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Tourouq et Zaouias de nos régions
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 21 - 10 - 2009

Aperçu succinct sur l'itinéraire historique des turûq et zaouia de nos régions
De puissantes confréries s'engageront dans ce qu'on a appelé «et-Tariqa el Mohammadya» ; de vastes réformes au sein du soufisme maghrébin caractériseront l'action de ceux qu'on a nommé au XIX ème siècle chouyoukh el islah - (les chaykh réformistes qui n'ont absolument rien à voir avec le groupe de nos oulema algériens, pensez donc !)
Il nous semble utile de donner un aperçu succinct sur l'itinéraire historique des grandes Voies (turûq). Lesquelles, - (selon la formule de feu Hadj Mohammed Belmimoun, un homme de réalisation spirituelle dans la tariqa Alaouia ) - continuent de nos jours encore, «de marquer de leur empreinte et de la force de leur conviction la lutte permanente du bien contre le mal, du savoir et de la science, de la liberté enfin, pour le triomphe de l'Islam dans nos régions comme à travers tout le Maghreb !»
Tariqa el Qadrya.
Elle fut fondée par le grand saint Sidi Mahieddin Abû Mohammed Abdelkader el Jilani ; né à Jilan située à mi-chemin entre Baghdad et l'Iran en 1078, il est décédé dans cette même ville le 11 Février 1166, âgé de 88 ans.
D'origine noble, il était cependant issu de parents fort humbles. Toute sa vie il garda une modestie et une douceur remarquables : «ce qui dominait chez lui c'était l'amour du prochain et une charité ardente de sorte qu'il fut le soutien des pauvres et des faibles».. Imploré, depuis des siècles, par les gens qui souffrent ou qui sont malheureux, on ne cesse d'invoquer son nom spontanément tant on est convaincu «que cela conforte, favorise et, à tout le moins, soulage !» De surcroît, comme toutes les âmes pures, Sidi Abdelkader avait horreur du mensonge et de l'hypocrisie..
Ne fut-il pas l'une des figures marquantes du Tasawwuf au XII ème siècle, ainsi que deux de ses fidèles compagnons, Abû Su'ûd al Shibî, et Mohammed Ben Qâ'd el Awânî ? Ce dernier, du reste, était présent lorsque Abdelkader Jilani prononça la fameuse sentence qui établissait sa qualité de Pôle de son temps : «Mon pied que voici est sur la nuque de tout saint d'Allah !» D'après Ibn Arabi, Abdelkader exerça ce pouvoir sur commandement Divin! (*)
(*) - Dans Kitab Nassab el Khîrqa, Ibn Arabi reçut en 2OO6 à la Mecque ce manteau (ou froc) initiatique des mains du Chaykh Djamal Eddin Yûnus al Abassi qui le tenait directement de Abdelkader Jilani. Cette investiture établissait entre Ibn Arabi et Abdelkader une relation particulière.
Parmi les disciples de Sidi Abdelkader citons également, ‘Umar al Bazzâz (mort n 1211) et Abû Al Badr al Tamâshîki, que le chaykh al akbar rencontra à Baghdad.
Moulana Abdelkader fut également «un savant professeur et un propagateur actif et empressé du soufisme ; il nous a laissé un grand nombre d'ouvrages mystiques et théologiques…La culture de son esprit était immense.»
L'enseignement du haut de la chaire ne suffisait plus à son âme pleine d'ardeur et de vivacité, aussi il décida de prendre son bâton de voyageur pour parcourir le monde. Ce ne fut qu'après 25 ans de retraite qu'il résolut de revenir parmi les hommes. On dit qu'il visita un nombre incalculable de pays, affectionnant plus particulièrement le Maghreb ! Il n'est pas de ville ou de bourg qui n'ait reçu le passage du saint homme. Au Maroc comme en Algérie on célèbre le Maître de Baghdad, le juriste et le muphti hanbélite, (affectueusement appelé chez nous Djelloul Ould Kheïra, en hommage à la maman de Sidi Abdelkader ; Djelloul comme Djilali - pour Jilani - sont des prénoms très répandus, presque autant que Ghouti, pour el Ghût, et Boumédien pour Abû Madyan à Tlemcen!).
