L'affaire des moines de Tibhirine déterrée en début d'été par le propos fracassant du général à la retraite français François Buchwalter, selon lequel la mort de ces religieux serait due à une «bavure» de l'armée algérienne, rebondit avec la demande de la levée du «secret-défense» entourant le dossier, formulée officiellement par le juge d'instruction en charge de celui-ci. Des confrères chez nous se sont aussitôt empressés de voir dans l'initiative du magistrat français une instrumentalisation de la justice hexagonale visant à remettre au goût du jour la question du «qui tue qui» en Algérie et entraver ainsi la normalisation des relations algéro-françaises. Ils qualifient sa demande d'acharnement alors qu'elle a été rendue indispensable et par la précipitation du président Nicolas Sarkozy à exiger que «toute la vérité soit faite» sur cette affaire des moines, et par les témoignages de hautes personnalités françaises ayant occupé des postes sensibles à l'époque des faits, qui ont démenti la version avancée par le général à la retraite. Pourquoi du côté algérien serait-on contre la levée du secret-défense demandée par le magistrat français ? Du moment que l'on est certain que l'assertion du général n'est qu'affabulation dénoncée en tant que telle par les hautes personnalités françaises précitées, l'on devrait au contraire s'en réjouir. Les Algériens ont tout intérêt à ce que les autorités françaises accèdent à la requête du juge d'instruction Marc Trevidic et devraient même exiger qu'elle soit faite sans laisser de «zone d'ombre» planer sur le contenu du dossier. Ce que précisément ne veulent pas certains milieux politiques français parce que la lumière qui en jaillirait ainsi confirmera que tout le «tapage» orchestré cet été autour de l'affaire des moines de Tibhirine ressort d'une opération de règlement de compte franco-français. Ce que tend d'ailleurs à confirmer l'intrusion dans la polémique qui a ressurgi en France à l'occasion de la demande formulée par le magistrat, du sulfureux Charles Pasqua, ancien ministre de l'Intérieur français. Lequel d'ailleurs confirme implicitement la fausseté de la thèse impliquant la responsabilité de l'armée algérienne dans la mort des religieux en laissant sous-entendre que les preneurs d'otages ont pu aller à cette extrémité «parce qu'ils ont considéré avoir été menés en bateau ou bafoués par le gouvernement français», et d'incriminer Alain Juppé, alors Premier ministre à l'époque, d'avoir été le responsable de la calamiteuse gestion qui a mené à l'exécution des moines par les terroristes qui les détenaient. Il est on ne peut plus clair que la levée du secret-défense éclaboussera plus l'establishment politico-sécuritaire français que l'armée et les officiels algériens. D'ailleurs, le juge auteur de la demande semble être convaincu que l'enquête judiciaire dont il a hérité n'a été ouverte en 2004 que suite à des «pressions politiques», ce qui confirme à ses yeux sa nature de règlement de compte entre responsables présents et passés de l'appareil d'Etat français. Enfin, puisque Nicolas Sarkozy a doctement pontifié que les «relations entre les nations ne se bâtissent pas sur le mensonge», les opinions publiques, aussi bien française qu'algérienne, doivent mettre au pied du mur l'Etat français en exigeant que la levée du secret-défense se fasse dans la transparence et sans manipulation des informations que contiendrait le dossier en cause.