Le dépôt annuel des comptes sociaux par les sociétés est un principe de base du fonctionnement d'une économie normale. A défaut, on se retrouve devant un manquement inacceptable à une disposition essentielle, impérative : l'information légale. L'administration fiscale, les auditeurs, les actionnaires, les acteurs économiques et même les citoyens doivent avoir la possibilité d'accéder à ces informations de base. Cette obligation permet à ces acteurs d'apprécier d'une année à l'autre, les résultats de l'activité en comparant les résultats de chaque exercice, en vérifiant l'état des performances. L'on obtient ainsi une image de la situation réelle de l'entreprise et de ses évolutions. Dans des économies très libérales mais encadrées par le droit, la dissimulation des comptes est un grave délit. La possibilité de ne pas publier les comptes est une mesure dérogatoire exceptionnelle, en général accordée aux sociétés en difficulté extrême. Elle est perçue comme un signal de quasi-faillite ou de banqueroute en cours. Par manque d'information et de culture économique voire aussi et surtout ? - de la conviction que l'économie algérienne ne fonctionne pas selon les normes universelles, les Algériens n'ont pas saisi dans la dispense accordée à la Khalifa Bank de publier ses comptes, les signes d'une catastrophe annoncée. Même ceux qui connaissent la signification d'une dérogation à la publication des comptes dans une économie «normale» n'y ont vu qu'un signe de la force de l'entregent de l'éphémère Tycoon algérien. On peut mesurer dans cette affaire l'effet pervers de l'incapacité de l'Etat à appliquer, pour une raison ou une autre, les règles qu'il a édictées et qu'il se doit de faire respecter. Les péripéties judicaires de l'affaire - même si elle a été cadrée par l'arrêt de renvoi - ont montré à quel point ce défaut d'application des normes, qui est en soi un défaut d'Etat, constitue un danger. On se serait attendu depuis «l'affaire» à ce que l'on ne transige plus sur la publicité des comptes sociaux, que ce soit pour une banque ou pour une société commerciale. Pourtant, cela fait des années que l'on entend les représentants qualifiés de l'Etat agiter la menace de sanction à des sociétés qui persistent à ne pas s'acquitter de l'obligation de publier leurs comptes. Quand on se trouve avec 53% des sociétés qui refusent de rendre publics leurs comptes, il ne faut pas hésiter de conclure que la loi est ouvertement bafouée et que l'Etat est directement défié. Même le fait souvent invoqué que les sociétés algériennes soient de nature «familiale» ne peut le justifier. Au contraire. Cette tendance à la dissimulation frauduleuse est plutôt à mettre sur le compte de l'enracinement de l'activité informelle, dérive que tout Etat normalement constitué souhaite réduire au maximum. Le ministre du Commerce vient d'annoncer que des mesures drastiques seront prises contre les sociétés en défaut de publication des comptes sociaux. Ces mesures pouvant aller jusqu'à la radiation du registre de commerce. Mieux vaut tard que jamais pourrait-on dire Mais la réaction est malgré tout fort tardive face à des errements aussi élémentaires que préjudiciables