C'est l'histoire d'un fleuron de l'industrie nationale -la SNVI- pour lequel les gouvernants du pays ont programmé une véritable descente aux enfers. La genèse du plan de sauvetage de la SNVI remonte à bien des années. Elle débute en 1996, année où les conséquences désastreuses du plan d'ajustement structurel imposé par le Fonds monétaire international (FMI) s'abattaient sur les entreprises nationales. En décembre de la même année, un conseil interministériel s'était tenu pour enclencher des mesures de rattrapage au niveau de la SNVI dont la déstructuration a été bien lourde. En 1996, le conseil interministériel avait programmé le rachat du découvert bancaire enregistré auprès de la Banque nationale d'Algérie (BNA) pour un montant total de 2 milliards de dinars, la prise en charge par le Trésor public, sur une durée de 21 mois, des agios liés au découvert bancaire de 3 milliards de dinars, la prise en charge intégrale par le Trésor, du coût du volet social, à hauteur de 725 millions DA et enfin, la conversion éventuelle en titres participatifs d'une partie des obligations émises par SNVI au profit du trésor public. Le ministère des finances réagit le 24 février 1997 et instruit sa direction générale du Trésor pour prendre en charge ce plan d'assainissement financier de la société. Dans la décision établie à cet effet, il est précisé dans le 4è alinéa de l'article 1 que «le rééchelonnement des dettes extérieures par la Banque algérienne de développement (BAD), pour un montant de 1 milliards DA, (se fera) selon des conditions à convenir entre cette dernière et l'entreprise SNVI.» Il est aussi noté que «le rétablissement de l'équilibre financier de SNVI sera effectué au moyen des mesures énumérées à l'article 1 et, le cas échéant, par la conversion en titres participatifs d'une partie des obligations émises par elle au profit du Trésor.» Cette opération devait se faire en vertu de la décision no 58 du 20 mai 1995, sur la base du bilan de l'exercice 1996 approuvé par l'assemblée générale de SNVI. Le ministère des finances avait promis dans l'article 3, que ces mesures devaient prendre effet à compter du 1er octobre 1996. Le gouvernement de l'époque a cependant, ignorer ces mesures de sauvetage d'une société en péril et décide, par ailleurs, de fermer 8 des ses unités, «en dépit des mises en garde exprimées par les cadres syndicaux de la fédération des travailleurs de la Mécanique, Electrique et Electronique, mais également en contradiction avec les décisions arrêtées lors de la réunion tenue en date du 7 juillet 1998, à l'issue de laquelle il fut convenu de surseoir à l'application des mesures prononcées par le CNPE (gel de toute fermeture), privilégiant le redressement et la relance de l'entreprise.» Ce paragraphe est relevé dans une correspondance que le secrétaire général de l'UGTA avait adressée au chef du gouvernement le 1er août 1998. La descente aux enfers de la SNVI Abdelmadjid Sidi Saïd écrit «devant ce revirement intolérable et qui n'a d'égal que l'immense désarroi causé aux travailleurs de la SNVI et à leurs familles, la centrale syndicale interpelle votre autorité pour faire annuler cette décision contraire à l'esprit et à la lettre des accords conclus entre les pouvoirs publics et l'UGTA ainsi que les propositions et alternatives présentées par les représentants élus des travailleurs.» Ce rappel «à la raison» sera royalement ignoré par le chef du gouvernement. Le 6 février 2002, le SG de l'UGTA rappelle au chef du gouvernement que «la situation économique et sociale de la SNVI est préoccupante, et écrit-il, ses approvisionnements au titre de l'exercice 2002 ne sont pas encore engagés, en raison de l'importance de son découvert bancaire et de son endettement qui la met dans des conditions d'inéligibilité au concours bancaire.» A cette période, la SNVI avait subi encore une fois d'autres compressions de ses effectifs et d'autres fermetures de ses unités après celles qu'elle a supportées en 1997. Sidi Saïd en parle dans sa correspondance de 