Le dossier des moines de Tibehirine n'est pas prêt d'être clos puisque le juge Marc Trévidic s'apprête, dans les mois qui viennent, à convoquer plusieurs témoins clés de l'affaire, dont des diplomates en poste à l'époque et, plus improbable, son collègue Jean-Louis Bruguière, en charge du même dossier en 2007, pour être confrontés aux «révélations» du général en retraite Buchwalter, ancien attaché militaire à l'ambassade de France à Alger. Parmi les diplomates concernés par ces auditions avec le juge antiterroriste, Hubert Colin de Verdière, alors directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charette, lors de ces événements. Dès que l'enlèvement des sept moines est connu, le 27 mars 1996, c'est lui qui est chargé de diriger une cellule de crise constituée au Quai d'Orsay. Un choix qui s'explique par sa grande connaissance de l'Algérie puisqu'il y travaillera officiellement pendant cinq ans en tant que Premier secrétaire de l'ambassade de France à Alger, de 1975-1977 puis de 1977 à 1979 comme deuxième conseiller au même poste, avant d'être nommé comme délégué dans les fonctions de sous-directeur pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient de 1980 jusqu'à 1983. Dans son audition par le juge Bruguière, en avril 2007, Hubert Colin de Verdière souligne d'emblée que l'une des préoccupations de la France est alors d'éviter la moindre bavure pouvant provoquer la mort des religieux pris en otage. Cet ancien ambassadeur en Algérie à deux reprises, de 2000 à 2002 et de 2004 à 2006, semble être le clé de voûte d'une enquête confiée à un juge antiterroriste, Marc Trévidic, 43 ans, rompu aux dossiers sensibles qui touchent à la raison d'Etat. Attentat contre l'avion du président rwandais en 1994, contre des salariés de la DCN à Karachi en 2002 ou encore le dossier du massacre des moines de Tibehirine. Il a repris plusieurs dossiers de son collègue Jean-Louis Bruguière, dont certains enlisés depuis plusieurs années, pour les faire avancer de façon significative. Hubert Colin de Verdière étaye ses déclarations en affirmant que le général Rondot, alors en poste à la DST, et qui a reçu la mission de se rendre à Alger et de suivre l'affaire, « avait été chargé (...) d'insister pour que les actions sécuritaires menées par les forces militaires et de police algériennes dans la région où pouvaient éventuellement se trouver les moines soient conduites en évitant, autant qu'il était possible, de mettre la vie de ceux-ci en danger ». Cette priorité est ainsi mise en avant à quatre reprises par le haut diplomate lors de son audition. « Notre ambassadeur, précise-t-il encore, rappelait constamment à ses interlocuteurs algériens la nécessité de ne pas mettre la vie des moines en danger ». Des précisions en guise d'un paravent contre d'éventuelles accusations du juge Trévidic quant à un manquement à la responsabilité de hauts diplomates français qui ont eu à gérer ce dossier. En effet, au-delà de l'hypothèse d'une bavure de l'armée algérienne à l'origine de la mort des sept moines de l'abbaye de Tibehirine, enlevés et retrouvés morts en Algérie en 1996, une lecture des faits voudrait simplement que cette réactualisation de l'affaire ne soit, en fait, qu'un retour dans le passé pour démontrer, et d'une part la pleine responsabilité des Français dans ce fiasco, à leur tête l'ambassadeur en poste, Hubert Colin de Verdière, ou encore le général Rondot et, d'autre part, confronter le juge Bruguière avec sa gestion du dossier en question. En effet, l'une des particularités de Marc Trévidic, c'est qu'il a été chargé de reprendre les dossiers de Bruguière dont les méthodes ont été souvent décriées ainsi que son travail, dont les dernières critiques sont venues du Rwanda. Une lecture qui met en avant une affaire purement franco-française alors que l'Algérie ne serait qu'une victime collatérale.