Dans cet entretien, l'ancien SG du FLN aborde les répercussions du référendum du 29 septembre sur l'avenir politique du pays et plaide l'instauration d'une “réelle démocratie”. Liberté : À quoi peut-on s'attendre maintenant, après la tenue du référendum sur la charte portant paix et réconciliation nationale ? Abldehamid Mehri : Après le référendum, il faut s'attendre à l'application de la charte. Mais à travers cette charte, le Président propose une panoplie de solutions qui vont de l'extrême gauche à l'extrême droite. C'est laissé à l'appréciation du Président qui a les pleins pouvoirs pour son application. Dans ma déclaration, j'ai dit que la charte reconduit la politique d'exclusion inaugurée en 1992 dans sa totalité, ses analyses, ses résultats et ses pratiques. Mais elle essaye de corriger, d'atténuer ou d'éliminer certains de ses effets sur le plan social. Voilà comment je résume et je lis le texte de la charte. Cependant, je crois que maintenant on va centrer l'action, et c'est le but de la charte, sur les effets de la crise au plan humain et social. On va donc avoir une série de textes qui vont apporter des solutions totales ou partielles à ces problèmes, mais la solution à la crise est différée comme elle a été différée du temps de Zeroual pour la rahma et au temps de la concorde civile. Elle est différée encore une fois pour des raisons d'équilibres, paraît-il, internes. Quels sont ces équilibres ? On l'ignore. Mais toujours est-il que l'on n'aborde pas les véritables chantiers, c'est-à-dire les changements politiques que les enseignements de la crise dictent. Autrement dit, on vit avec la crise. Pourquoi dites-vous que la charte n'aborde pas les changements politiques dictés par la crise ? La fin des années 1980 a posé un problème de changement de régime. On voulait aller vers un régime démocratique. Mais pour des raisons de commodité et de respectabilité externes, on a fait une démocratie de façade ; elle est belle quand on la regarde de loin, mais elle est inefficace car elle ne résout aucun grand problème du pays. On a voulu à un moment donné aller vers un processus démocratique, mais il y a eu de grands dérapages. Vous parlez de quelle période ? De 1992, avec le changement de cap lors de l'arrêt du processus démocratique. Et donc, on a géré ce pays avec une démocratie de façade et une politique d'exclusion. De quelle manière ? Le fait de barrer la route aux islamistes, de les emprisonner, de les envoyer au Sahara et de les empêcher de faire de la politique est le dernier moyen. Face à un phénomène politique qui se trouve dans tous les pays musulmans, on a imaginé une politique d'exclusion. On mise toujours sur l'exclusion pour éliminer un phénomène sociopolitique. Cette exclusion concerne exclusivement les islamistes ? Oui. Mais quand on admet une politique d'exclusion comme moyen de régulation politique, on opère l'exclusion également à des degrés divers envers d'autres courants. Mais la règle est la même pour tout le monde. Et à partir du moment où l'on admet que l'exclusion peut être justifiée, on trouve toujours des explications. En quoi consiste un véritable règlement de la crise, selon vous ? En un mot, par un passage à un régime démocratique réel. De quelle façon ? De la façon qu'on utilise partout dans le monde. C'est-à-dire ? En commençant par des élections réellement libres. Des élections générales ? Toutes les élections pour permettre au peuple de s'exprimer véritablement. Et vous êtes, dans ce cadre, pour le retour du FIS ? Ce n'est pas le FIS en tant qu'organisation qui est en cause. Mais le fait de frapper des citoyens d'une punition leur interdisant un droit constitutionnel. Ce n'est pas normal. Mais de quels citoyens parlez-vous ? La charte parle de ceux qui ont manipulé la religion. C'est tellement vague, ça peut s'appliquer n'importe comment. On continue donc l'exclusion par d'autres moyens en leur interdisant de faire de la politique. J'estime que ce n'est pas constitutionnel et que seule la justice peut infliger ce genre de punition