Il est le sultan des Saints, le Qotb des Qotb, le Ghût, le plus Grand Arc (Qüs el Azam), le roi de la terre et de la mer, le Soutien de l'Islam, le Maître de l'Oriflamme (bou âlam ou Boualem) ; cependant le qualificatif le plus employé au Maghreb pour désigner Sidi Abdelkader - aux époques de confrontations avec les extrémistes chrétiens fut celui de Tayr el Mragueb ( Oiseau des vigies) qui veillait sur nos côtes du littoral Pacifique ou de Méditerranée !
L'ordre religieux des Qadrya se distingue par l'esprit de charité qui guide ses adeptes, puis vient la pratique du Dikr «La illah a illa Allah» dans ses formulations diverses.
A l'évidence, les préoccupations spirituelles des Qadrya reproduisent, d'une façon générale, le cheminement initiatique du tasawwuf : «…la recherche, par l'exercice de la vie contemplative et les pratiques pieuses, d'un état de pureté morale et de spiritualisme parfait pour permettre à l'âme des rapports plus directs avec son Créateur et Maître». Pour le fondateur de la confrérie «la walâya est l'ombre de la fonction prophétique (zill al nubuwwa)» comme la fonction prophétique est l'ombre de la fonction divine.
L'ordre des Qadrya fait remonter la généalogie du saint fondateur jusqu'à Ali Ben Abî Taleb, puis continue par Seth, Cham, Noé et le prophète Adam, père de l'humanité. Ainsi «Adam fut créé avec de la boue, la boue vient de la terre, la terre de l'écume, l'écume des flots, les flots de l'eau, l'eau de l'Esprit de Dieu, l'Esprit de Dieu de Sa Puissance, Sa Puissance de Sa Volonté, Sa Volonté de Sa Science !»
Pour la tariqa Qadrya, la chariâ ( la Loi ) est le fondement indispensable, le socle sur lequel repose toute démarche spirituelle. Ainsi la célèbre medersa du hanbali Abdelkader el Jilani s'était évertuée à harmoniser la chariâ et la spiritualité. De leur côté les adeptes de la Qadrya précisent que «le grand saint s'était toujours refusé à évoquer toute dimension métaphysique dans son œuvre pour se consacrer exclusivement aux aspects pratiques de la Voie». D'ailleurs les écrits qu'il a laissés sont étudiés, jusqu'à nos jours, dans toutes les terres d'Islam comme dans plusieurs pays du monde (notamment un traité complet sur le soufisme Ghûniat li tâlibî tariq el hâq, ainsi que Fûtûhât el ghayb, Djalâ îl el khatir, al Fath errabânî (ces deux derniers ouvrages sont des recueils de sermons) ; à ces titres il faudrait ajouter des livres contenant des formules de prières ou des poésies mystiques.
Prenant son essor dès l'époque fatémide (de 909 à 1171) le culte des saints eut pour signe tangible la ziara à leurs sanctuaires. Il s'agirait, à en croire les khouans, d'une adhésion de l'esprit à l'hommage rendu à un chaykh ; à partir du XIII ème siècle cet acte prend une formidable ampleur au Maghreb «il oriente la piété populaire et se nourrit de l'enseignement savant des maîtres et de leur doctrine de sainteté». Lorsque l'audience d'une tariqa augmente jusqu'à mobiliser une grande foule de prosélytes, il arrive qu'un chaykh désigne son fils ou son neveu (à l'exemple d'Ibn Abî Khayr Rafa'î au XI ème siècle) pour lui succéder à la tête de la confrérie. Ce fut le cas de Abdelkader Jilani ; une véritable dynastie familiale apparut à Baghdad ; il est vrai que le maître avait vécu assez longtemps - de 1O78 à 1166 soit près de 88 ans - pour parvenir à engendrer 16 garçons et 3 filles ! Parmi ses enfants neuf furent d'éminents savants, citons entre autres :
- Chaykh Aïssa, mort à Karaf en 1178 ; auteur d'un traité sur le soufisme Latâ'if al-Anouar.
