«Il faut un double soleil pour éclairer le fond de la bêtise humaine». (Sartre) Initiée par des structures et des personnalités, ce qui n'a que peu d'importance, une caravane Camus devait aller dans des endroits du territoire national évoquer, expliquer une œuvre plurielle et rendre hommage à un écrivain connu dans tous les milieux concernés et intéressés, par des écrivains, des universitaires et des critiques littéraires aux quatre coins de l'Algérie. Jusque-là, il n'y a rien de spécial ni de «révolutionnaire». Mais le hic, c'est que certains parmi les promoteurs de cette caravane (exotisme oblige!) se sont évertués à mélanger les genres, à transformer, ce qui aurait dû être une simple manifestation culturelle autour d'un homme connu et d'un écrivain reconnu, sacrifié par un prix Nobel, en un tribunal anti ALN, en la négation même d'une lutte et d'une guerre de libération emblématique du 20ème siècle pour finalement aboutir à une indépendance payée cash au prix de sacrifices, de tortures, de guillotinés, de villages rasés au napalm comme l'humanité en a peu connu. Le prix est astronomique. Des vies arrachées avant terme, d'autres brisées pour toujours, des orphelins et des veuves par fournées, des handicapés à vie, des fous errants dans les douars et villages, brisés par la torture et la perte d'êtres chers «Les bienfaits du colonialisme» devaient être l'avant-garde éclairée pour frayer le chemin à une falsification de l'histoire sous le couvert du «plaisir du texte», qui, lui, n'a que faire de la politique et de la manipulation. Camus, écrivain de talent que l'auteur de ces lignes a recommandé à ses enfants en même temps que Tolstoï, Jeanson, Diderot, Aragon, Malraux, Mahfouz, Dib, Mammeri, Boudjedra, K Yacine, et bien entendu Sartre, la Bible, le Coran, Sansal et tant d'autres auteurs et textes qui ont baigné toute une vie. Des Algériens ont dit niet, non pas à l'écrivain mais à un révisionnisme et à la formule, au mode d'emploi qui ont précédé la caravane. L'erreur grossière pour les ex-managers de la manifestation a été de considérer que tout le pays était prenable, qu'il n'y avait plus de consciences aptes à élever la voix et à prendre un stylo dans la langue de Victor Hugo. A partir de cette erreur est né un «appel». Si la langue française est largement partagée par les défenseurs de la caravane et ceux qui s'y opposent dans sa formule initiale aux dérives journalistiques bien algériennes qui ont défendu un Camus qui pouvait non pas choisir entre sa mère (la France) et la justice mais défendre les deux comme l'ont fait d'autres grands penseurs français qui ont sauvé l'honneur de leur mère en défendant la justice (comme Sartre, Jeanson, Maillot, Audin ) ou J.F Kennedy, un appel n'est ni une pétition ni un tract du FLN. L'harmonie la plus totale régnait entre les pieds-noirs et les indigènes logés dans un collège deuxième, et il fallait juste trouver une solution à l'amiable pour que le colonialisme perdure et que l'arabe dispose de quelques droits basiques. Mais «les tueurs» du FLN-ALN avaient opté pour une solution radicale, définitive, l'indépendance sinon rien. Ce choix dépassait totalement l'homme et l'écrivain de talent qu'était Camus. Et le choix de l'auteur a été selon des modulations étagées par certains managers de ladite caravane correct sinon opposable à l'épopée 1954-1962, celle d'une nation mobilisée, prête à tout pour son indépendance. Celle-ci inscrite au fronton d'un fabuleux mouvement international de libération nationale qui a modifié le rapport des forces à l'époque où deux grands groupes régentaient le monde, a propulsé en 1962 l'Algérie dans une dynamique moderne, de progrès, hélas régulièrement sabotée au profit d'intérêts extérieurs et ceux de sectes prédatrices bien algériennes, à ce jour. - Premier constat: à l'annonce de la caravane Camus, le silence d'écrivains, d'artistes, d'intellectuels, d'officiels, de partis, de la «famille révolutionnaire» a été fracassant. On observait le mont des augures. Les liens établis avec des maisons d'édition françaises, un financement de films, d'éventuelles bourses d'études et de formations, des prix éventuels ont tétanisé une foule fuyant le deuxième collège. - Deuxième constat: à partir du moment qu'il ne s'agissait plus de littérature essentiellement de l'histoire, de politique, d'un tribunal érigé contre l'ALN-FLN de 1954-1962, des Algériens d'horizons divers, pour la plupart inconnus les uns des autres, éloignés de la secte, des voix du pouvoir, simplement patriotes, pour certains marqués par le colonialisme ont lancé un appel qui a eu l'hospitalité de deux quotidiens nationaux. Point barre! - Troisième constat: Des publications établies à Paris, mal informées ou manipulées ont cru bon de publier des articles ou encore de fabriquer un dossier comme c'est le cas de Mariane sous la plume de Mme Gozlan pour essayer (c'est de bonne guerre) de neutraliser les signataires de «l'appel» et de peser aujourd'hui et demain sur les consciences d'Algériens. L'échec est patent sur ce dossier qui n'a rien à voir avec un écrivain, ses qualités littéraires et son tragique destin, comme l'a été celui de milliers de pieds- noirs pris dans un tourbillon de l'histoire qui a transcendé tant d'êtres humains. Les plus nombreux (pieds-noirs) ont fait le mauvais choix. Camus aussi. Pour un projet qui devait être culturel, avorté à cause d'erreurs, d'arrogance, de faux-fuyants, on a mélangé dans lesdits articles et dossiers «le dogme du FLN» (qui est pourtant régulièrement critiqué par certains signataires de l'appel), l'intégrisme qui a été et qui est combattu par la majorité des Algériens, l'identité nationale, certes brouillée en Algérie mais qui sera toujours un problème algéro-algérien, les salaires en Algérie etc. etc. Mise en accusation par des plumes françaises à travers Camus, la guerre algérienne de libération, n'aurait pas dû se faire. Le constat, à notre place, de Mme Gozlan, n'a pas ému outre mesure les défenseurs de la caravane et la restituer au moins, dans une manifestation culturelle. Peut-être ne l'était-elle pas. Et peut-être ne savent-ils pas la différence entre une pétition et un appel, et qu'il y a des Algériens qui n'attendent pas une directive du DRS pour dire leur attachement au pays et leur grand respect à l'épopée libératrice et à ceux qui l'ont dirigée. Quant à l'Algérie, de 2010, il suffit de lire la presse pour voir l'énergie, les combats, les critiques développés par les Algériens, tout en dénonçant l'autisme des médias lourds où justement le pays est désarmé pour riposter aux TV étrangères lorsqu'elles s'ouvrent à ses ennemis. Là, effectivement le combat est inégal malgré les compétences et les potentialités d'une jeunesse qui bout. Le colonialisme n'a pas eu d'effets positifs, nulle part au monde. Laissons le plaisir du texte à ceux qui savent le goûter et Camus à la littérature. L'histoire de la guerre d'indépendance, celle du FLN-ALN ne relève ni des législateurs, ni des journalistes de chaque côté de la mer, ni des écrivains qui font de la fiction. Ces histoires appartiennent aux historiens.