Depuis trente-cinq ans, les relations entre l'Algérie et le Maroc sont au bord du conflit armé en raison du Sahara Occidental que l'Espagne, ancienne puissante occupante, avait abandonné en 1975 dans la précipitation. En novembre de la même année, la monarchie organise une marche à laquelle ont participé des milliers de sujets de Sa Majesté, brandissant le Coran et les portraits du roi, décidés à franchir la frontière pour récupérer « les provinces du Sud ». Mise sous pression, à un moment où le général Franco était agonisant, l'Espagne avait invité le Maroc et la Mauritanie à signer les Accords de Madrid par lesquels la souveraineté du territoire avait été transférée aux deux pays. Le régime algérien, hostile à ces Accords, réagit en donnant son soutien total au Front Polisario (Front pour la Libération de Saguia el Hamra et le Rio del Oro), une organisation luttant pour l'indépendance, qui déclenchera une guerre meurtrière, amenant la Mauritanie à se retirer des Accords de Madrid et à abandonner la moitié sud du territoire. Entre-temps, fuyant les zones de combats, plusieurs milliers de réfugiés ont franchi la frontière algérienne et se sont installés dans la région de Tindouf dans des camps de toile, bénéficiant de l'aide d'organisations humanitaires et de l'Union européenne. C'est dans ces camps que le F. Polisario a proclamé en février 1976 la naissance de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) reconnue à ce jour par plusieurs dizaines d'Etats. Origine et enjeux du conflit Soutenue par la majorité de la population marocaine, la monarchie reste déterminée à occuper un territoire qu'elle considère comme faisant partie intégrante du Maroc pour des raisons historiques. Face à cette détermination, l'Algérie, mettant en avant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, soutient le F. Polisario avec l'objectif de créer un Etat indépendant. Plusieurs médiations ont tenté d'aider à trouver un compromis, mais elles ont toutes échoué. Ni l'OUA, ni la Ligue arabe, ni l'ONU ne sont arrivées à résoudre ce conflit qui empêche les deux voisins à normaliser leurs relations et entamer une coopération économique bénéfique à la région. Pendant plusieurs années, l'armée marocaine a dû faire face à une guérilla dont l'efficacité avait baissé, au début des années 1980, avec la construction d'un mur infranchissable qui protège le Sahara utile. Un cessez-le-feu a été néanmoins signé sous les auspices de l'ONU en 1991, et les deux parties, Marocains et Sahraouis, se sont mises d'accord pour organiser un référendum qui déterminera l'avenir du territoire. La population locale aura la possibilité de choisir librement entre un Etat indépendant ou le rattachement au Maroc. L'ONU crée la MINURSO (Mission des Nations Unies pour le Référendum au Sahara Occidental), chargée officiellement de réunir les conditions de déroulement de ce référendum. Mais celui-ci n'a pas pu se tenir en raison de désaccords sur la taille de l'électorat. Le F. Polisario estime que seuls les habitants du territoire-et leurs enfants devenus adultes - au moment du départ de l'Espagne en 1975, ont le droit de vote. A l'inverse, les Marocains considèrent que l'électorat doit aussi comprendre les descendants de Sahraouis chassés par les Espagnols au XIXe siècle vers le Maroc et qui sont retournés après 1975. A cette date, le territoire comptait 100 000 habitants ; aujourd'hui, il en compte quatre fois plus. Le résultat du vote ne sera certainement pas le même selon l'option de l'une ou l'autre partie. Malgré les efforts diplomatiques et les pressions, dans un sens comme dans un autre, des USA, de l'UE, de l'ONU et d'autres organisations, le conflit s'est enlisé sans aucune perspective d'avenir. En 2007, l'ONU adopte une résolution n°1754 pressant les protagonistes du conflit à « parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l'autodétermination du peuple du Sahara Occidental. Cette résolution sera suivie par des négociations entre Marocains et Sahraouis, qui ont eu lieu en avril 2007 à Manhasset, dans l'Etat de New York. Cependant, malgré plusieurs sessions de travail, les négociateurs ne sont pas arrivés à trouver un compromis sur la taille de l'électorat. Les négociations ont repris hier, mercredi 10 février 2010, dans la même petite ville de l'Etat de New York. Il est fort à parier, malheureusement, que rien n'en sortira. Le conflit du Sahara Occidental exprime une rivalité entre deux Etats, le Maroc et l'Algérie, qui se disputent le leadership dans la région. Leurs régimes font du nationalisme une ressource politique à usage interne. La monarchie marocaine ne veut pas risquer d'apparaître tiède dans ce que les partis historiques appellent « l'achèvement de la libération nationale ». Le Palais sait que s'il abandonne le Sahara Occidental, l'opposition l'attaquera pour l'affaiblir et, éventuellement, renverser la monarchie. Il faut dire que la revendication du Sahara jouit d'un soutien populaire très large, et son abandon aurait un coût politique très élevé pour la monarchie qui