- Chaykh Brahim, dont la postérité existe encore à Fes et à Damas. Il est mort en 1195 à Ouarita en Irak.
- Chaykh Abdelaziz qui émigra à Fes.
- Lalla Setti, à laquelle nous consacrerons ci-après un chapitre particulier (morte et enterrée à Tlemcen durant le premier quart du XIII ème siècle)
Abdelkader Jilani, en prêchant les saines doctrines fonda cet ordre religieux des Qadrya «qui subsiste aujourd'hui plein de sève et de force expansive» grâce aux nombreux missionnaires qui parcoururent le monde et plus particulièrement sa descendance à laquelle Dieu avait accordé Sa Protection. (*)
(*) - Un de nos amis, éminent spécialiste du tasawwuf nous parlait avec enthousiasme du rang de Moqaddem occupé par l'Emir Abdelkader dans la tariqa Qadrya ; lequel s'affirma comme un véritable disciple (à travers les siècles) de Sidi Abdelkader et d'Ibn Arabi ; à ce propos, nous partageons l'opinion de ceux qui s'accordent à penser que toute l'œuvre de l'Emir Abdelkader El Djazaïri vise à restaurer l'Islam dans sa dimension universelle. Parmi les grandes figures de l'histoire contemporaine qui affichèrent leur fierté d'appartenir à la confrérie des Qadrya citons Mohammed Iqbal, le fondateur du Pakistan (mort en 1938) ainsi que Hadj Ahmed Messali, le père de l'Algérie libre.
A la mort du grand chaykh, le 11 février 1166, la direction spirituelle de l'ordre des Qadrya échut à son fils Abdelaziz et s'est perpétuée jusqu'à nos jours dans sa famille.
Cependant, s'il nous faut conclure cette brève rétrospective sur la tariqa qadrya, rappelons que l'un des moments les plus extraordinaires dans le cheminement de la spiritualité islamique fut la rencontre entre Sidi Abdelkader Jilani et Abû Madyan. Voici en quels termes cet événement est rapporté dans El Boustan (p. 118) :
«- Abû Madyan, dit Et-Tadhely, se rendit en Orient le front environné de l'auréole des saints. Arrivé à la Mecque il se fit un devoir de suivre les leçons des maîtres les plus habiles et fréquenter la société des hommes distingués par leur savoir et leur piété. C'est à Arafa qu'il fit la connaissance du chaykh Abdelkader el Jilani sous la direction duquel il étudia d'abord à la Mecque - ensuite à Baghdad où il le suivit - une grande partie des hadith. Sidi Abdelkader el Jilani le revêtit du froc des soufis, lui communiqua la plupart de ses secrets, et l'arma des splendeurs des lumières, en sorte que Abû Madyan se glorifiait de l'avoir eu pour maître et qu'il le considérait comme le plus éminent de tous ses éminents professeurs !...»
Tariqa Djazoulya.
