La Chine n'a pas de Sonatrach. Elle n'avait pas d'argent. Mais elle avait un cap et une discipline. La Chine est partout, en ce début d'année 2010. Alors que les grandes puissances économiques subissaient les effets très lourds d'une crise économique dévastatrice, l'Empire du Milieu traversait presque avec faste l'année 2009. Certes, certains résultats économiques sont moins bons qu'en 2008, mais sa formidable énergie est apparue comme un atout capital non seulement pour préserver un taux de croissance incroyable, mais aussi pour sauver le monde. C'est en effet grâce à la Chine et, dans une moindre mesure, aux autres pays émergents, que l'économie mondiale ne s'est pas effondrée l'an passé. Avec sa croissance de 8.7 pour cent, supérieure à ce qui était attendu, ses réserves de change, sa capacité à mobiliser un financement quasi illimité pour soutenir la croissance, la Chine s'est montrée en mesure d'influer de manière décisive sur l'économie mondiale. Elle seule pouvait maintenir à flot une économie américaine qui menaçait d'être emportée par ses gigantesques déficits. Dans cette marche triomphale, la Chine a clos l'année en apothéose, avec des bilans euphoriques. Son produit intérieur brut a dépassé celui du Japon, ce qui en fait la deuxième puissance économique du monde. Elle est également devenue le premier exportateur au monde, avec 1.200 milliards de dollars, devant l'Allemagne, dégageant un excédent qui frôle les 200 milliards de dollars. Quant à ses réserves de change, on ne peut plus les chiffrer avec précision. Elles ont dépassé 2.400 milliards de dollars, et devraient atteindre 3.000 milliards d'ici 2012, soit l'équivalent du PIB de la France ! Autre symbole de la marche en avant de la Chine: elle est devenue, en une année, le premier producteur, le premier exportateur et le premier marché mondial de l'automobile. 13,64 millions de véhicules y ont été vendus, soit cinquante fois plus que l'Algérie ! Et si le chiffe est impressionnant, son évolution l'est encore davantage: le nombre de véhicules vendus a connu une augmentation de 46 pour cent par rapport à 2008. Dans cette euphorie, les spécialistes estiment qu'une croissance à deux chiffres sera de retour dès 2010. Au quatrième trimestre 2009, elle avait déjà dépassé dix pour cent, pour s'établir à 10.7 pour cent. Cette formidable marche en avant n'efface pas les retards de la Chine. Ses produits demeurent encore assez simples, avec une faible valeur ajoutée. La technologie qui les porte reste assez rudimentaire, et quand il s'agit de produits de pointe, seul l'assemblage se fait en Chine. En outre, malgré cette formidable percée, le revenu moyen demeure faible. Seul un cinquième des habitants, environ trois cents millions de personnes, ont un revenu permettant de vivre aisément. Le milliard restant a un revenu moyen ou faible, voire très faible. Autre handicap, la Chine n'a pas encore intégré la totalité de sa population dans cette dynamique de progrès. Le monde rural est encore à la traîne, avec près d'un demi-milliard de personnes qui ne sont pas encore intégrées au miracle chinois. Ce sera le défi des deux prochaines décennies: comment entraîner ces populations dans la spirale du progrès, avec tous les bouleversements que cela suppose, tout en évitant les risques d'instabilité politique et sociale ? Pourquoi la Chine a-t-elle réussi son développement à un train d'enfer, alors qu'un pays comme l'Algérie, disposant d'un marché, de ressources financières, de la proximité de l'Europe et une énergie bon marché, patine depuis deux décennies, avec des taux de croissance insignifiants ? Les raisons sont multiples. On en retiendra trois. D'abord, la Chine a mis en place un projet politique clair, auquel elle s'accroche depuis Deng Xiaoping. Cela fait trois décennies que ce pays continent s'est ouvert à un libéralisme dur, tout en maintenant un système politique verrouillé. Les règles y sont claires, imposées par le pouvoir lui-même, qui s'y soumet. Toute déviation est durement réprimée. Ensuite, le succès chinois a été bâti sur une discipline de fer. La société chinoise a une forte tradition hiérarchique, que le pouvoir a encore renforcée. Les principaux acteurs économiques tirent tous dans la même direction, dictée par le parti. Les acteurs politiques se soumettent eux aussi à ces règles, à l'exception de dissidents dont le poids reste marginal. Enfin, l'aventure chinoise a été bâtie sur un formidable effort collectif, qui s'appuie lui-même sur le travail. C'est une banalité, mais cela mérite d'être rappelé, dans un pays où la rente et la rapine ont détruit le travail. Cela donne à la démarche chinoise une certaine cohérence. Les Chinois sont invités à oublier leurs droits politiques et sociaux, contre une garantie d'amélioration de leur quotidien. Le marché est peut-être contestable, mais les autorités chinoises ont le mérite d'avoir tenu leurs engagements: une partie de la population chinoise est sortie de la pauvreté, et le mouvement se poursuit. La Chine n'a pas de Sonatrach, mais elle a un horizon. Les entreprises chinoises versent des pots-de-vin pour décrocher des marchés, alors qu'en Algérie, les commissions contribuent à la destruction de l'économie.