joue sa survie. En étant à la tête de la revendication, celle-ci se pose comme le garant des aspirations nationalistes des Marocains. Du côté algérien, même si la question du Sahara Occidental n'est pas déterminante pour la survie du régime comme chez les voisins, le pouvoir en fait une affaire de principe. L'Algérie ayant décidé de soutenir le F. Polisario en 1975, elle s'en tient à cette position quoi qu'il en coûte. A l'époque, l'Algérie se réclamait du socialisme et craignait que l'Europe et les USA n'utilisent le Maroc pour renverser le régime « anti-impérialiste » dirigé par Houari Boumédiène. Celui-ci a cherché à mettre en difficulté la monarchie, espérant un coup d'Etat militaire que soutiendraient les partis de gauche, et qui ferait basculer le Maroc dans le camp anti-occidental. Mais le roi Hassan II a su éviter le piège en assumant les revendications nationalistes des partis de l'opposition qui, en fin de compte, ont été affaiblis par la stratégie du Makhzen puisqu'ils n'avaient pas d'autre alternative que de le soutenir. Le calcul de Boumédiène a eu le résultat contraire de l'objectif recherché sur l'échiquier politique marocain interne. Deux nationalismes rivaux Analysée sur le critère des paradigmes des relations internationales, la persistance du conflit du Sahara s'expliquerait par trois raisons : 1. Les pays de la région sont encore en butte avec les contradictions de la construction nationale et de la stabilisation des frontières. Encore jeune, le nationalisme de part et d'autre semble être à la recherche d'adversaires pour souder la population autour du pouvoir central. Les deux nations se comportent comme deux tribus du Maghreb médiéval. Les Etats ont brisé les tribus à l'intérieur de leurs frontières, mais se constituent dans la région comme deux « tribus nationales ». Le nationalisme algérien des années 1960 se sent frustré de ne pas avoir créé une seule «tribu nationale» au niveau du Maghreb et fait porter la responsabilité de cet échec à la monarchie dont il souhaite la disparition. Les nationalistes marocains, qui aspirent aussi à la création d'un Etat maghrébin unitaire, soupçonnent les « cousins » algériens d'utiliser cette aspiration pour s'imposer à eux. A l'issue du combat qu'ils ont livré contre la domination coloniale, les deux peuples ont créé deux Etats-nations identiques idéologiquement et culturellement mais rivaux politiquement. Leurs relations sont marquées par la logique westphalienne qui fait des Etats des unités prêtes à se déclarer la guerre s'ils estiment que leur sécurité est menacée par le voisin. 2. Les économies des deux pays, encore sous-développées, sont liées au territoire, attribut de puissance et source potentielle de richesses naturelles. La richesse du Maroc provient de l'agriculture, des matières premières, du tourisme et de quelques industries manufacturières. L'extension du territoire est susceptible d'accroître le PIB par la disponibilité d'importants gisements de phosphates et, peut-être dans le futur, d'hydrocarbures. Quant à l'Algérie, sa principale richesse provient précisément des hydrocarbures enfouis dans les territoires du Sud. Par conséquent, la compétition pour le territoire est une compétition pour plus de puissance. Ceci est la marque que les deux économies ne se sont pas développées après cinquante années d'indépendance, et ne se sont pas émancipées de leurs territoires : l'agriculture pour le Maroc dont le niveau des recettes budgétaires dépend de la pluviométrie, et les hydrocarbures pour l'Algérie dont la situation financière dépend des variations du prix international du pétrole. Dans ces conditions, pour l'un comme pour l'autre, avoir un voisin moins puissant territorialement est un gage de sécurité. 3. L'Algérie et le Maroc ont très peu d'échanges économiques, ce qui leur permet de s'ignorer. L'économie de l'un ne dépendant pas de celle de l'autre (comme c'est le cas de l'Allemagne et de la France par exemple), leurs politiques étrangères respectives se construisent en dehors des pressions des milieux économiques nationaux. Par ailleurs, malgré les liens historiques entre les deux pays, les flux de biens, de personnes et de culture demeurent très faibles. La frontière terrestre, qui sépare des parentèles et des lignages, est officiellement fermée depuis 1975. Jusqu'à l'année 2007, les deux pays exigeaient un visa d'entrée pour des personnes obligées d'emprunter l'unique liaison aérienne hebdomadaire Alger-Casablanca. Les deux Etats ont délibérément empêché que des relations sociétales s'établissent entre les deux pays, et les générations nées après les Indépendances ont été élevées à l'ombre de discours officiels dénigrant les voisins. Pour toutes ces raisons, ce conflit est anachronique et risque de durer. Sa logique est westphalienne dans un monde wilsonien où l'ONU a déclaré la guerre illégale. L'Algérie et le Maroc sont en conflit dans un monde où les guerres se remportent sur le terrain diplomatique. Au XIXe siècle ou au début du XXe, un tel conflit aurait été résolu par les armes.