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Les réalités de la formation doctorale
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 06 - 01 - 2010

Depuis les idées d'Ibn el Haythem, el Birouni ou autres savants musulmans qui établirent les fondements de l'esprit scientifique moderne, trois cents ans avant Bacon auquel on reconnaît la paternité du raisonnement par induction, la révolution scientifique est vue par Thomas Khun (au 20ème siècle) comme une succession de paradigmes qui ne sont valables que le temps de leur validité, pouvant être éprouvés par des expériences ou des contre-vérités.
La découverte sensationnelle du long chemin qui mène vers la production des connaissances vient d'être institutionnalisée et porte un nom, celui d'école doctorale, ultime étape de la formation. Pouvons-nous aujourd'hui automatiser le cadre de cette production de connaissances ? La recherche de nos jours a moins pour objectif de remettre en questions des résultats scientifiques consensuels que de résoudre un problème dans un esprit pragmatique.
Comment réaliser l'implémentation des changements pour une bonne gouvernance et la construction du projet pédagogique de la formation par la recherche ? Quel est le rôle de l'encadrant dans la prise en charge réelle du doctorant et selon quelle méthodologie d'analyse des besoins s'exprimera le futur cadre pour se positionner lui-même dans son nouvel environnement ?. Par ailleurs, comment doit avoir lieu la valorisation du travail de recherche (aide à la publication) ainsi que l'autoévaluation des pratiques qui lui permettront de s'affirmer au sein de sa communauté ?
J'essaierai de donner en huit points, les grands axes comme éléments de réponses.
1. Il est indéniable que les approches pédagogiques innovantes axées dorénavant sur la compétence forment l'ossature des tendances restructurantes, ainsi se veut la réforme rigoureuse des aspects pédagogiques, basée pour et autour de l'apprenant.
Les modèles destinés d'ailleurs à prendre en charge cette problématique portent bien leur nom; le chercheur est alors vu juste comme un solutionneur de puzzle ayant succédé à ses ancêtres, plus avanturiers et audacieux à la découverte de la vérité.
Les modèles de mise en place de relations Encadrants /doctorants (sous forme d'une charte ou contrat) ainsi que les phases de leur mise en pratique doivent aller au-delà de celle de la thèse en encourageant l'impétrant à rechercher ses propres points de motivation où il sera amené à diversifier et élargir son champ d'action. Dans cet objectif, et dans le souci d'être conformes aux normes des échanges interdisciplinaires, les formations transversales dans toutes les écoles doctorales (ou jusque là toutes les post-graduations) sont d'une absolue indispensabilité afin non seulement d'améliorer les chances d'insertion et d'«employabilité» du chercheur, mais aussi par l'impossibilité pratique de travailler dans son coin sans se soucier de ce qui se passe ailleurs. Plutôt sera discutée l'insertion professionnelle du doctorant, de ses débouchés académiques ou extra-académiques, mieux sera-t-il préparé à entamer ses activités auxquelles il pouvait prétendre et sur lesquelles j'espère, il aura été informé.
2. Si nous insistons sur la recherche inter-domaines c'est parce que la théorie de l'analogie a donnée lieu à une multitude d'applications qui ont su tirer parti des approches utilisées dans plusieurs disciplines. C'est alors que sont nées les spécialités bio-x ou socio-y, la percée de Schrödinger (1867), célèbre physicien s'est révélée dans son ouvrage qu'est ce que la vie ? «What is life ?».
Mais s'il existe une discipline qui se retrouve partout, c'est bien l'informatique au point où sont considérés comme faisant partie d'une époque révolue ceux qui n'en pratiquent pas. Son introduction à tous les paliers de l'éducation relève de la modernisation des outils pédagogiques, un impératif de développement qui doit nous pousser à être moins dépendants de cet «eurocentrisme» scientifique. C'est également par ce biais de diversification des horizons de recherche que sont favorisées les publications et les communications internationales. Au niveau supérieur, il y a longtemps que le duo Modélisation-Simulation s'est substitué à Théorie-Expérimentation faisant de l'ordinateur le moyen de visualiser à moindre coût les essais pratiques et de projeter par interactivité, les résultats des commandes de l'utilisateur ou du programmeur.
3. L'amélioration de la qualité de formation et la restructuration dans le cadre de la réforme LMD, des organismes en charge de l'enseignement doctoral passe par un mécanisme de réadaptation graduel, le but étant d'évoluer du concept d'école doctorale thématique vue comme un agrégat de post-graduations (Magisters) vers celui plus large d'institut ou de centre de formation doctorale, concept qui donne plus d'autonomie dans la gestion et la prise de décision et débarrasse le responsable scientifique des lourdeurs et obstacles administratifs. Cette transition doit se faire pourtant de manière volontariste et progressive car l'installation de ce type de formation a puisé pendant des années, dans les candidats issus du système classique.
