Les patrons privés refusent de payer les allocations familiales et d'assumer le relèvement du SNMG si le gouvernement ne leur assure pas la contrepartie en relance pour leurs entreprises. Redha Hamiani, le patron du Forum des chefs d'entreprises (FCE), dit carrément «non» quand on lui demande s'il est d'accord que les allocations familiales soient à la charge des entreprises. «Non, ce n'est pas aux entreprises de les payer parce que les allocations familiales ont un caractère social très prononcé. C'est une mission essentielle à la charge de l'Etat. Les mettre à la charge des entreprises, c'est les rendre aléatoires parce qu'elles pourront les renier par insuffisance de ressources. Les entreprises ont des difficultés pour tourner. Dans les conditions actuelles, la position du FCE est plus que réservée.» Il suggère que «l'Etat, lui, pourrait alimenter la caisse des allocations familiales par la fiscalité. Que cette fiscalité soit ordinaire ou pétrolière, ceci est un autre débat.» Le président du FCE n'est pas contre un relèvement du salaire national minimum garanti (SNMG). «Un SNMG à 12.000 DA, ça n'a pas de sens. Quand on prend son couffin et on tourne dans les marchés ou les superettes, on voit qu'on ne peut pas vivre avec 12.000 DA», fait-il remarquer. Il estime que «sur le plan strictement social, économique et religieux, il faut le relever autour de 20.000 DA.» Mais il revient sur le volet économique de la chose pour dire «je corrige, un relèvement du SNMG ne peut être supporté par les entreprises qui ont dans la conjoncture actuelle des stratégies de survie. Il serait plus judicieux de faire une analyse plus fine par secteur pour déterminer là où c'est possible d'assumer son relèvement. Il faut reconnaître qu'il y a des secteurs entiers qui ne pourront pas le faire. En tout cas, si les choses vont se décider sans ces préalables, la hausse du SNMG ne sera pas appliquée par les privés.» Hamiani recommande aussi au gouvernement d'éviter l'effet accordéon. «Les hausses ne doivent pas concerner les hauts salaires parce qu'il y a déjà un très grand écart entre les classes moyennes et les gros salaires», explique-t-il. Il rappelle qu'avec les récentes dispositions de la loi de finances complémentaire 2009, «on est en train de favoriser une relance par la demande alors que l'offre diminue, avec une inflation qui réapparaît, il faudrait faire attention à ne pas compliquer les choses davantage.» Et bien que le malaise social soit profond, le patron du FCE n'entrevoit pas des signes d'explosion. «Nous avons l'expérience des rentrées sociales précédentes, on disait aussi que ça allait être lourd, explosif, mais rien n'en a été. Alors aujourd'hui, avec les dispositions de la LFC, le taux d'inflation que l'ONS a confirmé, les 1.000 milliards de transferts qui ciblent mal les défavorisés, ça ne changera pas grand-chose. De là à voir le pire, on n'en est pas là.» «Encore faut-il qu'on soit invité !» Le FCE ne semble pas avoir tranché définitivement la question de sa participation ou pas à la prochaine tripartite. «On n'est pas très chaud pour y aller. Je dois d'abord poser la question au conseil exécutif, tenir peut-être une assemblée générale, on verra après», répond son président. Il ne manque pas de noter que le cadre de la tripartite n'est pas très conforme à la consultation. «Il faut que la consultation s'installe, qu'elle soit pérenne, permanente. Il y a dans tout cela la forme et la manière.» Hamiani fait savoir en outre, que «de par le statut qu'on a, ce n'est pas évident, il faudrait qu'on voit dans quelle mesure on va évoluer vers une forme syndicale, peser le pour et le contre d'un tel changement de statut.» Ceci étant dit, il n'exclut pas «d'autres formules» pour participer. «En tant qu'observateur peut-être», pense-t-il. Mais même à ce titre, il semble que le FCE pose des préalables. «Il y a une multitude de patronat qui participent à la tripartite, qui ne sont pas sur la même longueur d'ondes, c'est une véritable cacophonie, voilà une raison supplémentaire pour ne pas y aller», affirme-t-il. Pour lui, «s'il faut y aller, il faut pouvoir parler de la même voix, c'est une question de méthodologie, pour être efficace.» Son regret est que «le patronat a beaucoup de peine pour s'unifier. C'est plutôt une guerre des chefs, des organisations qui ne respectent pas les règles du jeu, par exemple tenir leurs assemblées générales, avoir un règlement intérieur, il faudrait mettre de l'ordre d'abord.» La participation du FCE à la prochaine tripartite relève aussi du bon vouloir du gouvernement. «Encore faut-il qu'on nous invite !», lâche Hamiani à cet effet. Interrogé sur l'implication de son organisation dans le pacte national économique et social, Hamiani rappelle «le gros travail qu'on a fait et qu'on a remis au gouvernement mais il n'y a pas eu de suite.» Il estime que «nous sommes ses alliés naturels, des acteurs majeurs sur la scène économique nationale, on voudrait donc assister à la prise de décisions, on aurait évité ainsi beaucoup de malentendus et de tiraillements.» «Les