Oui, le pays est à l'arrêt. Non, le pays n'est pas à l'arrêt. Cela dépend en effet duquel : celui que vous habitez ou celui qui habite au-dessus de vous. Depuis sa réélection, Bouteflika est entré vivant dans l'éternité. Il ne semble plus rien vouloir que regarder le temps gambader, écrire mentalement ses mémoires ou choisir, vraiment de très loin, quelques créatures pour les déléguer sur notre terre. Il a atteint son but autobiographique, tout le reste n'est que sommaires et renvois en fin de pages. Dans ses parages, ses familles. Frères en veille, proches, alliés feutrés et quelques câbles d'amarre au réel. Tout le monde veut leur place, ils veulent la place de tout le monde. Un peu plus loin, dans le cercle de l'exécution, son actuel 1er ministre-second souci, sceptique fondamental mais employé modèle. Une sorte de vizir d'entretien des mécanismes nationaux et des machines à vapeur. Il veille lui aussi, avec une nonchalance refrénée et une lassitude repoussée à 2011, à ce que le pays ne soit pas démonté comme une tente après une circoncision et le fait avec un mystérieux sourire au coin des lèvres. Un peu plus bas, dans le cercle suivant, les gens qui ont fabriqué notre Etat EURL des deux dernières décennies, et qui ne savent plus quoi dire ni penser de leur forfait. Ils s'occupent eux aussi de leurs enfants, ont des avis partagés sur le retour infini de Bouteflika. Quelques-uns d'entre eux se font de l'argent en prévision de l'après-pétrole, d'autres, vraiment fatigués, se replient vers la contemplation et la réflexion antigravitationnelle. Le cercle suivant est celui des armées civiles de Bouteflika qui ont été mobilisées magnétiquement lors des dernières élections. Là, c'est le désarroi, ce beau mot français, synonyme de Sahara en arabe. Après une si intense activité nuptiale, les hommes et femmes de ce cercle commencent à douter individuellement, en mode vibreur. Ils regardent à gauche et à droite. Se baladent d'un comité à l'autre. Se rencontrent. Parlent du 9 avril en le datant du 5 juillet 1962. Attendent et collectionnent de petites rumeurs. Encore plus loin, dessiné par des pistes pour ânes dressées, le cercle des gens qui encerclent malgré eux les autres cercles. Vous, moi, le pays et son peuplement. Là, on s'organise chacun comme on peut. Les administrés se tordent et louvoient. Les administrateurs exécutent, s'exécutent, mangent et continuent de se balancer. L'argent y vient sans but et sans justice et se consomme sans effort et sans obligation de résultat. Des gens y prennent la retraite. D'autres lisent des journaux. D'autres prennent de l'âge et prient Dieu avec l'idée d'un logement social dans la tête plutôt que celle d'une vision mystique. Enfin, et encore plus loin, le cercle qui n'est pas un cercle. Là, le pays n'est pas à l'arrêt. Il n'existe même plus. Selon la règle, la fin d'un Etat commence dans la perte du contrôle de ses frontières. Cela se passe donc dans une ville des frontières, là où l'Etat est privatisé, les «postes» administratifs et de contrôle se vendent et s'achètent et les corruptions font pousser des forêts. Lu hier : la voiture achalandée d'un contrebandier saisie par des gendarmes sera reprise de force par la famille et les amis de celui-ci. Selon un collègue qui a rapporté l'information, le cortège de ces pirates rentrera en ville avec des klaxons et des feux de détresse pour signaler une victoire sur l'Etat, ses gendarmes et la Loi. Un autre Etat s'organise donc, en montant par le bas. Il a déjà sa force, ses lois, son argent et ses institutions. L'Etat de Bouteflika y est dans la position de la caserne isolée. C'est une autre époque qui commence, celle d'un Pouvoir qui ne peut même plus dégager les trottoirs ou interdire les stationnements sauvages. Tout juste s'offrir un lifting puis tourner le dos à tout le monde pour recompter les étoiles des galons célestes. C'est le dernier cercle qui encercle. C'est la nouvelle armée des frontières contre la nouvelle zone autonome d'Alger.