Mais aussi et surtout par ED, j'entends une mise en commun de toutes les compétences et les ressources matérielles à l'échelle régionale (du moins) à fédérer pour optimiser le rendement de l'enseignement. Quel est d'abord le concept d'école doctorale, est-il uniformisé, quel est le domaine d'action de l'ED, le rôle de son directeur, quelles sont les modalités de recrutement des doctorants, quelles doivent être la composante, les missions des comités scientifiques des EDs, comment doit se faire le suivi du doctorant jusqu'à sa soutenance, et au-delà par la mise en place d'un retour d'impact ; quelles sont les relations laboratoire-ED dans la formation par la recherche ? Ceci nous amène à une réorganisation de toutes les structures existantes (Administration, ED, laboratoire,..) pour les adapter aux nouveaux objectifs dont le premier est de relancer cet espoir d'originalité dans l'apprentissage par la recherche.
4. C'est cette dernière question qui pose les jalons d'une réflexion essentielle, car tout sujet de thèse doit être d'une utilité scientifique reconnue et jugée par le porteur de projet qu'est l'enseignant encadrant. Ce dernier doit son inspiration aux problématiques posées au sein du laboratoire, qui doit être la source naturelle et presqu'exclusive des sujets de recherche. En l'absence de telles structures, les essais de «bricolage» scientifique s'ils ne sont pas à vau-l'eau, les résultats de leurs travaux sont vite mis au placard, car sans incidence ni continuité dans la relève que prendrait facilement un laboratoire. Le terme «Habilitation à diriger des recherches» est donc lourd de responsabilité et engage l'enseignant à ne pas disperser ses efforts afin d'assurer la qualité et le suivi de cet encadrement. L'éthique dans la recherche doit aussi imposer son orientation à corriger tous les effets néfastes (rectifier le tir) de la technologie: pollution de l'environnement, prolifération des cancers, réchauffement de la planète, déchets toxiques et nucléaires, déforestation... la liste est longue. On doit à Ibn Ruschd (Averroès) philosophe de l'Andalousie, la phrase qui rappelle que: «la connaissance et la sagesse sont des compagnes, des soeurs de lait». En effet, souvent, la science a d'abord servi les intérêts des puissances avant de se vulgariser et «descendre» vers les laboratoires, Internet aujourd'hui n'aurait pas vu le jour sans le réseau Arpanet des années 70, pur produit de l'armée américaine.
Télescopes, satellites et autres instruments dénotent du militarisme scientifique.
5. Le fait que la science soit une construction humaine -ce qui la rend assujettie à des erreurs ou des partialités- doit éveiller chez le jeune chercheur ses qualités de pouvoir continuellement se remettre en cause. Ceux sont ces atouts sur lesquels devra s'appuyer l'encadrant pour détecter précocement cette aptitude d'innovation, et sur lesquelles devra surtout porter les jugements objectifs. Faire prendre au jeune chercheur conscience de tous ces enjeux, c'est inciter en lui ses capacités d'imagination, forgées évidemment sur une ouverture d'esprit, l'intelligence quant à elle, évoque la rapidité d'assimilation et d'autonomie dans la méthode. Preuve en est que ce qui est au centre des discussions au niveau des conseils, est la qualité des revues acceptées pour les soutenances dont le nombre semble être le paramètre qui prime. Nous devons désormais faire face à la montée des fraudes et plagiats qui ont envahi la haute sphère des productions scientifiques.
6. Le rapprochement Université/Entreprise par l'adéquation formation/emploi dans le cadre socio économique algérien n'est plus un voeu pieux. Les volontés de rapprochement existent. En s'appuyant sur les ressources existantes, il est possible d'impulser une dynamique qui fait partager les mêmes objectifs de recherche développement (R&D). De manière générale, les aspects sociaux en particulier et ceux de l'environnement, sont à intégrer dans toute démarche qui propose des nouvelles solutions afin de résoudre efficacement les problèmes réels que posent nos entreprises à travers un dialogue franc et ouvert invitant toutes les compétences à se rassembler et concrétiser cette coopération. L'idée des «doctoriales» comme premier point de contact peut être suivie par des projets de création d'entreprise (Start Académy), puis la part de la recherche fondamentale/appliquée dans la formation doctorale doit être approfondie pour une meilleure assise des offres qui ouvriront de nouveaux horizons aux chercheurs à même de répondre aux besoins des secteurs diverses du développement du pays.