2002. «Permettez-moi, Monsieur le chef du gouvernement, de vous faire part des sacrifices consentis par les travailleurs de la SNVI, suite à l'application des mesures opérées par les pouvoir publics dans le cadre des réformes économiques, notamment l'importante réduction des effectifs,» lui rappelle-il à propos de ce qui a été entrepris dans le cadre des deux plans de redressement interne consécutifs et des deux accords sociaux conclus entre les direction générale et le syndicat d'entreprise, pour la compression des effectifs et la fermeture de plusieurs unités commerciales. Son rappel important en cette année 2002, est que «la SNVI a subi la réduction de près de 8500 travailleurs et la fermeture de douze (12) unités commerciales.» Sidi Saïd signale que «ce sacrifice n'a pas été accompagné par les accords conclus avec les pouvoirs publics (assainissement, investissement).» La viabilité de la SNVI par les preuves Le SG de l'UGTA défend la société, arguments en main. «Aujourd'hui, l'important carnet de commande que cette entreprise détient au titre de l'exercice 2002, près d'une année de chiffre d'affaires dont 2 milliards de DA à l'exportation, et les résultats remarquables qu'elle a obtenu en 2001, témoignent de sa viabilité.» A condition, ajoute-t-il «qu'elle obtienne un minimum de facilité dans la réalisation de ses plans opérationnels, qui demeure le seul garant véritable de son attractivité au partenariat notamment.» La SNVI avait réalisé 12,6 milliards de DA de chiffres d'affaires en 2001, soit une croissance de 38% par rapport aux 9,071 milliards de DA réalisés en 2000, grâce, disent les syndicalistes «notamment au dispositif d'accompagnement de la BNA.» Jusqu'en 2002, les mesures prises par le CNPE le 1er juin 1998 n'avaient pas encore été mises en _œuvre. Il devait s'agir de la transformation des obligations de 12 500 millions de DA pour résorption de l'actif net négatif de l'ordre de 8 950 millions de DA et la recapitalisation de l'ordre de 3 550 millions de DA par le Trésor, du rachat par le Trésor de l'endettement bancaire à concurrence de 13.750 millions de D, de la consolidation de l'endettement restant de 2 500 millions de DA en crédit à moyen terme remboursable sur 8 ans dont 3 ans de différé par la BNA, de la mise en place d'un crédit relais de 4 800 millions de DA pour faire face aux crédits extérieurs par la BNA et enfin de la mise en place d'un crédit revolving pour le financement des approvisionnements à hauteur de 3 milliards de DA par la BNA.» Le SG de la centrale syndicale avait espéré en 2002, que le chef du gouvernement fasse bénéficier la SNVI de «quelques mesures d'urgences indispensables à savoir le gel de son découvert, le traitement de sa dette et le concours définitif pour l'engagement de ses investissements de survie.» Toujours au titre des rappels, il lui fait savoir que «l'entreprise a développé un plan de sauvetage sur la période 2001-2003 qui montre sa viabilité dans des conditions normales d'exploitation.» Sidi Saïd a estimé à l'époque que «l'urgence de ces mesures affectera aussi la stabilité et la paix sociale de la zone industrielle de Rouiba, laquelle ne l'oublions pas, rayonne sur toutes les wilayas environnantes.» Il avait aussi attiré son attention sur le tarif douanier consacré par la loi de finances 2002 qui, avait-il écrit, «menace la SNVI à l'instar de toutes les entreprises économiques productives nationales publiques et privées, tout simplement de disparition, si des mesures correctives immédiates ne sont pas apportées dans le sens de l'encouragement du secteur productif national créateur d'emplois et de richesses d'abord et de l'investissement direct étranger ensuite.» La sourde oreille du chef du gouvernement A cette époque, le SG de l'UGTA avait joint à sa lettre des documents élaborés par la SNVI qui montrent ses possibilités de redressement. «Je ne saurai suffisamment insister sur le degré d'urgence des mesures de soutien nécessaire à la relance de l'activité de la SNVI pour apaiser l'inquiétude grandissante