entreprises sont mortes» Abdelaziz Mehenni, le président de la Confédération des industriels et producteurs algériens (CIPA), tient en premier à affirmer que «le patronat ne boycotte pas la tripartite, nous ne sommes pas pour la politique de la chaise vide, nous serons donc présents.» Le relèvement du SNMG tel que décidé par le président de la République pose par contre problème aux patrons partenaires du gouvernement dans la tripartite. «Oui pour le SNMG, c'est une obligation de le relever parce que le pouvoir d'achat est très bas. Mais le reste des problèmes qui touchent l'environnement de l'entreprise productive doivent aussi être examinés. On veut mettre tout sur la table, la vie est dure pour tout le monde», souligne Mehenni, même s'il n'a rien perdu de son habituel humour. Il regrette qu'il n'y ait pas de consultations préalables pour toute prise de décision. «La consultation entre les présidents des organisations patronales se fait, mais à ce jour le gouvernement ne nous a pas contactés ni pour l'ordre du jour ni même pour nous inviter à la tripartite.» L'annonce faite par le ministre du Travail de faire payer les allocations familiales par les entreprises n'est pas du goût des privés. «Il y a des choses acceptables mais dans ce cas, il faut revoir la fiscalité et la parafiscalité», a-t-il lancé sans donner de détails. «Si le ministre du Travail veut que les allocations familiales soient à la charge des entreprises, nous demandons à ce que les problèmes de la PME-PMI soient pris en charge», demande-t-il. «On va aller à la tripartite mais en deuil parce que les entreprises sont mortes», tient-il à dire. Et c'est sans transition que Mehenni a tenu à s'exprimer sur le crédit documentaire pour rappeler la situation financière «désastreuse» des entreprises. «Avec ce mode de paiement, on oblige l'importateur à déposer d'abord de l'argent dans la banque, mais on n'en a pas, on traîne des problèmes d'endettement depuis la décennie noire», fait-il rappeler. L'on a entendu dire, souligne-t-il que «la BEA décidera au cas par cas alors que l'ABEF a déclaré que toutes les banques doivent s'y soumettre, alors qui a tort, qui a raison ?», interroge-t-il. Mehenni cherche de «la crédibilité de ce qui se dit et de ce qui se fait.» Il demande que les signataires du pacte économique et social puissent se mettre autour d'une table avec les banques pour assainir le passé des entreprises «par exemple par un rééchelonnement de leurs dettes en principal.» «Il y a des opérateurs malhonnêtes qui ne les paieront pas» C'est ce que Mehenni qualifie de «geste réparateur pour lequel il en appelle au président de la République.» Il dit des dispositions de la LFC qu'elles sont «bonnes» mais, interroge-t-il, «pourquoi toucher aux matières premières, les gens n'ont pas d'argent, l'entreprise algérienne qu'elle soit publique ou privée, est sinistrée.» Il ne manque pas de relever «par contre, on dit qu'il y a de l'argent dans les caisses de l'Etat, qu'on va créer 200.000 PME et 3 millions d'emplois, qu'il y a 150 milliards et plus pour tous ces projets, alors on demande à ce que soit redynamisé le capital industriel dormant, il suffit de peu pour le faire...». Habib Yousfi, le patron de la Confédération générale des opérateurs économiques algériens (CGOEA) n'est pas lui non plus contre un relèvement du SNMG parce que, dit-il, «c'est une promesse qu'a faite le président de la République au peuple, nous sommes tenus de soutenir son action.» Mais, précise-t-il, «c'est le niveau qu'on doit discuter. Je pense que le gouvernement a déjà une opinion sur le montant, nous allons voir ce qu'«il proposera et ce que proposera l'UGTA, nous allons rentrer dans le jeu.» Interrogée sur la rentrée sociale, Yousfi répond «elle est très difficile que ce soit pour le pauvre citoyen qui n'arrive pas à joindre les deux bouts, en tant que patrons, on en est tout à fait conscients, ou pour les entreprises qui avec les dernières dispositions risquent de perdre beaucoup de crédibilité si ne c'est mettre la clef sous le paillasson.» Comme le patron de la CIPA, le président de la CGOEA fait part de ses inquiétudes notamment à propos de l'article 69 de la LFC 2009 relatif au crédit documentaire. «Les PME n'ont pas d'argent pour le bloquer pendant 3 ou 4 mois dans la banque. Nous sommes dans un brouillard, nous ignorons l'avenir», dit Yousfi qui «espère que la tripartite discutera de cette question, au moins on aura une vision, sur le moyen terme et non sur le long terme.» A propos des allocations familiales à la charge des entreprises, il interroge d'abord «s'agit-il de booster les caisses ou c'est une volonté de faire valoir le donnant-donnant ?» Il qualifie toutefois ce dossier de «très délicat. Si le gouvernement y pense, il faudrait qu'il pense aussi à réduire les charges de sécurité sociale.» Il faut aussi savoir qu'«il y a des opérateurs malhonnêtes qui ne les paieront pas. Et que ça pourrait accentuer le chômage.» En tout état de cause, Yousfi est prêt, dit-il, «à négocier. Je suis dans la tripartite pour le faire.»