Instrument institutionnel de protection de l'économie nationale et de contrôle du commerce extérieur ? I- De la legalite de la disposition «Le paiement des importations s'effectue obligatoirement au moyen du seul crédit documentaire». Ainsi est rédigé l'article 69 de la Loi de Finances Complémentaire pour 2009 dans ses dispositions diverses. Cette disposition légale qui s'inscrit, selon les propos de Monsieur le Ministre des Finances, sur le plan économique et financier dans le cadre de la moralisation de l'activité d'importations, s'insère dans un ensemble de 110 mesures introduites par l'Ordonnance N° 09-01 du 22 juillet 2009. La promulgation de la Loi de finances complémentaire 2009 intervient précisément durant la période d'inter session où le parlement est en vacance et qui permet donc au Président de la République de légiférer par ordonnance conformément à l'article 124 de la Constitution. Si on se réfère à la loi 84-17 du 7 juillet 1984 relative aux Lois de Finances, il stipule en son article 1er que « les lois de finances, dans le cadre des équilibres généraux définis par les plans pluriannuels et annuels de développement économique et social fixent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges financières de l'Etat ». L'article 2 de cette même loi précise « ont le caractère de loi de finances : la loi de finances de l'année et les lois de finances complémentaires ou modificatives et la loi de règlement budgétaire ». Par ailleurs si on se réfère toujours à l'article 3 il est remarqué que « seules les lois de finances complémentaires, ou modificatives peuvent en cours d'année, compléter ou modifier les dispositions de la loi de finances de l'année ». Quel enseignement doit-on tirer de ces articles ? Sur le plan légal, il est clair qu'une loi de finances est un document comptable, un budget englobant les ressources et les dépenses de l'Etat au titre d'une année donnée et qui respecte les principes fondamentaux de : annualité, territorialité et l'universalité Quant à la loi de finances complémentaire, comme son nom le précise, est un instrument de correction, d'ajustement, de complément à la loi initiale adoptée en cours d'exécution durant l'année. Mai au fil des années, tout en corrigeant et en réajustant les ressources et les dépenses du budget de l'Etat, tel que c'est précisé par la loi, la loi de finances complémentaire,- et plus particulièrement celle de 2009-, est le plus souvent utilisée comme instrument de gestion, de développement de l'économie nationale et du commerce extérieur où interviennent les grandes décisions. A titre d'exemples, des mesures qui normalement doivent s'inscrire dans leur cadre légal respectif - code du commerce, loi relative au développement de l'investissement ANDI, loi sur le crédit et la monnaie et tant d'autres- , ont été introduites dans la loi de finances complémentaire et par Ordonnance sous l'intitulé mesures diverses. Sont-elles en contradiction avec ce qu'on appelle communément « la loi suprême des lois », la loi 84-17 ? A situations exceptionnelles, des dispositions légales exceptionnelles relevant du seul ressort du Président de la République conformément à la Constitution. II -DES DIFFERENTS MODES DE PAIEMENT DANS LE CADRE DU COMMERCE EXTERIEUR Dans le cadre du commerce extérieur il existe trois sortes de paiement: 1.Le paiement libre ou paiement international ; 2.La remise documentaire (REMDOC); 3.La lettre de crédit ou crédit documentaire(CREDO). II-1 VIREMENT INTERNATIONAL ou PAIEMENT LIBRE Le virement international est le transfert d'un compte à un autre, opéré par une banque sur ordre de l'importateur (débiteur), au profit de l'exportateur(le créancier). (Fig.1) II-2- REMISE DOCUMENTAIRE la remise documentaire (ou encaissement documentaire) est une opération par laquelle un vendeur exportateur mandate sa banque de recueillir une somme due ou l'acceptation d'un effet de commerce par un acheteur importateur contre remise de documents. Il s'agit de documents commerciaux (factures, documents de transport, titres de propriété, ) accompagnés ou non de documents financiers (lettre de change, billets à ordre, chèques ou autres instruments analogues pour obtenir le paiement d'une somme d'argent correspondant au montant du contrat commercial. (Fig.2) II-3- CREDIT DOCUMENTAIRE Le crédit documentaire permet d'assurer la bonne fin et le règlement d'un contrat commercial entre un exportateur et un importateur. Les banques des deux partenaires commerciaux cautionnent leur client respectif, ce qui limite le risque de livraison non payée, ou de marchandises payées mais non livrées. Après la signature du contrat commercial entre un acheteur importateur et un vendeur exportateur, c'est à l'acheteur qu'il revient d'initier l'ouverture du crédit documentaire en prenant contact avec sa banque qui répercute à une banque correspondante