Sur la bordure de la route nationale, à la sortie du village, il montait, tous les jours que Dieu faisait, son étalage de fortune. La proximité d'une petite forêt, lieu de détente privilégié pour les familles, l'incita à vendre uniquement des ustensiles de cuisine. Ça ne marchait pas très fort, mais, «koul youm ou baraktou», disait-il chaque fois. Aujourd'hui, au moment où il décide de fermer boutique, une voiture assez luxueuse se gare à proximité de sa bicoque. - Essalâm répond à essalâm, kirâk à kirâk, les politesses épuisées, le client aborde le vif du sujet : - Goulli, si je te disais exactement combien tu as de cuillères sur ton étagère, est-ce que tu accepterais à m'en donner une? Sûr de lui, le marchand le mit au défi. Le chauffeur sort de sa valise une calculatrice. Après quelques touches, il donna le nombre exact. Homme d'honneur, le pauvre marchand lui permet de prendre gratuitement l'ustensile. Mais, voyant son bénéfice partir, il l'interpelle: - Dites-moi, monsieur, si je vous disais exactement quel organisme vous emploie, est-ce que accepteriez de me rendre mon ustensile? Marché conclu, répond l'autre, bon joueur. Alors, sans doute, vous travaillez fel banca. Ebahi, l'autre lui demanda, comment il l'avait su. - C'est très simple, Khouya, au lieu de prendre une cuillère, vous avez pris une louche. Et c'est vraiment sans faire attention. C'est comme un mécanisme bien huilé que vous avez. Comme je suis habitué à une clientèle différente. J'ai déduis que - Hé bien vous vous trompez cher monsieur. Vous l'avez raté cette fois-ci. Je n'ai jamais été banquier. J'ai toujours travaillé aux impôts.