Le couple, sécurité énergétique pour assurer le développement et sécurité de l'environnement, est dorénavant à réfléchir ensemble. D'un côté, le réchauffement de la planète et les changements climatiques qui en sont la conséquence avérée menacent la planète, et inquiètent la communauté internationale. De l'autre, il y a nécessité d'assurer l'énergie suffisante au développement social et économique du monde. D'autant que les sources d'énergie fossiles classiques tendent à l'épuisement. En Algérie, les effets du changement climatique sont déjà là: les chaleurs d'été inhabituelles signalées dans des régions supposées clémentes jusque-là, les fortes précipitations de pluies très localisées en des temps très courts (entre une et deux heures), ainsi que les inondations de plus en plus fréquentes, dont celles qui ont marqué les esprits (Bab El Oued, Ghardaia, etc.), témoignent que des changements s'opèrent autour de nous. D'ailleurs notre région de la Méditerranée est une des régions les plus sensibles et vulnérables aux changements de climat et aux nouveaux phénomènes extrêmes. La région méditerranéenne est sujette à une diminution de la pluviométrie et aux inondations du fait de chaleurs particulièrement élevées en été, prédisent les spécialistes. Il semble, alors, important de réfléchir sur ces phénomènes nouveaux de réchauffement de la planète, induits par un certain processus de développement et d'industrialisation effrénée au cours du siècle dernier, et sur leurs conséquences au présent sur notre environnement, notre développement et notre existence. Les impacts négatifs des changements climatiques sur la sécurité énergétique, sur les problèmes de l'eau potable, sur la sécurité alimentaire, sur la préservation de l'environnement du genre humain et des autres êtres vivants, sont considérables. C'est un défi majeur, car il s'agit de réduire le réchauffement de la planète et introduire des modes de développement et des comportements nouveaux, pour faire face aux risques. En effet, l'émission de gaz carbonique et autres gaz à effet de serre qui a accompagné l'industrialisation effrénée a provoqué des dégâts considérables, et se trouve à l'origine de tous les problèmes d'environnement qui menacent aujourd'hui notre planète. L'augmentation de la température de 4° C au cours du siècle multipliera les phénomènes d'inondations et de désertification, qui menaceront la sécurité alimentaire dans beaucoup de zones sensibles comme le Delta du Nil du fait des inondations, ou dans le Sahel du fait de la sécheresse, pour ne citer que des régions proches de nous. Or la protection du sol est un défi majeur car elle constitue non seulement une base des civilisations, mais aussi fournit l'essentiel de la nourriture à l'humanité. La perte des terres est souvent irréversible et ses effets sur les sociétés humaines sont dévastateurs. Egalement, les risques sur l'alimentation en eau potable se poseront avec acuité pour l'humanité, d'autant que la demande augmente sans cesse. Par exemple, depuis 1955 à ce jour la demande mondiale en eau a augmenté de 6 fois. Les prévisions des spécialistes pour l'Afrique sont catastrophiques, car la diminution de la production d'eau peut aller jusqu'à 50% pour ce continent. Il serait, alors, tout à fait utile qu'on s'interroge sur la gestion de l'eau pour les populations. Une culture de l'eau qui définisse notre rapport à cette matière vitale, reste à promouvoir. Et du sens doit être donné à la convention internationale contre la désertification, dont l'Algérie est signataire. A ce propos, l'idée suggérée par M. Senouci, d'utiliser une partie des bénéfices financiers engendrés par le GNL 16 pour donner un couvert végétal adéquat (espaces verts, forets urbaines, etc.) à Oran, ville qui a abrité les travaux de ce rendez-vous mondial, est une proposition sérieuse et réalisable, qu'il faut mettre en œuvre pour la généraliser aux grandes villes du sud de la méditerranée (1). En plus de l'aggravation de la famine et du manque d'eau souvent dans des pays déjà pauvres, de graves problèmes de santé et des pandémies se développeront, si on n'y prend pas garde. De nombreux pays connaissent déjà cette situation et en souffrent. D'autres manifestations de ces phénomènes extrêmes apparaitront. Il est permis de penser que les grands incendies d'Athènes, au cours de l'été 2009, étaient renforcés par des conditions climatiques particulières, nouvelles. Il devient clair que ces scénarios tout à fait probables dus aux changements climatiques, seront à l'origine de l'insécurité dans beaucoup de parties du monde. Car la relation entre la faim et les conflits communautaires voire les guerres civiles ne sont plus à démontrer. De nombreux conflits apparaîtront puisque ce sont des millions de personnes qui vivront sous le seuil d'acceptabilité, selon des études de la