Le compromis historique incarné par le président Lula da Silva est une réussite au-delà de toutes les espérances des architectes de la «troisième» voie brésilienne. Le Brésil des dictatures militaires, des oligarchies toutes-puissantes, des favelas et de la dette extérieure s'est transformé en pays émergent où existe, enfin, une vraie classe moyenne. Le bilan interne de Lula, dont le second et ultime mandat s'achève, est extrêmement flatteur. Peu de pays - à l'exception de la Chine, bien sûr, et de la Turquie - peuvent s'enorgueillir d'une évolution aussi rapide et profonde. Les performances économiques se sont accompagnées, ou ont été soutenues par une politique de redistribution qui a permis, à défaut d'éliminer, de réduire dans d'importantes proportions les déficits sociaux au détriment des catégories les plus vulnérables. Beaucoup reste encore à faire. Mais la politique sociale de Lula fait que moins d'enfants ont faim, beaucoup plus sont scolarisés et, globalement, le nombre de déshérités a fortement diminué. Sur le front économique, le Brésil a conforté ses positions de puissance industrielle et agricole exportatrice. Après l'échec du dirigisme bureaucratique et du libéralisme dogmatique, le pragmatisme néokeynésien de Lula a démontré son efficacité. C'est sur ses bases et sur une popularité qui ne s'est pas démentie malgré les aléas politiques, que Lula a construit une image d'homme d'Etat de stature internationale. Sans grandiloquence ni discours enflammés, le président brésilien, homme simple issu du peuple, est une voix écoutée et respectée, y compris par les Occidentaux. Le rayonnement du Brésil dépasse le cône Sud du continent américain et en fait un acteur de plus en plus important dans le concert des nations. Cette audience grandissante a néanmoins ses limites. La rebuffade arrogante de Mme Clinton au plan turco-brésilien de règlement de la crise iranienne a refroidi les ardeurs diplomatiques de Brasilia, convaincue un peu trop vite qu'elle jouait vraiment dans la cour des plus grands. Il n'en demeure pas moins que le pays pèse d'un poids certain dans les relations internationales. Sa politique étrangère est au service de la paix et des causes justes. Lula s'en ira le 1er janvier prochain avec la satisfaction du devoir accompli et cédera vraisemblablement sa place à Dilma Rousseff, la candidate qu'il a lui-même adoubée. Luiz Inacio Lula da Silva a profondément modifié la réalité d'un pays aux déséquilibres aussi vastes que son territoire. Mais le géant sud-américain est loin d'être guéri des démons de la misère et des injustices. Pour de trop nombreux Brésiliens, la vie est encore très dure. Pour beaucoup de jeunes, l'espoir oscille entre la réussite par le football et l'insertion dans les gangs et le trafic de drogue. Le jeu de balancier subtil et compliqué auquel s'est livré Lula, entre concessions à une ploutocratie néolibérale pro-américaine et gages à sa base sociale progressiste et altermondialiste, pourra-t-il être maintenu par le nouveau chef d'Etat ? C'est à cette aune que sera mesurée la réalité de l'héritage politique d'un homme forgé dans les luttes syndicales et qui a su diriger avec génie un grand pays.