«Manque d'imagination collective de beaucoup de gens très intelligents». C'est ainsi que des économistes britanniques, dans la tradition de froide distanciation typique de l'humour britannique, ont expliqué à la reine d'Angleterre le fait que la crise financière n'ait pas été prévue par les experts. Lors d'une visite à la prestigieuse London School of Economics, la reine d'Angleterre s'était posé une question partagée par beaucoup de gens parmi ses sujets et à travers le monde. Comment cette crise n'a-t-elle pas été prévue en effet ? En réalité, certains économistes, dont le désormais célèbre Nouriel Roubini, avait bien mis en garde contre le risque d'effondrement du système financier global. Mais qui donnait alors du crédit à celui que l'on appelle aujourd'hui Doctor Doom, le docteur catastrophe ? La lettre des économistes à sa gracieuse majesté ne se borne pas évidemment à la pirouette sur l'imagination et l'intelligence. Fruit d'une concertation entre éminences reconnues du Comité de politique monétaire de la Banque d'Angleterre, du secrétariat au Trésor et de dirigeants de banques d'affaires, la missive pointe des causes bien moins cérébrales. De fait, selon les signataires de la lettre à la maison Windsor, «Chacun semblait faire son travail correctement, et selon les critères habituels de la réussite, c'était souvent le cas. L'échec vient de l'incapacité à voir que ce système créait une série de déséquilibres liés les uns aux autres, sur lesquels aucune autorité unique de surveillance n'avait autorité». C'est très exactement la description d'une organisation sans réelle régulation ni encadrement des activités spéculatives. Cette reconnaissance, joliment formulée, ne relève pas de l'humour pincé cher aux aristocrates de la haute finance. Pourtant, l'origine directe de l'absence d'autorité n'est pas si lointaine. Le démantèlement méthodique de l'organisation des marchés des capitaux avait été mis en oeuvre par un Premier ministre qui a laissé une marque profonde dans l'histoire contemporaine du Royaume-Uni. Margaret Thatcher, disciple de Von Hayek et de Friedman, avait déclenché le fameux «big-bang» de la déréglementation en octobre 1986. Depuis, l'expansion sans limites de la bulle financière a certainement créé un sentiment «d'allégresse» évoqué dans la lettre à la reine. L'argent facile, l'appréciation toujours minimisée du risque et l'inflation des dérivés de crédit ont formé une sorte de chimie comparable aux stupéfiants. Les constructions financières découplées de l'économie réelle ont permis à des spéculateurs de tous ordres d'engranger des superbénéfices. Mais la contrepartie de cet enrichissement phénoménal a été une succession de crises qui ont abouti à l'implosion de la titanesque bulle financière provoquée par une étincelle, la débâcle des subprimes. Il ne s'agit pas d'un procès en sorcellerie du marché, mais bien du constat que les approches idéologiques appliquées à l'économie sont la matrice des désastres. Pour guérir un mal et éviter qu'il se reproduise, il faut l'identifier clairement. D'autant que les conséquences désastreuses de la crise actuelle devraient être l'occasion de repenser le capitalisme, loin des formulations dogmatiques et des mathématiques de l'absurde chères aux analystes de risque. Ce sera peut-être l'objet d'une autre lettre des distingués économistes...