Banque mondiale. Egalement, le parallèle entre les problèmes de désertification au sud de la méditerranée (particulièrement en Afrique sub-saharienne) et les migrations des populations vers le nord, est à faire de façon évidente. Les pays africains, du fait de leur fragilité, seront les plus touchés, alors que l'Afrique produit moins de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Par ailleurs, les changements climatiques seront à l'origine de déplacements des personnes dans de nombreux endroits du monde, entrainant ainsi des problèmes de prise en charge de réfugiés, avec les conséquences désastreuses que cela suppose. Tout comme le phénomène de flux migratoires poserait problème à toute la région. L'Algérie n'est plus uniquement un pays de transit, mais une destination du fait de la différence de niveau de vie entre notre pays et les pays du Sahel. Les causes, les conséquences et les problèmes de ce phénomène transméditerranéen de flux migratoires en méditerranée, sont à prendre en charge de façon concertée. Le dialogue méditerranéen peut se pencher sur la recherche de solutions politiques, notamment d'aide au développement, et non pas uniquement à la répression. Les pays de la méditerranée ont, alors, des intérêts communs à préserver pour gérer ces problèmes. Car les changements climatiques peuvent intervenir de manière abrupte, ce qui traduit un caractère d'urgence pour intervenir. Ainsi, les méditerranéens comme toute la communauté internationale, sont mis devant de grandes responsabilités, et doivent se préparer immédiatement à maitriser les effets négatifs du réchauffement climatique et des changements qui en sont induits. Les scientifiques ont tiré la sonnette d'alarme depuis le sommet de Rio et appellent à une solution concertée et énergique. Le débat ne doit pas être piégé même s'il ne manque pas de soulever la question de la responsabilité des Etats dans le réchauffement de la planète et les changements climatiques. L'important est de définir une politique mondiale de l'environnement en relation avec un mode énergétique approprié, capable de stopper la dangereuse catastrophe vers laquelle nous nous dirigeons. Car le défi est global et exige des approches coordonnées et pas seulement nationales. La réalité est que les gouvernements des pays riches ne sont pas prêts à sacrifier un peu de croissance économique de leur pays, au profit d'avantages environnementaux pour le monde. La mondialisation qui a ouvert les voies de l'échange entre les peuples s'en trouve aujourd'hui compromise. La politique de l'Algérie en matière de protection de l'environnement est l'une des plus avant-gardistes du continent. Notre pays est signataire du traité de Kyoto et toutes les conventions internationales en la matière. En tant que producteur d'hydrocarbures, il développe une expérience réussie en matière de piégeage du CO2 dans le sous-sol, ainsi que d'autres actions en faveur de l'environnement. Il reste à engager tous les acteurs de la vie publique et évaluer les impacts et les risques, pour suggérer des mesures d'adaptation globales, auxquelles il y a lieu de faire adhérer le maximum. Les partis politiques sont concernés. La société civile est fortement interpelée. L'implication des élites est importante. Le rôle des médias est précieux. C'est une culture nouvelle qu'il s'agira de proposer aux sociétés, car tout ou presque est à remettre en question : les modes de transport, d'habitat, d'industrie, dans l'agriculture, etc. En réalité, c'est le changement de mode de production et d'utilisation de l'énergie qui conditionnera le plus les modes de vie et les comportements nouveaux. Il apparait important d'intégrer dans les nouveaux modes de développement les nouvelles exigences de protection de l'environnement, et tenir compte de l'épuisement progressif et irréversible des énergies fossiles. Ce double défi d'assurer l'énergie nécessaire au développement économique et social du pays exige la maitrise de nouvelles énergies, autant que faire se peut, propres et renouvelables. Il est également nécessaire pour l'Algérie de diversifier les ressources et les origines de l'énergie nécessaires aux différents plans de développement. La réunion récente du GNL 16 à Oran a mis en exergue l'avantage de l'utilisation du gaz, au cours de la période de transition vers les énergies nouvelles. Même si la question environnementale n'est pas totalement réglée avec le gaz, il reste beaucoup plus propre que le charbon et le pétrole. Nous citons à cet effet le choix fait par le Royaume-Uni, entre l'utilisation du charbon (pas cher mais sale) et le gaz (cher et qu'il faut importer, mais plus propre que le charbon): le Royaume-Uni passerait, selon des experts (2), de 40% de charbon et 50% de gaz dans la production d'électricité aujourd'hui, à 80% de gaz importé en 2020. Dans la région