et qu'en plus, cela ne résout pas le problème. Vous êtes favorable à l'islamisme politique ? Je dis qu'en démocratie, s'il y a un courant généré par la société, je peux être contre mais je ne peux pas dire au ministère de l'Intérieur de l'empêcher. Je peux être contre et le combattre politiquement et dire au peuple qu'il y a une autre voie, mais je ne peux pas agir comme s'il n'existait pas. Vous ne pensez-pas que ce courant islamiste est accepté par le pouvoir à travers le MSP et le MRN ? Dans ce cas, pourquoi avoir recours à cette interdiction ? C'est qu'il y a un courant différent qu'on veut empêcher. Pourquoi cette sélection ? En fonction de quels critères ? Vous êtes-vous impliqué dans la campagne pour le référendum ? Non, j'ai eu seulement à exprimer ma position sur la charte de façon individuelle. Vous pensez donc que les objectifs de la charte ne sont pas ceux que l'on prétend… Pour moi, il y a encore un report de règlement de la crise. On ne veut pas prendre le taureau par les cornes. Et je crois que rien ne justifie le report du règlement de la crise. Si l'on demande aux victimes de cette pénible tragédie d'oublier et de faire un effort sur elles-mêmes pour pardonner, on peut demander aux dirigeants de ce pays au moins d'être tolérants pour se rencontrer et discuter. Partagez-vous l'opinion selon laquelle la charte représente un mandat pour le maintien du président de la république ? Il est certain que c'est un mandat pour le président pour qu'il applique la charte. Ça lui donne des pouvoirs qui sont néanmoins limités par la réalité. Le président semble vouloir gérer à lui seul le pays… Non. Il ne peut pas à lui seul gérer la crise. Vous vous êtes effacé de la scène politique depuis 1996. Existe-t-il une raison pour cela ? Non. Par expérience, je m'exprime à travers des organisations ou le parti. Seul, je ne crois pas à une action individuelle. Je me limite actuellement donc à exprimer mes positions. Que pensez-vous de la gestion du pays depuis l'arrivée de Bouteflika à la tête de l'Etat ? Je ne pense rien. Je dis seulement que le pays est toujours géré de la même façon. C'est-à-dire avec la même vision politique où il n'y a pas de régime démocratique réel. Mais l'Algérie mérite une véritable démocratie. Vous pensez que le président Bouteflika pérennise la crise ? Je crois que le problème est beaucoup plus complexe et qu'on ne peut pas imputer la crise à la responsabilité d'une seule personne. C'est pour cela que je dis que le règlement de la crise passe par la contribution de toutes les forces politiques du pays. Y compris ceux qui se trouvent actuellement à l'étranger ? Oui, et surtout ceux qui ont été partie prenante et plus ou moins responsables de cette crise. Cela dans le cadre d'une conférence nationale ? On trouvera la forme adéquate. Comment commentez-vous les différentes crises par lesquelles est passé le FLN depuis que vous n'êtes plus à sa tête ? Ces crises me peinent énormément. Mais elles sont inévitables si on veut faire du FLN un parti-alibi comme on s'acharne à le faire. Que pensez-vous du FLN version Belkhadem ? Il n'y a pas de FLN version Belkhadem ou Benflis. Il y a le FLN qui existe réellement en tant que force politique indépendante qui a un grand héritage et le FLN qui sert d'instrument à d'autres politiques. Et le FLN est en crise, parce que l'on l'empêche d'être lui-même Abdelaziz Belkhadem a été le premier responsable politique à parler de révision constitutionnelle, à appeler à la nécessaire clarification de la nature du régime algérien et à appeler à l'élargissement du mandat présidentiel vers un septennat. Partagez-vous cette revendication ? Si l'on veut construire un régime politique qui s'appuie sur les véritables forces du pays, il faut passer par une révision constitutionnelle et Belkhadem a parfaitement le droit d'apporter sa contribution. Qu'est-ce qui pourrait changer dans la constitution qui garantirait l'exercice démocratique et les libertés en Algérie ? Je ne peux pas dire comment, chacun a son appréciation. N. M.