des travailleurs devant les incertitudes qui pèsent sur leur devenir.» Le chef du gouvernement ne donnera pas de suite à toutes ces lettres de Sidi Saïd. Ce dernier décide alors de lui en écrire d'autres. «(_) Je m'autorise à vous faire remarquer que la décision récente, prise par la BNA, de suspendre tout crédit d'engagement extérieur au bénéficie de la SNVI, au titre de l'exercice 2003 et ce jusqu'à production d'un audit externe de ses comptes, cette décision n'aura pour effet que d'aggraver la situation économique, financière et sociale déjà préoccupante de la SNVI,» a écrit le SG de l'UGTA le 3 novembre 2002. «J'attire fraternellement votre attention sur le fait que cette mesure entraînera le non respect d'un contrat liant la SNVI notamment au ministère de la défense nationale pour plus de 1000 véhicules ainsi que ses engagements à l'exportation, pour prés de 2 milliards de DA, situation qui poussera irrémédiablement cette entreprise publique vers le chaos économique et social,» prévient-il. Il tient à faire remarquer que «mon appréciation première de cette situation nouvelle me fait dire qu'il s'agit là d'une décision de blocage de la marche de la SNVI dans l'exécution de son plan de redressement.» Un plan, qui dit-il «pour mémoire, a été adopté par le CNPE, le 1er juin 1998 mais qui n'a jamais été appliqué à ce jour, sauf dans ses volets sociaux ayant entraîné une réduction des effectifs de l'ordre de 8500 travailleurs avec fermeture de douze unités commerciales.» Il récidive le 25 novembre 2002, le même mois et la même année, pour faire savoir au chef du gouvernement que la BNA a décidé de suspendre tout crédit d'engagement extérieur (les approvisionnements pour l'année 2003) jusqu'à la production d'un audit externe des comptes de l'entreprise.» Sidi Saïd rappellera le contenu de sa lettre du 3 novembre et de toutes les autres qui l'ont précédées. Le blocage Le gouvernement daignera enfin à répondre à ces appels de détresse du SG de l'UGTA en instruisant le ministère des participations et de la promotion des investissements (MPPI), en avril 2003, pour initier un plan de relance de la SNVI. Le ministère en approuvera un à moyen terme 2003-2005. Des mesures à effet immédiat devaient être prise dans ce cadre dont l'une visant à court terme la relation banque entreprise par le gel du découvert non productif d'intérêt, l'allocation d'une subvention pour indemniser les départs, estimée sur la période 2003-2005 à 450 millions de DA, l'octroi des crédits d'investissements incompressibles destinés à la réalisation des programmes 2004-2005 estimés à 840 millions de DA et enfin la demande par la SNVI d'un appui du Conseil des participations de l'Etat pour disposer de crédits spéciaux afin de réaliser l'investissement de survie, avec concours définitif ou partiel de l'Etat. Aucune de ces mesures ne connaîtra d'application. Dans une lettre datée du 6 février 2006 qu'il avait adressée au chef du gouvernement, Sidi Saïd notera qu'«à l'exception de la subvention de 725 millions de DA pour indemniser les départs des travailleurs et la mise en _œuvre effective du gel du découvert de la SNVI par la BNA à compter de septembre 2003, aucune des mesures prises n'a été mise en _œuvre.» Les mesures dont devait bénéficier la SNVI conformément aux dispositions de la loi de finances 2005 ne l'ont pas été non plus. L'article 89 de cette loi dictait la prise en charge par le Trésor public des besoins de subvention d'exploitation des établissements et entreprises publics et donc le rachat de l'endettement bancaire assuré sur des ressources budgétaires. La SNVI n'en a pas fait l'objet, bien que, écrit la centrale syndicale «le bureau d'étude Ecofie, rattaché au MPPI, avait requis des informations et que la BNA a été destinataire d'un dossier enregistré dans ce même cadre d'assainissement.» Il est souligné dans cette même lettre que la SNVI dispose d'une grande part du marché (gros contrats avec différents départements ministériels, un portefeuille de commandes pour 2006 et 2007 «plus