l'ouverture d'un crédit documentaire payable à ses caisses. Le vendeur pourra retirer les fonds lorsque la banque aura réceptionné et reconnu conformes les documents exigés. (Fig.3) (Fig.4) A travers ces définitions des différents modes de paiement du commerce extérieur qu'on retrouve sur tous les manuels, il est remarqué que le Crédit Documentaire présente, en dépit de sa lourdeur bureaucratique tant décriée à travers les circuits et passages obligés, le moyen le plus transparent dans les transactions avec l'étranger mais III- DES CAUSES DE L'INSTAURATION OBLIGATOIRE DU CREDOC III-1- Causes exogènes La crise financière internationale apparue en fin de parcours de l'année 2008 et qui a frappé de plein fouet l'économie mondiale, sans exception, a par ricochet affecté également notre pays, à travers les conséquences économiques provoquées par la chute du prix du pétrole. Les retombées négatives de cette crise mondiale sur l'économie nationale ont engendré : Révision du prix du marché pétrolier en le situant à une moyenne de 45 $US/bl alors que dans la LF initiale pour 2009 la projection des exportations a été basée sur un prix du baril de pétrole brut estimé à 100 $ US. Forte contraction des recettes d'exportations d'hydrocarbures, au premier trimestre 2009, par rapport au premier trimestre 2008: -20,2 Milliards de $ US fin mars 2008 contre -10,3 Milliards de $ US fin mars 2009 Soit une division par 2 des recettes d'exportations Quoique toujours excédentaire à fin mars 2009, fort recul de la balance commerciale: -12,2 Milliards de $ US fin mars 2008 contre -1,2 Milliards de $ US au 1er TRIM. 2009 Régression du recouvrement des produits de la Fiscalité pétrolière de 42,07%: 1026 Milliards de DA au 1er Trim.2008 contre 695 Milliards de DA au 1er Trim.2009 Manque à gagner-moyenne mensuelle- plus de 100 Milliards de DA. Conséquence: le Fonds de Régulation des Recettes (FRR) n'était plus alimenté comme à l'accoutumée (à fin décembre 2008 il est de 4 280 Milliards de DA, disponibilités stabilisées à fin mars 2009). III-2- CAUSES ENDOGENES Réduction de la facture des importations de marchandises et services au regard sa forte croissance qui de 18 milliards de dollars en 2004 sont passées à 39,6 M$ US en 2008 et projetées à 37,9 M$ US pour 2009 se réparties comme suit : 7,3 M$ US produits alimentaires, 4,1 M$ US marchandises de consommation, 26,5 M$ US matières premières et équipements. Moralisation du commerce extérieur en agissant sur les équilibres économiques entre l'intérieur et l'extérieur et entre les importations et les exportations; Instaurer une traçabilité dans le suivi et l'évaluation de la transaction dans les transferts financiers et les échanges commerciaux : -Lutter contre la fraude fiscale; -Privilégier l'outil de production nationale à la défaveur des dépenses d'importations; -Maitriser le niveau des transferts (suppression du virement international ou paiement libre-PL-); -Réduire et maitriser le contentieux au niveau des banques (suppression du paiement par remise documentaire-REMDOC-); Tels sont, entre autres et à mon sens, les exposés des motifs avancés quant à l'obligation du crédit documentaire (CREDOC) comme seul mode de paiement dans le cadre du commerce extérieur. IV -DE L'ANALYSE ET DE LA PROBLEMATIQUE IMMEDIATE DE CETTE OBLIGATION Lors de la présentation du bilan annuel de la banque d'Algérie sur le développement économique et financier du Pays en session plénière de l'Assemblée populaire nationale en date du 15 octobre 2009,le Gouverneur de la banque, en sa qualité de représentant de cette institution, partie prenante dans ce système d'échanges bancaires, a été sollicité oralement par mes soins sur la question du CREDOC. Cette intervention orale limitée à un temps maximum de cinq(5) minutes consistait en une analyse d'un questionnement et en même temps faire état de la problématique qu'a engendrée ce mode de paiement. C'est vrai que le bilan annuel présenté en tant que tel par le Gouverneur constitue, sans aucun doute, pour les plus avertis, une base essentielle en vue d'une évaluation exhaustive actuelle de l'économie algérienne tout en faisant état de la bonne santé de nos finances et du soutien de la situation financière nette sur le plan de la dette extérieure durant l'année 2008 et ce en dépit de la crise mondiale. Mais malgré cette embolie financière qui a caractérisé l'année 2008, la Loi de Finances complémentaire pour 2009 est venu remettre en quelque sorte cet optimisme par l'institution de mesures de protection à travers le crédit documentaire comme seul mode de paiement du commerce extérieur et la suppression des deux autres le paiement libre et la remise documentaire. Ce qui n'a pas manqué de soulever, en ce moment là, un tollé général de la presque totalité de la presse écrite nationale, en même temps l'ire des partenaires économiques