Le doctorant doit-il toujours être cet éternel chercheur enfermé dans sa sphère d'études théoriques, ou par contre la quitter de temps à autre tout au moins, et descendre sur le terrain voir comment pourrait-il apporter sa contribution ? Aussi une interface Université / société civile et associations (B.Latour a écrit en 79 «la production sociale des faits scientifiques») est plus que souhaitable dans l'objectif d'impliquer tous les acteurs, y compris les futurs employeurs, à la préparation de ceux qu'on considère les élites de la nation. Tout le monde doit s'inquiéter de l'avenir commun, dans un environnement de plus en plus hostile, où les ressources (y compris financières) s'amenuisent et la concurrence impitoyable ne laisse plus de chance aux petits d'émerger.
Les responsables pédagogiques et administratifs ayant le pouvoir de dissémination et de diffusion sont appelés à promouvoir ce dialogue et cet échange de point de vue afin de trouver le salut et faire sortir l'Université de son isolement pour qu'elle devienne incontournable dans tout projet R&D.
7. Dans un environnement de globalisation, et dans une démarche d'intégration sociétale, tous les dispositifs de soutien et de formation complémentaire doivent être minutieusement préparés à la promotion de l'école doctorale. Le chercheur doit alors s'inscrire dans une dynamique où il s'invite à élaborer son parcours pédagogique et scientifique et participer au projet de thèse balisé lui, par des stratégies d'évaluations et de choix d'indicateurs de performances à définir pour normaliser cette formation. La production scientifique est empreinte de l'identité culturelle des hommes de demain, parce qu'on ne peut concevoir de former des chercheurs sans avoir une idée de leur profil. Elle nécessite de longues années de formation -et c'est le rôle du système de l'éducation- durant lesquelles on construit sa maturité par l'acquisition des éléments de base, suivant un processus fondamental. Peut-on former des chercheurs avec nos jeunes plus habitués à copier-coller et enclins à une émancipation d'une autre nature, dans un climat de désintéressement et sans motivation aucune ? Heureusement que le net arrive maintenant à combler certaines lacunes linguistiques et culturelles de nos étudiants avant de les envoyer vers l'aventure universitaire. La création des espaces collaboratifs à travers Internet, l'utilisation efficace des moteurs de recherche et la maitrise de la fouille de données, font partie des outils modernes qui créent des sociétés virtuelles autour de thématiques de plus en plus pointues et qui accélèrent la recherche en allant directement à la pertinence du sujet. L'autre avantage est le gain en productivité par la consultation des dernières avancées scientifiques en la matière. Déjà en 1970, FJacob terminait «la logique du vivant» par : «le monde est message, code et information».
8. Le dernier aspect, et non des moindres est de définir les actions, les cibles, et les moyens de la communication à mettre en oeuvre pour entourer la formation et préserver l'attractivité souhaitée. Nous assistons impuissants au déclin des sciences exactes et sciences dures au profit des études qui «rapportent», car aucune investigation sérieuse à long terme n'est menée pour mesurer les retombées sociales. C'est un peu notre faute à nous Universitaires, nous ne sommes pas allés voir les décideurs en leur présentant ce qu'on est capable de faire. Cet aspect souvent ignoré dans les cahiers de charges, est inclus dans un «Marketing» scientifique ; il est capital pour la réussite de l'approche systémique envisagée. Citer tous les points de cette communication (Internet, Presse, Moyens audio-visuels, SMS,...) est un exercice auquel je ne m'y attarderai pas.
La création de cellules de retour d'expériences au sein de l'université, sont intéressantes et porteuses pour évaluer l'impact des nouveaux modèles établis, et mesurer ainsi les points clés de la réussite des actions entreprises. Les organismes de veille technologiques sont déjà en oeuvre (ailleurs) dans d'autres domaines que celui de la formation, pour l'analyse et la capitalisation du savoir faire à mettre au service du savoir.
En conclusion, se pose la question de savoir si nous sommes prêts à relever ces défis et exploiter toutes les potentialités de notre jeunesse, car comme le stipule la théorie des systèmes complexes - selon J. Luis Lemoigne, philosophe des sciences-, le problème doit être pris dans l'urgence et dans toutes ses dimensions, abordé par toutes ses facettes. Cela n'a rien d'utopique ; par contre en négliger une est une entreprise vouée à l'échec. Enfin, Parlant de voie à suivre, il s'agit de faire de notre Université une véritable locomotive du train vers le progrès.
* Professeur en Informatique Université d'Oran Es Sénia


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