littéralement approprié par l'actuel premier ministre-secrétaire général du RND, alors chef du gouvernement. Elle accordait à l'investisseur étranger un minimum de 70% dans les gisements qu'il découvrirait. L'abrogation de ses dispositions les plus contestées par l'ordonnance 06-10 du 29 juillet 2006 intervint sous la présidence du gouvernement assurée par le secrétaire général du FLN. Aujourd'hui, une diligente et désordonnée conversion au patriotisme économique se propage dans tout le sérail politique officiel, consécutivement aux orientations données par le chef de l'Etat en juillet 2008. Avant, il importe de le noter et d'insister, la survenance de la crise bancaire internationale de septembre 2008 et ses suites désastreuses. Dorénavant, il est accordé à l'investisseur étranger intervenant dans le pays un maximum de 49% du capital social dans tout projet d'investissement et une part maximale de 70% dans toute société opérant dans le commerce extérieur. Ces mesures méritent d'être approfondies et affinées pour produire leur plein effet durant les cinq prochaines années. Elles doivent être articulées à une démarche globale. Par exemple, il serait judicieux d'exclure les secteurs stratégiques et d'inverser les taux indiqués pour accroître la rentabilité de la part de «la décision nationale» et pour encourager le capital étranger qui prend le plus de risque. De même que le secteur de l'énergie, qui fonctionne habituellement en quasi-autarcie, devrait être mieux accompagné pour assurer son insertion maximale dans le développement industriel national. L'intensité de l'exploitation des gisements de pétrole devrait être modérée. Des spécialistes nationaux estiment que la poursuite de son rythme menacerait la préservation optimale des gisements. Les niveaux de production devraient être en adéquation avec les besoins actuels et les impératifs stratégiques du pays. Accroître les exportations de gaz naturel, dans les proportions envisagées (passer de 62 milliards m3 à 85 milliards de m3 en 2012, puis à 110 milliards de m3), n'est ni techniquement efficient ni économiquement pertinent. Si de tels objectifs sont maintenus, il ne servirait à rien de se prévaloir de l'amendement de la loi sur les hydrocarbures. Elle deviendra inutile, faute de réserves consistantes, à l'horizon d'à peine une génération. L'attention doit être aussi portée au développement des industries en aval des gisements. En particulier la pétrochimie et les autres activités très grosses consommatrices d'énergie. Les facilitations offertes au capital étranger pourraient n'être que des subventions déguisées. Elles sont porteuses de sanctions économiques majeures pour le pays. Quant au développement du nucléaire, il convient de l'intégrer dans une politique énergétique globale, dynamique et fondée sur les réalités nationales à long terme. Sa programmation ne devrait pas être utilisée comme accélérateur du défruitement des gisements d'hydrocarbures. La récession économique mondiale impose une gestion des finances publiques rigoureuse. Elle devrait tendre à une meilleure bonification des actions initiées. Le récent effacement des dettes de l'agriculture ne fut pas ajusté suffisamment pour atteindre l'objectif annoncé : celui d'encourager vigoureusement les productions vivrières et de répondre aux besoins de consolidation du monde rural. Les investissements d'infrastructures mériteraient d'être examinés en tenant compte des effets de la récession sur l'économie nationale. En théorie, le pays peut supporter le rythme de dépenses enregistré par le passé pendant deux à trois ans ; mais dans les faits, les échéances financières des chantiers lancés peuvent aller au-delà de la fin programmée des travaux. Ceci sans tenir compte des habituelles réévaluations tout au long de la vie des projets. Le pouvoir d'achat des réserves extérieures du pays pourrait être sérieusement amenuisé par une lourde et vraisemblable baisse de la valeur relative du dollar américain sur la période considérée. Naturellement, la poursuite de l'accroissement observé des dépenses d'importations, globales et spécifiques aux biens de consommation courante ou aux médicaments, causerait un handicap qu'il convient de ne pas négliger. Il ne faut pas non plus ignorer qu'avec l'édification, par ou avec des capitaux étrangers, des unités de dessalement d'eau de mer, le pays devient, structurellement, importateur d'eau, payée par les profits réexportés, en toute légalité et sur de très longues durées, par les partenaires étrangers. Une révision de l'approche et du mode opératoire de cette question est urgente et impérative. Car la démarche adoptée et les mesures entamées seront encore plus pénalisantes que celles héritées de l'ouverture précipitée du secteur des télécommunications. Enfin, il est nécessaire de disposer de réserves financières