que satisfaisant.» Son accompagnement par l'Etat est jugé pour cela «plus que nécessaire.» Pour 2006, la SNVI avait prévu un chiffre d'affaires de clôture de 19 milliards de DA. Mais, est-il noté, «à fin octobre, cette prévision a été réalisée à 52% soit 10 milliards de DA en sus d'un important encours de véhicules représentants plus de 5 milliards de DA livrables sur octobre, novembre et décembre 2006.» Les recettes qui étaient attendues durant le 4è semestre de la même année étaient estimées à 7 169 millions de DA et les dépenses prévues à 6 356 millions de DA. Les flux de trésorerie durant ce même trimestre auraient du générer un excédent de 813 millions de DA. Mais «la BNA qui a été encore destinataire d'un plan de trésorerie couvrant la période du 4è semestre 2006, n'a pas répondu et a suspendu tout financement à la SNVI,» a écrit le SG de l'UGTA. Sidi Saïd multiplie les appels de détresse Le 22 octobre 2006, c'est le directeur général de la SNVI qui a écrit cette fois ci, à la BNA «pour lui faire part des difficultés que rencontre la SNVI dans le financement de son exploitation.» Tout en reconnaissant que la situation des comptes ouverts auprès de son agence à la date du 30 septembre 2006, un solde négatif d'un montant de 1 361 MDA.» Ce déséquilibre, a noté Chahboub, «a amené vos services à cesser d'accompagner la SNVI en refusant d'autoriser les opérations de commerce extérieur malgré la disponibilité des lignes de crédits tels que notifiées dans le cadre de note relation 2006. A ce titre, un montant de prés de 800 millions de DA est en attente de domiciliation auprès des guichets de la BNA.» Le DG avertit que «la SNVI ne peut honorer ainsi ses engagements vis-à-vis des fournisseurs qui pour certains ont arrêté les livraisons. Le versement des salaires du mois d'octobre n'a pas été non plus accordé.» Il a été demandé à la BNA de couvrir à la SNVI des besoins en crédit additionnels pour un découvert d'exploitation d'un montant de 1 212 MDA pour le mois d'octobre et de 1 289 MDA pour le mois de novembre 2006 et des cautions marchés de 803 MDA.» Il s'agit, a assuré le DG «de caution de bonne exécution et de restitution d'avance sur les marchés conclus avec le MDN.» Ces déséquilibres dans la trésorerie de la SNVI sont en premier la conséquence du retard enregistré dans la mise en _œuvre du plan d'approvisionnement 2006. Ils sont aussi dus aux importants décaissements (2,5 MDA) entraînés par les réceptions massives d'expédition à partir d'août 2006 «non compensés par un chiffre d'affaire conséquent.» Les contrats négociés avec certains ministères ont été aussi notifiés tardivement. «Ce qui retardé la mise en vigueur des engagements approvisionnements pour les besoins spécifiques des clients de la SNVI,» est-il écrit. Pour rassurer la BNA, il lui a été noté en 2006 que «l'entreprise dispose d'un encours produits finis de prés de 5 MDA transformables en chiffre d'affaire sur le dernier trimestre 2006 (961véhicules et équipement) et essentiellement destiné au MDN ainsi qu'au ministère de l'Intérieur.» En décembre 2006, le SG de l'UGTA rappelle que «le nombre de travailleurs de la SNVI a chuté de 13 523 à fin 1997 à 7000 en 2006, soit une réduction de 6500 emplois, sans compter la mise en _œuvre d'un premier volet social intervenu dans la période 1996-1997 et touchant 400 travailleurs.» Sidi Saïd estime que «cette situation de blocage des engagements fournisseurs ne peut contribuer à l'amélioration de la situation de trésorerie, bien au contraire.» Il avertit le chef du gouvernement que «les effets seront plus graves si ce blocage persistait entraînant un quasi arrêt des lignes de production et une détérioration sensible du climat social qui se caractérise jusqu'à présent par une relative sérénité.» La centrale syndicale lance un autre appel de détresse. «Ce fleuron de l'industrie nationale qui s'est relevé à plusieurs reprises peut encore être sauvé. Les décisions arrêtées de 1996 à 2006 doivent être mises en œuvre pour la sauvegarde de cette entreprise.»