La principale incidence de la nouvelle loi sur l'exploitation des terres agricoles du domaine privé de l'Etat n'est pas la durée limitée à 40 ans de la concession. Mais la possibilité de céder ce titre. Les investisseurs algériens attendent cela depuis longtemps. Le capitalisme agricole va pouvoir démarrer. Les actuels bénéficiaires des EAC et EAI veulent en être. Le marché des terres agricoles publiques est né. La réforme Benaïssa adoptée par l'Assemblée nationale et en voie de l'être par le Sénat, autorise la cession de la concession, nouveau titre d'exploitation des anciennes EAC et EAI, nées de la loi Kasdi Merbah de 1987. «Je m'attends à deux grands moments dans la mise en œuvre de ce texte de loi. Comment va être attribuée la concession et comment vont être aménagées les conditions de la cession du titre de concessionnaire» explique Salim, un céréalier de la région de Sétif. La loi prévoit d'exclure du titre de la concession les actuels exploitants d'EAC et d'EAI qui auront opéré des transactions illicites sur leurs exploitations. La disposition pourrait viser une grande proportion des 11 900 exploitants en butte à des poursuites judiciaires pour toutes sortes d'infractions à la loi de 1987, en particulier la location ou la cession par acte notarial de leur exploitation à autrui. Le ministre de l'Agriculture et du Développement rural, Rachid Benaïssa a affirmé devant les députés que c'est l'Etat qui va récupérer les terres des EAC et EAI dont les exploitants auront été déchus. Leur «redistribution» est déjà le premier grand enjeu du nouveau capitalisme agricole que veut insuffler la réforme. «Il va se produire la même chose que pour les lots de terrains et les appartements. Il vaudra mieux acheter pas cher chez l'Etat avec du trafic d'influence que d'acheter chez un privé au prix du marché» explique Salim. La superficie totale concernée par le passage à la concession de 40 ans renouvelable et cessible est de 2,5 millions de ha. Un doute subsiste toutefois sur la consistance de la réserve de terres que pourra récupérer l'Etat au titre du non respect du cadre légal actuel. Un débat parlementaire qui oublie l'essentiel L'orientation de l'actuel texte de loi sur l'exploitation des terres agricoles du domaine privé de l'Etat a amendé la démarche complexe d'un précédent projet (2007) qui voulait transformer d'abord les EAC et EAI en société par actions, les sociétés civiles d'exploitation agricole (SCEA) avant d'envisager l'entrée en leur sein de nouveaux investisseurs. Le processus de concentration des terres que veut déclencher le gouvernement pour lutter contre un trop grand morcellement hérité de la loi de 1987, aurait pris plus de temps dans ce cas. Le morcellement des EAC et des EAI est d'ailleurs désigné par Lyes Mohamed Mesli, agronome et ancien ministre du secteur, comme le principal obstacle à la progression des rendements agricoles en Algérie. Les EAC et EAI occupent les meilleures terres du pays, celles qui ont été nationalisées avec le départ des colons et l'avènement de l'autogestion. Elles sont les plus adaptées à la modernisation des modes d'exploitation mais souffrent de sous-investissement. Le titre de jouissance dont bénéficient les exploitants depuis 22 ans n'est pas reconnu comme une couverture hypothécaire par le système bancaire. Les exploitants des terres du domaine privé de l'Etat ne pouvaient bénéficier que de crédits de campagne, jamais de crédits d'investissements. La concession est non seulement cessible mais elle peut être gagée. C'est ce qui a provoqué une polémique à l'Assemblée nationale, des députés exigeant que les banques étrangères implantées en Algérie soient exclues du crédit aux futurs concessionnaires afin d'éviter que «les terres algériennes ne tombent entre leurs mains» en cas de défaut de remboursement. Une dissipation dans le vrai débat, celui de la nature des acquéreurs algériens des terres agricoles de l'autogestion. Les investisseurs algériens en attente Le capitalisme agricole a raté plus d'une fois son envol dans la décennie des années 2000. Des grands investisseurs - Djillali Mehri, Brahim Hadjas aujourd'hui en délicatesse avec la justice, pensaient la porte ouverte après l'arrivée du président Bouteflika. Ils ont avancé des pions sur l'échiquier des acquisitions des terres agricoles des EAC et EAI. Un grand scandale sur la cession illicite du domaine de Bouchaoui maritime, non loin de la résidence d'Etat du Club des Pins a fini de geler les velléités officielles de dépasser la loi de 1987. Encore ajourné une dernière fois en 2008, le projet de loi qui met du mouvement dans les terres agricoles publiques pour en faire un marché est finalement adopté en juillet 2010. De nombreux investisseurs algériens l'attendaient. «Il y a plusieurs années que le secteur de l'agroalimentaire veut remonter vers l'amont et acquérir des terres agricoles pour sécuriser ses approvisionnements. Le patron de Cevital qui produit des huiles végétales ne s'en est jamais caché. On peut penser aussi que SIM après les déboires que son patron a connus voudra mettre un pied dans la céréaliculture» rappelle Mourad Laamèche, ingénieur agronome et exploitant dans la Mitidja ouest. Il reste qu'au centre de ce marché naissant se situent les actuels exploitants non poursuivis pour infractions. Ils sont la majorité. Il y a trois ans, Salim de Sétif disait en réaction au projet de loi sur les SCEA : «je ne vois que des vendeurs autour de mon exploitation. La situation va mal. Nous ne serons pas les acteurs de cette privatisation qui s'annonce». Entretemps, les dettes ont été en partie annulées et les trois dernières récoltes ont été plutôt bonnes. Les fils et petits fils des ouvriers agricoles, témoins de l'épopée de l'autogestion, ne vendront pas leurs concessions au premier jour.