Il faut rassurer les banquiers suisses : l'argent des Arabes, qui n'a pas d'odeur même s'il peut être sale, continuera à venir. Les blanchisseries suisses restent quand même bien cotées chez les fortunés arabes, avec ou sans minaret. Seule la Libye, qui a déjà retiré ses fonds des banques suisses à la suite de l'arrestation d'un des fils du Guide, sera confortée dans son attitude peu amène à l'égard des Suisses. «Faut-il interdire les minarets ?» était bien entendu une fausse question. Les électeurs à la «votation» suisse l'ont bien compris et ils ont répondu à la vraie question : «Oui, bannissons ceux qui sont trop différents de nous, boutons-les dehors». Le minaret n'est qu'un prétexte à l'expression libre d'un sentiment xénophobe et islamophobe devenu totalement banalisé dans toute l'Europe. On est quelque peu déconcerté de voir un quasi-unanimisme des dirigeants européens à considérer que le vote des Suisses n'est pas «politiquement correct», alors que, d'une manière ou d'une autre, ils sont depuis des années les puissants vecteurs d'une islamophobie sans limites. Les Suisses ont été peut-être trop grossiers, car les mouvements populistes et racistes qui sont derrière le référendum savent l'être. D'autres se sentent sans doute plus malins en organisant un débat sur «l'identité nationale», qui n'est au fond que la version française de la votation suisse. Les musulmans - terme qui, en Europe, s'applique aussi aux incroyants et aux agnostiques à la peau pas trop claire - sont devenus «trop visibles». Cette visibilité ne découle pas de statuts sociaux que leur envieraient les Européens de souche. C'est une visibilité orchestrée politiquement par un très large spectre des courants politiques en Europe. Quelques femmes qui mettent le voile intégral, et voilà un débat national hystérique qui s'instaure et que l'on quémande immédiatement des lois pour faire rentrer dans les rangs tous les musulmans du coin. Manifester sa joie à Marseille après la qualification de l'équipe algérienne suscite la même réaction indignée de la part d'Alain Finkielkraut, un des membres les plus agités du bureau politique de la pensée parisienne - auteur d'un célèbre cri de coeur haineux contre l'équipe de France «black-black-black» -, et du vieux raciste Le Pen. Il ne faut surtout pas croire que les Suisses sont une anomalie dans une Europe tolérante. L'islamophobie est un fonds de commerce que l'on se dispute, ce qui fait craindre que les surenchères soient à venir. Le système, indéniablement démocratique de la «votation suisse», permet aux courants les plus crasseux de faire jouer la fibre de la haine et de la peur. Les musulmans suisses peuvent se passer des minarets mais ils savent au fond qu'on vient de voter contre leur présence même en Suisse. Et que l'on vient de leur dénier la qualité de suisses, même s'ils ont, sur le papier, la nationalité. Il faut donc s'attendre à ce que les racistes de Suisse fassent des émules dans d'autres pays européens. Mais on peut rassurer les banques suisses, si tant est qu'elles en aient besoin : les richissimes arabes aiment trop bien leur pays et ses banques et la votation xénophobe sera sans conséquence. Par contre, on ne peut promettre aux Suisses que dans le monde islamique, des individus n'auront pas la «violente réaction» de se passer de leur chocolat et de tas de petites choses helvètes.