Cet ordre apparut en 1464 sous la direction de l'imam Abû Abdellah Mohammed Sliman el Djazouli ; né à Souss dans la tribu berbère des Iguezoulen, du haut Atlas marocain, il étudia à Fes la philosophie chadhilya avant de se rendre à la Mecque où il demeura vingt ans pendant lesquels il fréquenta les grands professeurs du fiqh, du tawhîd et du droit, se mêlant de préférences aux cercles soufis il finit par entrer dans la voie! Enseignant durant quelques années à Fes, il eut parmi ses disciples les plus célèbres le fameux chaykh Ahmed Zerrouq. Auteur d'un ouvrage fort connu «Dalâîl el kheïrât - Les meilleurs arguments à la louanges du Prophète», il se fixa dans sa zaouia de Metoura non loin de Merrakech où, bientôt poursuivi par le sultan mérinide, il se réfugia au milieu de ses adeptes ; il sera empoisonné en 1465. Enterré d'abord dans un lieu dit Haha, il sera exhumé avant d'être mis terre au quartier appelé Haoumet Ben Sliman, à Merrakech. «Les fidèles viennent régulièrement en visite à la zaouia réciter l'œuvre du grand maître ; le tombeau du chaykh fait également l'objet de nombreux pèlerinages»
Tariqa Zerrouqya.
Représentant une branche importante de la chadhilyacet ordre religieux fut fondé en 1494 par l'imam Abû el Abbes Ahmed Zerrouq el Bernoussi, né en 1441 à Bernoussa, entre Fes et Taza, là où ses fidèles lui ont élevé une qûbba vénérée !
Parmi les maîtres de sidi Zerrouq citons le chaykh Hadrani, l'imam Sidi Ahmed ben Arous, Abdellah Sakhri, le savant docteur Ahmed Ben Zekri, imam de la Grande Mosquée de Tlemcen. (Nous aurons l'occasion de revenir sur l'itinéraire de cet immense homme de savoir, auteur d'un nombre important d'ouvrages). Cependant celui, parmi ses professeurs, qui eut une grande influence sur la formation spirituelle de l'imam Zerrouq fut incontestablement le maître soufi chaykh Medjaci. (*).
(*) - Abdellah ben Abdelouahab Ben Ibrahim El Medjaci est né à Tlemcen au début du XV ème siècle ; c'était un dévot, un ascète et un extatique qui se livrait, à chaque instant de sa vie, aux actes de piété ; il pleurait si fréquemment qu'on le surnomma el Bekkay ; on dit même qu'il ne levait jamais les yeux au ciel tant il craignait Dieu. Ses sentences devinrent célèbres et son enseignement portait essentiellement sur les sciences religieuses. Favorisé par la grâce de Dieu, il fit le pèlerinage à pied 24 fois - n'ayant pour monture qu'un âne qu'il enfourchait quand il était extrêmement fatigué. Il eut pour compagnon, au cours de l'un de ses pèlerinages, le poète et savant soufi Sidi Brahim Tazi, disciple puis successeur de Sidi el Houari à Oran. Les mérites du saint Sidi el Medjaci étaient innombrables ; strictement attachés aux pratiques du culte, ses disciples furent à leur tour des savants remarquables, entre autres, - en plus de Ahmed Zerrouq - Ibn Merzouk El Khatib, Mohammed ben Abderrahman el Qoraïchi Maqqari (oncle paternel d'Ahmed el Maqqari, auteur de Nafh et-Tib). Le tombeau du soufi sidi el Madjaci se situe à Aïn Wazouta, en dehors de Bab el Djiad.
Ahmed Zerrouq a laissé de nombreux ouvrages notamment un excellent commentaire de Latâ'if al Minan de Tadj Eddin Ben Abdelkrim Ben ‘Atâ Allah Eskandrani, ainsi qu'un recueil intitulé Al Djounna :(Le bouclier qui préserve des innovations dans la Tradition). Après de fréquents séjours en Egypte il créera à Fes une branche de la chadhilya - l'ordre de la Zerrouqya qui déploie ses activités jusqu'à nos jours. Sur le chemin de l'Orient, il meurt à Mezrata, en Libye dans le Tripolitaine, âgé de 53 ans. «Chaykh Zerrouq s'était approché de la grandeur. Il était considéré par ses contemporains comme le Ghazali de son époque». Le savant libyen Ahmed al Hushaymi aurait récemment écrit une étude sur lui.
A suivre


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