«Donnez-nous vos avions, vos chars, vos napalms et nous vous donnerons nos couffins et nos bombes», répondait le chahid Larbi Ben M'hidi au général Bigeard, lors de son interrogatoire qui a précédé son assassinat dans les geôles françaises en 1957. Par quel artifice de propagande politique un militaire, de surcroît parachutiste, c'est-à-dire faisant partie de l'élite des armées, est-il élevé par ses chefs politiques au rang de héros et décoré de distinctions jusqu'à saturation, alors qu'il fut vaincu à chaque bataille décisive engageant ses troupes ? A Dien Bien Phu, le lieutenant-colonel qu'il était, Marcel Bigeard a été fait prisonnier deux mois après son parachutage, en mars 1954, face aux combattants vietnamiens. La France coloniale perdit, à ce moment, la bataille, la guerre et l'Indochine. En Algérie, après s'être frotté aux combattant de l'ALN dans la région de Constantine en 1955 et dans les Aurès en 1956, il débarque à Alger, la ville, pour rejoindre la 10ème division parachutiste alors sous commandement de son collègue, le général Massu. Bigeard a le grade de colonel. Livrant une «guerre» aux résistants algériens civils, il utilise et encourage des méthodes inspirées de la Gestapo allemande : la torture jusqu'à ce que mort s'ensuive pour démanteler la résistance dans la zone autonome d'Alger. Il échouera, malgré la saignée qu'il portera à la résistance dans la ville d'Alger. Il est alors affecté, après un accord avec le général de Gaulle, en 1959, dans la région de Aïn Sefra à la tête de 5.000 paras qui viendront renforcer les 15.000 autres hommes de troupe déjà en place. Tous échoueront : la question algérienne est inscrite à l'ordre du jour de l'AG de l'Onu dès 1957 (début de la Bataille d'Alger) et l'Algérie arrache son indépendance, avec l'intégralité de son territoire, le 3 juillet 1962. Ce sont là, les résultats des «courses» de la guerre du général Bigeard. Rattrapé par les fantômes de ses milliers de victimes, il fait appel, après sa retraite prise en 1976, à des plumes pour raconter ses «guerres», mais surtout celle qui lui est restée au travers de la gorge : la Bataille d'Alger. Il tente dans son livre «Ma guerre d'Algérie» de justifier l'emploi de la torture contre les résistants pendant la Bataille d'Alger. «Je ne regrette rien, nous avons fait face à une situation», avoue-t-il. Concernant l'assassinat du chef de la zone autonome d'Alger, Larbi Ben M'hidi, il lui aurait dit cette phrase lors de son interrogatoire : «Si j'étais algérien, j'aurais agi comme vous. Mais je suis français, para et le gouvernement m'a chargé de vous arrêter». Là, encore Bigeard a été servi par le sort : Ben M'hidi a été arrêté par pur hasard, lors d'une incursion dans un appartement suspect, supposé servir de planque à Benyoucef Benkheda, l'autre organisateur de la zone autonome d'Alger. Et puis, la Bataille d'Alger, cet affront pour un parachutiste chargé d'exécuter une mission de police. Ali la pointe, Hassiba Benbouali, Mahmoud et, ô sublime humiliation et honte pour un général et son bataillon, le P'tit Omar, âgé à peine de 12 ans ! Plastiqués froidement entraînant la mort de 17 autres personnes recroquevillées dans la fragile bâtisse de la Casbah ! C'est cette image qui hantera à jamais le sommeil de Bigeard et le poursuivra jusqu'après sa mort, lui le parachutiste d'élite aux mille décorations de faits de guerre. P'tit Omar, de son vrai nom Omar Yacef, a donné une leçon de courage et de sacrifice au général. Il l'a vaincu ! C'est cette dimension noble, courageuse, patriote et prête au sacrifice suprême à l'âge où l'on rit plus qu'on pleure, qui efface toutes les médailles et distinctions accrochées sur le poitrail du général Bigeard et ses troupes d'élite. C'est cette foi dans le combat pour la dignité mené, les mains et les poitrines nues, de tous les «gueux» qu'ils nous croyaient que toutes les étoiles accrochées sur l'épaulette des généraux comme Bigeard palissent et s'éteignent devant l'Etoile filante à laquelle les hommes lui adressent leurs vœux et leurs espérances, celle de P'tit Omar. On n'est pas héros quand on massacre des enfants, des femmes et des vieux aux mains nues, mon général.