suffisantes pour faire face à tout imprévu, de quelque nature qu'il puisse être, naturel ou autre. Le monde reste dangereux et la vigilance doit être la règle. Par ailleurs, le rétablissement de la confiance passe aussi par une bonne information du public lorsqu'il s'agit de questions éminemment sociales. Ainsi, les réalisations et les résultats obtenus devraient faire l'objet d'une communication crédible. En matière de logements, elle devrait être centrée sur le nombre distribué et donc sur celui des familles bénéficiaires et non sur le nombre d'appartements construits. Celle relative à l'emploi, nécessairement plus complexe, devrait privilégier le nombre d'emplois permanents et celui touchant les primo-demandeurs avec affichage systématique des lieux réceptacles. Du fait d'une communication inadaptée, les résultats appréciables, toujours insuffisants hélas, obtenus dans ces deux sensibles domaines, sont régulièrement contestés, discréditant les réels efforts déployés. Ainsi, l'avenir reste tributaire de la qualité du prochain locataire d'El-Mouradia. En revenant sur des décisions fondamentales, telles que la loi sur les hydrocarbures ou le régime des investissements étrangers, et en poursuivant, avec opiniâtreté, une politique de réconciliation nationale, loin de faire l'unanimité et en réduisant progressivement ses nuisances, le président de la République sortant fait preuve de courage, de ténacité, de clairvoyance et de vigilance patriotique. Pour reconnaître qu'une politique économique, cautionnée pendant des années, a failli et entreprendre une autre, plus en adéquation avec les intérêts stratégiques du pays et en phase avec les périls d'aujourd'hui, n'est pas commun. Peu d'hommes politiques sont capables d'une telle attitude. Elle n'est pas sans contrarier des intérêts étrangers et leurs relais internes. Elle comporte nécessairement des risques pour son auteur. Il convient de le soutenir pour les neutraliser. Le scrutin présidentiel est donc une occasion unique pour apporter un appui massif, ferme et déterminé au renforcement de sa position. Certains retiendront de la présidence actuelle surtout les atteintes aux acquis démocratiques. Le récent amendement constitutionnel relatif au mandat présidentiel les conforte dans leur sentiment. L'atonie de la scène politique et les vociférations actuelles qui, paradoxalement, l'accompagnent confirme l'existence d'un trouble profond dans la société. Je suis de ceux qui ont toujours dénoncé publiquement, non sans conséquence d'ailleurs, la politique économique poursuivie et l'abaissement de la souveraineté populaire par le système de pouvoir. Mais les récentes décisions initiées permettent d'apprécier différemment le déroulement et les étapes de l'action présidentielle. Je ne serais pas surpris que le président de la République décide, bien avant l'achèvement de son mandat prochain, s'il est élu bien sûr, de promouvoir une politique innovante, plus consensuelle et plus ouverte. Il n'est pas interdit, non plus, de penser qu'il reviendra sur l'amendement apporté à la Constitution en matière de limitation des mandats présidentiels. Car l'homme a montré encore récemment, comme on l'a vu, son savoir-faire, ses capacités et ses qualités d'un authentique homme d'Etat soucieux du bien-être de ses concitoyens. Faut-il délibérément ignorer que Franklin Delano Roosevelt, le président américain, eut à exercer quatre mandats consécutifs à la suite de la Grande Dépression et à la survenance de la Deuxième Guerre mondiale. Au temple de la démocratie, le dogme de deux mandats céda le pas, momentanément, aux impératifs de sauvegarde de la nation américaine. Est-ce une vue de l'esprit que de croire qu'il est toujours possible de redonner confiance à son peuple et un destin estimable à son pays meurtri ? Le temps presse. L'espoir sera entre les mains du futur président de la République. Hormis deux partis de la mouvance démocratique, l'opposition connue se résume, aujourd'hui, à une pluralité de personnalités incompatibles. Parfaitement au fait de la chose politique, certaines laissent croire que le prochain scrutin concerne le sort d'un individu. Elles se défaussent cyniquement. Elles savent pertinemment qu'il s'agit du pays. S'adonner à deviser sur le taux de participation populaire et à colporter les plus fantaisistes hypothèses sur son niveau, ne peut que surprendre. Une telle attitude reflète le désir d'ignorer le rythme du mouvement de la société. Indubitablement, le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, a raison de relativiser la signification du niveau du taux de participation, au lieu de s'émouvoir à l'avance comme certains de ses collègues. Rendez-vous pour les analyses et les commentaires le 9 avril au soir. ------------------------------------------------------------------------ *Ancien ministre