méditerranéenne et l'Europe, le gaz jouera un rôle prépondérant dans la sécurité énergétique. D'autant que la demande en gaz va croitre de 30% dans les 20 années à venir (3). D'un autre coté, l'intérêt à l'énergie nucléaire pour la production de l'électricité, semble reprendre de l'importance dans le monde, en raison de l'amélioration dans la maitrise technologique, mais aussi pour une question de prix. La révision de la vision sur le nucléaire est aussi encouragée parce qu'il n'y a pas d'émission de gaz carbonique qui accompagne cette technologie. Ainsi, tout récemment, 30 pays ont demandé un programme nucléaire pour l'utilisation civil. L'Algérie, quant à elle, s'est engagée pour l'utilisation pacifique et sure de l'énergie nucléaire, dans le cadre de la coopération avec l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et d'organismes ayant une expérience et une maitrise avérées de cette technologie. Les questions de sécurité et de gestion des déchets radioactifs prennent de plus en plus d'importance dans ce dossier. En effet, les cotes européennes au sud de la méditerranée ne sont qu'à quelques centaines de kilomètres des pays du Maghreb. Ainsi, pour asseoir les bases d'un dialogue serein entre pays de la région, la transparence dans la gestion des risques d'accident et des déchets radioactifs, doit être de mise. Pour l'Algérie, dès 2002 la loi relative à l'électricité a intégré les énergies nouvelles dans le schéma de production de l'électricité. De nombreux avantages ont été consentis à cela. De plus, la projection donnée à la loi de finances 2010 pour la création d'un fonds alimenté à partir de la fiscalité pétrolière pour financer le développement des énergies renouvelables, est une preuve supplémentaire à cette orientation. Car des pays développés non producteurs d'hydrocarbures, «jouent» sur les prix du pétrole pour financer la recherche sur les énergies renouvelables, afin d'assurer une sécurité énergétique «après pétrole». A ce propos, il est aisé de constater que le sens accordé au concept de «sécurité énergétique», c'est-à-dire «approvisionnement suffisant et prix raisonnable», n'est pas le même pour tout le monde. Pour les pays développés, le prix accordé aux producteurs doit juste leur assurer les investissements nécessaires au maintien de la production, suffisante pour les approvisionner en hydrocarbures aujourd'hui, et assurer leur développement économique, demain. Pour nous, la définition des prix des hydrocarbures doit non seulement assurer notre développement actuel, mais préparer l'après pétrole par la maitrise technologique des énergies renouvelables. C'est aujourd'hui qu'il faut travailler à la sécurité énergétique de demain et négocier une coopération qui assure à l'Algérie un réel transfert de connaissances et de technologie, dans le futur schéma énergétique. En matière d'énergie renouvelable, l'effort de l'Algérie vise à atteindre 5% du bilan énergétique à l'horizon 2015, et 10% vers 2030. Il est tout à fait louable pour un pays en développement, quand on sait que le projet Européen vise à réduire d'ici à 2015 de 20% l'utilisation des hydrocarbures pour les remplacer par 20% d'énergies renouvelables, et d'introduire dans le transport 10% de biocarburant. Dans cet effort, la voie du solaire est la plus indiquée, à notre avis : D'abord, le pays est très ensoleillé pendant toute l'année et dispose d'un potentiel humain scientifique important, en techniciens et scientifiques algériens formés sur le sujet. D'un autre coté, il y a une industrie électronique et électrique dans de nombreux endroits du pays, susceptible de soutenir la recherche et la fabrication industrielle de panneaux solaires, de batteries accumulatrices, etc. En conclusion, si les changements climatiques sont inéluctables, il est désormais prouvé que les adaptations pour un nouveau mode développement économique et social sont possibles. Le défi pourra donc être relevé par une coopération soutenue basée sur les intérêts de la région en préservant les intérêts nationaux et en soutenant les échanges entre les scientifiques et les politiques dans l'ensemble méditerranéen. C'est là, la seule condition pour rendre visibles les dangers qui nous guettent et apporter des solutions négociées et réalistes pour réduire les effets des catastrophes naturelles. Il y va du devenir de tous les peuples qui vivent autour de la Méditerranée. 1- Mohamed Senouci, universitaire, membre du GIEC, sur Le quotidien d'Oran du 18/04/2010 2- Malcolm Grimston, maitre de recherche au Chatham House (Royaume-Uni), conférence à l'Assemblée parlementaire (AP) de l'OTAN, Ecosse, novembre 2009. 3- Francis GHILES, maitre de recherches au centre d'information et de documentation internationales de Barcelone (CIDOB), conférence au Groupe spécial méditerranée de l'AP OTAN, Naples 2009. *Universitaire