Les cinq millions de dollars d'aide attribués à court terme à Haïti et les 10 milliards promis pour sa reconstruction à long terme lors de la conférence internationale des donateurs qui a eu lieu le 31 mars constituent une marque de confiance dans le potentiel de la collaboration internationale. Mais ce n'est pas seulement une question d'argent, car il s'agit de savoir si l'on considère le calvaire d'Haïti comme une crise humanitaire parmi d'autres ou comme un problème structurel de construction d'un Etat - autrement dit faut-il chercher à établir la stabilité institutionnelle à long terme dans ce pays et l'aider à parvenir à un développement durable. Manifestement la République dominicaine voisine a été la première à mesurer l'étendue du problème et à comprendre la nécessité d'une solution globale. La décision du gouvernement dominicain de tenir un sommet sur l'avenir d'Haïti vise à garantir l'engagement à long terme de la communauté internationale - au-delà de la réaction généreuse au tremblement de terre de janvier. Le président dominicain Leonel Fernandez veut non seulement coordonner le flux de dons et mettre en oeuvre les projets de développement sur lesquels tout le monde s'est mis d'accord, mais également s'engager dans une entreprise à long terme : rebâtir les structures d'un Etat haïtien à la dérive. Estimant que la tragédie d'Haïti est avant tout politique, il veut à juste titre transformer la crise que traverse l'île en un levier pour construire un Etat fonctionnel et tirer le pays de son isolement politique pour en faire en un membre actif de la communauté régionale et mondiale. Espérons que la crise économique mondiale ne remette pas en question l'engagement de la communauté internationale envers Haïti, car même en période de prospérité elle faisait de grandes promesses qu'elle reniait au moment de mettre la main au porte-monnaie. Voisine «prospère» d'Haïti, la République dominicaine considère comme une nécessité vitale le respect de son engagement par la communauté internationale : elle doit trouver une solution à la tragédie haïtienne. La République dominicaine craint qu'une fois passé le cap de la crise humanitaire immédiate, les problèmes sous-jacents lui incombent à elle seule. Il est rare qu'une simple frontière marque une fracture aussi radicale que celle que l'on observe sur l'île d'Hispaniola entre Haïti et la République dominicaine. D'un coté le pays occidental le plus pauvre où 56% de la population survit avec moins d'un dollar par jour et de l'autre une démocratie stable avec la perspective d'un avenir relativement prospère. Pour la République dominicaine, aider au développement et à la stabilité politique d'Haïti est le meilleur moyen d'assurer sa propre stabilité. C'est la même logique qui avait présidé au partenariat euro-méditerranéen à la fin des années 1990, lorsque l'Union européenne voulait promouvoir le développement et la démocratisation des pays du Maghreb en tant que meilleur moyen de contenir le flot d'immigration clandestine vers l'Europe. Mais contrairement à l'UE, la République dominicaine n'est pas un géant économique, elle ne peut à elle seule sortir Haïti de sa situation apocalyptique. Elle a raison de chercher à établir un engagement plus important au niveau régional. La crise des réfugiés haïtiens au début des années 1990 a montré tragiquement qu'aucun pays de la région (même les USA qui ont rapatrié la plupart des immigrés clandestins ou les ont confinés dans des conditions difficiles à Guantanomo Bay dans des «camps ouverts») n'était prêt à absorber les Haïtiens qui fuyaient leur pays déchiré par des affrontements politiques. Aussi longtemps que l'Etat haïtien restera aussi fragile et que l'économie haïtienne continuera à se décomposer, les mafias qui vivent de l'immigration clandestine vers la République dominicaine vont prospérer. Un million d'Haïtiens y vivent actuellement, mais 90% des travailleurs immigrés haïtiens sont clandestins, ce qui en fait une proie facile pour des patrons à la recherche de main d'oeuvre exploitable et corvéable à merci. Contraints d'accepter des salaires plus faibles, ils remplacent les ouvriers non qualifiés dominicains, ce qui accroît les inégalités de revenus et grève les finances publiques en raison de la baisse des rentrées fiscales. Bien que la République dominicaine ait elle-même des problèmes socio-économiques (les Dominicains émigrent vers les USA, Porto Rico et l'Espagne dans l'espoir d'une meilleure vie), elle a sûrement un rôle à jouer dans la reconstruction d'Haïti. Mais toute une partie de sa classe politique doit abandonner son attitude d'exclusion, d'autant que depuis quelques années la croissance économique de la République dominicaine doit beaucoup à l'immigration haïtienne. Les deux pays sont condamnés par l'Histoire et la géographie à développer des relations de voisinage civilisées. Il ne faut pas encourager les Haïtiens à échapper à leur situation tragique simplement en traversant la frontière, mais les Dominicains ne doivent pas diaboliser Haïti et en faire le bouc émissaire de tous leurs problèmes. Ils devraient coopérer dans un objectif d'une importance cruciale : transformer la frontière qui les sépare en un espace dédié au développement transnational et à la stabilité. Précisément parce que cet objectif utile aux deux pays affecte leur stabilité et leur bien-être - ainsi que l'a souligné à juste titre la secrétaire d'Etat Hillary Clinton - il doit être intégré à l'effort de reconstruction sous l'égide de la communauté internationale. Mais les tentatives de création de zones industrielles franches le long de la frontière israélo-palestinienne ont fini par être victimes de l'instabilité politique. Autrement dit, le succès de cette opération repose en grande partie sur la transformation d'Haïti en un Etat efficace et solide. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz * Vice-président du Toledo International Centre for Peace