nationaux et des réactions vives de partenaires étrangers conscients de l'enjeu de cette mesure sur leurs intérêts économiques au même titre que la disposition de partenariat 51%/49% prise dans le cadre de cette même LFC pour 2009. Il est sûr et certain qu'en plus des mesures que le gouvernement a déjà pris à chaque fois que cela est nécessaire et ultime à l'image de ce qui se passe ailleurs même dans les pays les plus développés(cas des USA) le CREDOC en est une mesure de la protection de l'économie nationale à travers; 1. - la transparence et traçabilité dans les opérations commerciales; 2. -la lutte contre la fraude et l'évasion de devises; 3. -la réduction du volume des importations qui de 18 M$ US en 2004 sont passées à près de 38 M$ US en 2008; 4. -l'obligation du crédit documentaire comme instrument permettant à la banque algérienne de mieux cerner la concrétisation des marchés dans le cadre du commerce extérieur. Le crédit documentaire constitue sans aucun doute une garantie pour tous les acteurs. Mais pour qu'une mesure de sauvegarde de l'économie nationale dans son application sur le terrain à l'exemple le crédit documentaire ne constituerait pas une entrave pour les producteurs algériens notamment la Petite et moyenne entreprise(PME) et la Petite et Moyenne Industrie( PMI), comme ne cessent de le clamer les importateurs opérateurs économiques algériens et un blocage particulièrement pour les entreprises de production utilisatrices de matières premières qui ne disposent pas de disponibilités financières en devises(cas des PME-PMI), il aurait été plus judicieux pour les pouvoirs publics d'impliquer toutes les parties concernées (pouvoirs publics, banques et opérateurs économiques) pour lever toutes ambiguïtés avant sa mise en application et ne pas laisser libre court à toutes les « spéculations ». Ces derniers s'accordent tous, à travers leurs déclarations, pour dire que le crédit documentaire générera sans aucun doute : 1. Augmentation des frais d'importations; 2. Sensible prolongement de la durée entre la signature du contrat et la réception effective de la marchandise surtout lorsqu'il s'agit de matières premières destinées à la production; 3. L'importance des dépenses financières en devises en comparaison au paiement libre ou la remise documentaire; 4. Paiement anticipé avant même la réception de la marchandise sur le territoire douanier algérien. A la date de l'intervention, la question que j'avais posée soit quatre (4) mois après la promulgation de la Loi de Finances Complémentaire pour 2009, consistait surtout à poser d'ores et déjà les problèmes que pourraient engendrer sur le terrain l'application de cette disposition légale, prévenir et surtout connaître quelles seraient les dispositions pratiques susceptibles d'être prises pour effectivement lever toutes ses équivoques afin de permettre à l'entreprise algérienne de fonctionner le plus normalement possible. Même si depuis, les pouvoirs publics essaient d'apporter aux problèmes posés les solutions idoines qui conviennent le mieux à la situation du moment et aux problèmes qui se posent aux acteurs économiques nationaux avec lesquels ils sont toujours en concertation Cette concertation est d'ailleurs toujours d'actualité . Et pour preuve la Loi de Finances Complémentaire pour 2010 adoptée en conseil des ministres le 25 août 2010 a apporté dans ses dispositions diverses quelques solutions en vue d'atténuer les contraintes du terrain.Cet allègement des procédures engendrées par l'ouverture du CREDOC est articulé dans le projet comme suit : « Art. 69.-Le paiement des importations s'effectue obligatoirement au moyen du seul crédit documentaire. Toutefois, sont dispensés du recours au crédit documentaire, les importations des intrants et de pièces détachées réalisées par les entreprises productrices, à condition que : -Ces importations répondent exclusivement aux impératifs de production; -Les commandes cumulées annuelles opérées dans ce cadre ne pourraient excéder le montant de deux millions de dinars (2.000.000 DA) pour la même entreprise. L'autorité monétaire est chargée de veiller au strict respect de cette limitation. Cette dérogation ne soustrait pas les entreprises concernées de l'obligation de domicilier l'opération quel que soit le mode de paiement. Sont exclus de l'obligation du crédit documentaire, les importations des services. L'autorité monétaire et le Ministre chargé des Finances... (le reste sans changement) » C'est déjà une avancée très importante à destination de la PME et PMI nationales. *Directeur Régional des Impôts en retraite - Membre la Commission des Finances et du Budget de l'APN Sources: -Constitution Algérienne -Loi de Finances 84-17 du 07/7/84 -notes de présentations des lois de Finances -statistiques -Lois de finances complémentaires pour 2009 et 2010 -Manuels et lexiques de banque